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17/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14621

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2002, 14621


Tribunal administratif N° 14621 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2002 Audience publique du 17 octobre 2002

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Recours formé par Madame …, veuve … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14621 et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 février 2002 par Maître Jean KAUFFMAN, avocat à la Cour, assisté de Maître Carole BESCH, a

vocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, veuve …, n...

Tribunal administratif N° 14621 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2002 Audience publique du 17 octobre 2002

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Recours formé par Madame …, veuve … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14621 et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 février 2002 par Maître Jean KAUFFMAN, avocat à la Cour, assisté de Maître Carole BESCH, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, veuve …, née le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), et de ses trois enfants majeurs, Madame … …, née le …, Monsieur … …, né le … et Monsieur … …, né le …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation, principalement, d’une décision du ministre de la Justice du 29 janvier 2002, confirmant une décision antérieure du même ministre du 28 août 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que, subsidiairement, de la prédite décision ministérielle du 28 août 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Carole BESCH ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 3 juin 1999, Madame …, agissant en son nom personnel ainsi qu’en celui de ses enfants mineurs … et … …, et son enfant majeur … …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité ainsi que celle de ses enfants et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Madame …, Monsieur … …, Mademoiselle … … et Monsieur … … furent en outre entendus séparément en date des 4 août 1999 et 28 février 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 28 août 2001, notifiée le 10 décembre 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Madame …, vous dites ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécutée. Vous auriez quitté votre pays d’origine en raison de votre crainte d’un conflit au Sandzak.

Madame … …, vous exposez vous aussi ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécutée. Vous vous seriez expatriée de peur d’un conflit au Monténégro.

Quant à vous, Monsieur … …, vous auriez reçu une convocation de l’armée pour le contrôle d’aptitude physique à laquelle vous n’auriez pas donné suite. Vous relevez que vous auriez fait le service militaire s’il n’y avait pas de conflit armé. Vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécuté.

Monsieur … …, vous n’avez pas reçu d’appel pour faire le service militaire. Vous auriez quitté votre pays en raison du danger de guerre. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique et vous n’avez pas été personnellement persécuté.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur … …, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Vous admettez vous-même que vous effectueriez le service militaire s’il n’y a pas de conflit armé.

De plus, vous communiquez un appel pour faire le service militaire. Sa date est postérieure à votre arrivée au Luxembourg et son authenticité n’est pas établie. Par ailleurs, l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée de persécution.

La peur générale d’un conflit armé que vous invoquez, Mesdames, n’est pas non plus de nature à constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention de Genève.

Monsieur … …, vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte justifiée de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives en Serbie du 23 décembre 2000. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 8 janvier 2002, les consorts …-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 28 août 2001.

Par décision du 29 janvier 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 28 février 2002, Madame … ainsi que ses trois enfants majeurs …, … et … … ont fait introduire un recours tendant à la réformation, principalement, de la décision ministérielle précitée du 29 janvier 2002 et, subsidiairement, de celle également précitée du 28 août 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs soutiennent avoir quitté leur pays d’origine, à savoir le Monténégro, en raison de répressions violentes et « injustes » de la part des autorités policières et militaires et ils font état de difficultés qu’ils pourraient avoir en cas de retour dans leur pays d’origine, en ce qu’ils y trouveraient une situation incertaine et qu’ils risqueraient d’être confrontés « à la jalousie et aux animosités de leur entourage ». Ils font encore état de ce qu’une évaluation objective de la situation dans leur pays d’origine aurait dû conduire le ministre de la Justice à leur reconnaître le statut de réfugié politique, d’autant plus que le Monténégro ne remplirait pas ses obligations de protection de ses citoyens.

Enfin, ils soutiennent que le simple fait par leur Etat d’origine de violer des droits civils et politiques tels que figurant à la déclaration universelle des droits de l’homme et au pacte international relatif aux droits civils et politiques, devrait constituer une persécution.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des consorts …-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame … ainsi que par ses trois enfants …, … et … …, lors de leurs auditions respectives en date des 4 août 1999 et 28 janvier 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans les quatre comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, s’il est vrai que la situation générale des musulmans au Monténégro est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

En l’espèce, les demandeurs ne font état que de craintes de persécutions basées sur la situation générale tendue dans leur région d’origine, formulées en des termes très vagues et non circonstanciés, de sorte qu’ils ne constituent en substance que l’expression d’un sentiment général de peur insuffisant pour justifier une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, la simple violation d’une des dispositions de la déclaration universelle des droits de l’homme ou du pacte international relatif aux droits civils et politiques ne saurait, en l’absence d’une disposition légale spécifique, constituer une persécution au sens de la Convention de Genève, sans que par ailleurs une persécution ou une crainte de persécution pour un des motifs prévus par ladite Convention de Genève ne soient établies en cause.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 17 octobre 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14621
Date de la décision : 17/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-17;14621 ?

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