La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14890

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2002, 14890


Tribunal administratif N° 14890 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 mai 2002 Audience publique du 17 octobre 2002

==============================

Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14890 et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mai 2002 par Maître François KREMER, avocat à la Cour, assisté de Maître Marc ELVINGER, avocat, les deux inscrits au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie), de n...

Tribunal administratif N° 14890 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 mai 2002 Audience publique du 17 octobre 2002

==============================

Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14890 et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 mai 2002 par Maître François KREMER, avocat à la Cour, assisté de Maître Marc ELVINGER, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 décembre 2001, notifiée le 22 janvier 2002 au requérant, ainsi qu’en date du 23 janvier 2002 à son mandataire, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative prise par le prédit ministre le 12 avril 2002, suite à un recours gracieux introduit par le demandeur;

Vu la lettre du délégué du bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg du 13 mai 2002, déposée au greffe du tribunal administratif le 11 juin 2002, dont il ressort que Maître Marc ELVINGER a été commis d’office pour assister Monsieur … dans le cadre de sa demande d’asile ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marc ELVINGER et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 7 août 2001, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu le 8 novembre 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 14 décembre 2001, notifiée le 22 janvier 2002 à Monsieur … ainsi qu’en date du 23 janvier 2002 à son mandataire, le ministre de la Justice l’informa que sa demande d’asile avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Vous reconnaissez d’abord avoir fait de fausses déclarations aux autorités luxembourgeoises. En effet, vous n’êtes ni né à Presevo/Serbie, ni originaire de cette ville. Vous êtes né à Pec/Kosovo et vous y seriez domicilié avec votre famille. De même, vous seriez parti du Kosovo et non de Serbie pour venir au Luxembourg.

Vous exposez par la suite que vous n’avez pas été appelé au service militaire, ni à la réserve et que vous n’étiez pas membre d’un parti politique.

Vous dites que vous n’aviez pas fait l’objet de persécutions au Kosovo depuis le départ des Serbes en 1999, mais que la situation économique serait lamentable. Vous ajoutez que la région ne serait pas encore tout à fait sécurisée, en ce sens qu’il serait parfois dangereux de sortir le soir.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je dois constater qu’il résulte de vos déclarations que les motifs de votre départ du Kosovo sont essentiellement économiques et qu’aucune de vos assertions ne saurait fonder une crainte de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Force est d’ailleurs de constater que vous avez fait une fausse déclaration quant à vos origines car vous ne pouviez ignorer que la situation politique des Albanais au Kosovo ne justifie en aucun cas l’octroi du statut de réfugié.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 19 février 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 14 décembre 2001.

Par décision du 12 avril 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 10 mai 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées.

Un recours au fond étant prévu par l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le recours en réformation, qui a par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Au fond, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la situation générale au Kosovo et la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Dans ce contexte, il expose être de confession musulmane, de langue albanaise, qu’en raison de son appartenance à la « minorité musulmane », il risquerait des persécutions d’autant plus qu’il craint que des actes de « nettoyage ethnique » ne soient à nouveau perpétués à l’avenir au Kosovo, que la sécurité dans sa région ne serait pas garantie, ce qui comporterait des dangers pour sa personne, et qu’il aurait peur d’harcèlements de la police ou d’être incarcéré arbitrairement.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 8 novembre 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle à l’égard du demandeur d’asile dans son pays de provenance en général et dans sa région d’origine en particulier – en l’occurrence, la province du Kosovo- et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

Il y a encore lieu d’ajouter dans ce contexte qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

En ce qui concerne la prétendue appartenance de Monsieur … à une minorité musulmane, il échet de relever que suivant ses déclarations à l’agent du ministère de la Justice chargé de recueillir ses déclarations au sujet des motifs se trouvant à la base de sa demande d’asile, il appartient au groupe ethnique représentant la majorité de la population résidant actuellement au Kosovo, composée de personnes de langue albanaise et de religion musulmane, et que partant son argumentation basée sur de prétendus « nettoyages ethniques » commis envers le groupe ethnique, « minoritaire », dont il ferait partie, est sans pertinence en l’espèce et doit partant être écartée.

En ce qui concerne encore sa peur exprimée à l’égard de comportements de la police, qui comprendraient notamment des incarcérations arbitraires, il échet de rappeler, comme il a été relevé ci-avant, qu’à l’heure actuelle le territoire du Kosovo se trouve sous le contrôle d’une force armée internationale et d’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, de sorte qu’il n’a pas à craindre d’actes de persécutions de la part de la police ou de l’armée fédérale serbe, ayant quitté le territoire à l’arrivée des forces internationales.

Pour le surplus, il n’apporte aucun élément concret de nature à établir que les autorités policières se trouvant sous le contrôle des forces internationales commettraient des actes de persécution à l’encontre de la population du Kosovo, tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève. D’une manière générale, il échet de relever que les craintes exprimées par le demandeur s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans ce contexte, il échet de relever que les allégations du demandeur relativement à ses craintes de persécution sont extrêmement vagues et non autrement circonstanciées, de sorte qu’elles sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les autorités qui contrôlent le Kosovo ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de cette province ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

donne acte au demandeur qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 17 octobre 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14890
Date de la décision : 17/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-17;14890 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award