La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14872

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2002, 14872


Tribunal administratif N° 14872 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2002 Audience publique du 17 octobre 2002

==============================

Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14872 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2002 par Maître Alexandra CORRE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordr

e des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie) et de son épouse, M...

Tribunal administratif N° 14872 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2002 Audience publique du 17 octobre 2002

==============================

Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14872 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2002 par Maître Alexandra CORRE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie) et de son épouse, Madame …, née le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, tous de nationalité yougoslave, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 décembre 2001, notifiée le 22 janvier 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 12 avril 2002, suite à un recours gracieux introduit par les demandeurs;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2002 ;

Vu le mémoire en réplique des demandeurs déposé au greffe du tribunal administratif le 9 août 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Alexandra CORRE et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 10 septembre 2001, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 25 octobre 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 17 décembre 2001, notifiée le 22 janvier 2002, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Monsieur, vous dites avoir fui le Kosovo pendant les bombardements de l’OTAN et d’y être retourné après le départ des Serbes, à l’arrivée des forces internationales au Kosovo. Vous indiquez avoir quitté le Kosovo en septembre 2001 pour des raisons de sécurité. Vous déclarez vivre avec la peur de ne pas pouvoir circuler librement. Vous auriez peur qu’on vous tue, attaque ou cambriole. Cette peur serait liée au fait que vous dites appartenir à une minorité ethnique du Kosovo. Ainsi, on vous aurait fait des remarques parce que vous parlez le serbo- croate.

Vous exposez qu’un homme serait venu plusieurs fois à votre domicile et aurait revendiqué la propriété de vos terres.

Vous ajoutez également ne pas avoir perçu de salaire pendant trois ou quatre mois.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et de ne pas avoir subi de persécutions à votre égard.

Madame, vous auriez quitté le Kosovo pour pouvoir vivre en sécurité. Vous soulignez avoir peur qu’on vous tue et de ne pas avoir les moyens de vivre. Vous ajoutez ne pas pouvoir circuler librement au Kosovo.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et de ne pas avoir subi de persécutions à votre égard.

Madame, Monsieur, concernant la situation particulière des musulmans slaves au Kosovo, je souligne que la reconnaissance du statut de réfugié politique n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile, qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Or, il ne résulte pas de vos allégations à tous les deux, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécutés dans votre pays d’origine pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. Ainsi, la peur et le sentiment d’insécurité qui en résulte, ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution selon la Convention de Genève, mais traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.

De même, le litige portant sur la propriété de vos terres n’est pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

Le fait de ne pas avoir touché votre salaire pendant plusieurs mois et d’avoir des difficultés matérielles est certes regrettable, mais je me dois de constater qu’un tel motif ne saurait pas non plus fonder une demande d’asile politique au sens de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute, qu’à la fin du conflit armé au Kosovo, les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et des exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 20 février 2002, les consorts … introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 17 décembre 2001.

Par décision du 12 avril 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 7 mai 2002, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles précitées.

Un recours au fond étant prévu par l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le recours en réformation, qui a par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Au fond, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la situation générale au Kosovo et la gravité des motifs de persécution qu’ils ont mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef.

Dans ce contexte, ils exposent être de confession musulmane et d’appartenir à la minorité des « bochniaques », qu’ils craindraient des persécutions en raison de leur appartenance à une minorité ethnique, qu’ils auraient quitté leur pays d’origine, à savoir le Kosovo, pour des raisons de sécurité, en ce qu’ils auraient fait l’objet de menaces directes et personnelles, tant envers leur personne que quant à leurs biens et qu’ils auraient peur de subir des châtiments inhumains, ainsi que des vexations quotidiennes voire même des tortures en cas de retour dans leur pays d’origine, non seulement en raison de leur appartenance à une minorité ethnique mais également en raison de leur départ « irrégulier » à l’étranger. Enfin, ils font état de ce que l’avenir dans leur pays d’origine serait compromis, notamment du point de vue de leurs moyens de subsistance.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux …-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives en date du 25 octobre 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle à l’égard des demandeurs d’asile dans leur pays de provenance en général et dans leur région d’origine en particulier – en l’occurrence, la province du Kosovo - et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des musulmans slaves, il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, notamment par la population albanaise, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a encore lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par les demandeurs en raison de leur religion, de leur appartenance ethnique et de la situation générale tendue au Kosovo, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que les demandeurs ne font ni état de maltraitances caractérisées ni ne démontrent-ils que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, étant entendu qu’ils n’ont pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.

Dans ce contexte, il y a lieu de relever que les craintes de persécution invoquées par les demandeurs sont formulées en des termes très vagues et non circonstanciés, de sorte qu’elles sont insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

En outre, en ce qui concerne les motifs d’ordre économique soulevés par les demandeurs, qui rendraient leur vie difficile en cas de retour dans leur pays d’origine, il échet de relever que l’absence ou l’insuffisance de moyens de subsistance dans leur pays d’origine ne figurent pas parmi les motifs énumérés par la Convention de Genève, susceptibles de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 17 octobre 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14872
Date de la décision : 17/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-17;14872 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award