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17/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14615

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2002, 14615


Tribunal administratif N° 14615 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 février 2002 Audience publique du 17 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14615 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 février 2002 par Maître Alain BINGEN, avocat à la Cour, inscrit au table

au de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Shkoder (Albanie) et de son épou...

Tribunal administratif N° 14615 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 février 2002 Audience publique du 17 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14615 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 février 2002 par Maître Alain BINGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Shkoder (Albanie) et de son épouse, Madame …, née le … à Shkoder, tous les deux de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 novembre 2001, notifiée le 11 décembre 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Alain BINGEN et Monsieur le délégué du gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 24 septembre 2001, Monsieur … et son épouse, Madame … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 2 octobre 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 28 novembre 2001, notifiée le 11 décembre 2001, le ministre de la Justice informa les époux …-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Monsieur, vous exposez avoir été menacé par des membres d’une famille s’appelant TOLLUSI, qui vous aurait extorqué la somme de deux millions de lek. Le matériel se trouvant dans votre boulangerie ainsi que votre voiture vous auraient été volés.

La police n’aurait pas pu vous protéger contre ces gens.

Vous indiquez ne pas avoir été membre d’un parti politique.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari et vous n’invoquez pas d’éléments de persécution personnelle. Vous déclarez qu’il n’y aurait pas de lois en Albanie.

Force est cependant de constater que vos problèmes relèvent du domaine de la criminalité de droit commun. Il ne ressort pas de vos déclarations que les actes commis par des membres de la famille TOLLUSI aient un arrière-fond politique.

Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Vous restez en défaut d’établir que votre situation particulière est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de la décision prévisée du 28 novembre 2001, les époux …-… firent introduire un recours gracieux par courrier de leur mandataire du 8 janvier 2002. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 29 janvier 2002, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 28 novembre 2001 par requête déposée en date du 27 février 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est irrecevable.

Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires d’Albanie et qu’ils auraient quitté leur pays en raison des pressions et menaces qui auraient été exercées sur eux, ainsi qu’en raison des « balles qui auraient été tirées par des inconnus sur Monsieur … dans un local de vote ». Ils font exposer plus particulièrement que Monsieur … aurait été membre de l’association anti-communiste patriotique politique 2 PRILLI et que, dans ce contexte, il aurait participé en date du 2 avril 1991 à une manifestation devant le siège du parti du travail d’Albanie, au cours de laquelle il y aurait eu des confrontations avec la police, que Monsieur … serait membre du parti démocratique albanais depuis l’année 1993 et que dans le cadre des activités exercées au sein de ce parti politique, il aurait été membre des commissions des élections comme représentant du parti démocratique dans sa zone d’habitation à l’occasion des élections locales et nationales de 1997 et 2001, qu’à l’occasion des élections qui ont eu lieu au niveau national en juin 2001, Monsieur … aurait été membre du « staff électoral du candidat-député représentant le parti démocratique dans sa zone d’habitation », et que ce serait à l’occasion de ces élections que des inconnus auraient tiré sur lui au moment où il se serait trouvé dans le local de vote.

En substance, ils invoquent des craintes de persécution en raison des activités politiques de Monsieur … et de leur appartenance à la religion musulmane.

Au vu de ces faits, les demandeurs estiment avoir fait valoir des craintes justifiées de persécution et ils demandent à se voir reconnaître le statut de réfugié.

Le représentant étatique estime que les explications fournies par les demandeurs ne seraient pas crédibles, dans la mesure où ils auraient présenté, dans le cadre de leur requête introductive d’instance, un récit différent de celui qu’ils auraient soumis antérieurement aux agents du service de police judiciaire et du ministère de la Justice. En effet, alors qu’au cours de leurs auditions initiales, ils auraient indiqué ne jamais avoir été membre d’un parti politique ou d’un groupement défendant les intérêts de personnes, en précisant simplement qu’ils auraient subi du chantage et des violences de la part d’une riche famille de Shkoder, ce serait pour la première fois dans la requête introductive d’instance qu’ils auraient fait état d’activités politiques de Monsieur … tant au sein du mouvement 2 PRILLI qu’au sein du parti démocratique albanais. Par ailleurs, le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux …-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er , section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. – Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, no 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux …-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives du 2 octobre 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il échet d’abord de relever que comme l’a précisé le délégué du gouvernement, il existe un certain nombre de contradictions flagrantes entre le récit présenté par les demandeurs au cours de leurs auditions en date des 24 septembre et 2 octobre 2001 par respectivement l’agent du service de police judiciaire et celui du ministère de la Justice et celui contenu dans la requête sous analyse, en ce qu’au cours de ces auditions, ils ont précisé qu’ils avaient eu des problèmes avec des bandits albanais qui auraient cambriolé leur boulangerie, qu’ils auraient été victimes d’actes de chantage de la part de membres d’une famille habitant à Shkoder, dont certains membres les auraient obligés de leur payer une importante somme d’argent à plusieurs reprises, qui auraient par ailleurs volé à deux reprises le véhicule de Monsieur … et qui auraient détruit l’intérieur de leur boulangerie, en indiquant encore qu’ils n’auraient pas été membres d’un parti politique ou d’un groupe social défendant les intérêts de personnes, alors que dans le cadre de leur requête introductive d’instance, ils n’ont plus repris ce récit initial, mais ils ont au contraire insisté sur de prétendues activités politiques qui auraient été exercées par Monsieur …, à la suite desquelles il ferait l’objet de menaces et de pressions. Ces contradictions flagrantes sont de nature à ébranler sérieusement la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Toutefois, même en faisant abstraction de ces contradictions et en admettant que les demandeurs aient subi des persécutions de la part de certains groupes de la population albanaise, en raison des engagements politiques de Monsieur …, il échet de constater que les allégations des demandeurs relativement à leurs craintes en raison non seulement de leur appartenance à la minorité musulmane mais également en raison des engagements politiques de Monsieur … sont très vagues et non autrement circonstanciées et elles sont partant insuffisantes pour établir un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les autorités qui sont au pouvoir en Albanie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de ce pays ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à leur encontre.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président Mme Lamesch, juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 17 octobre 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14615
Date de la décision : 17/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-17;14615 ?

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