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17/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14525

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 octobre 2002, 14525


Tribunal administratif N° 14525 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er février 2002 Audience publique du 17 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14525 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er février 2002 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au t

ableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … et de son épouse, Madame …, né...

Tribunal administratif N° 14525 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er février 2002 Audience publique du 17 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame … et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14525 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er février 2002 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … et de son épouse, Madame …, née le …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, né le … et …, née le …, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 27 novembre 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en obtention d’une autorisation de séjour ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 4 avril 2000, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … et … introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Par décision du 9 août 2000, le ministre de la Justice les informa que leur demande était rejetée, étant donné qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social ne serait pas établie.

Un recours gracieux formulé par lettre du 27 octobre 2000 à l’encontre de cette décision ministérielle ayant été rejeté par décision du ministre de la Justice du 8 novembre 2000, les consorts …-… introduisirent un recours contentieux le 8 décembre 2000 à l’encontre des deux décisions précitées. Ce recours fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 16 mai 2001. Un appel dirigé contre le prédit jugement fut déclaré irrecevable par un arrêt de la Cour administrative du 2 octobre 2001, pour dépôt tardif de l’acte d’appel.

Par lettre du 14 novembre 2001, entrée au ministère de la Justice le 15 novembre 2001, les consorts …-… sollicitèrent, par le biais de leur mandataire, un permis de séjour.

Par lettre du 27 novembre 2001, le ministre de la Justice informa le mandataire des demandeurs de ce qui suit :

« (…) Il échet de relever que vos mandants ne font pas état de moyens d’existence personnels suffisants pour subvenir à leurs besoins au sens de l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers et 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

Je constate par ailleurs que votre demande ne fait état d’aucune circonstance de fait suffisamment grave pour motiver la délivrance d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires.

Par conséquent, je ne saurais réserver une suite favorable à votre demande. (…) ».

Par requête déposée le 1er février 2002, les consorts …-… ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 27 novembre 2001.

Aucune disposition légale ne conférant compétence à la juridiction administrative pour statuer comme juge du fond en matière d’autorisation de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de la décision ministérielle litigieuse.

Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des faits qui lui ont été soumis, en soutenant que le fait de faire l’objet de répressions et de persécutions dans leur pays d’origine, à savoir l’Albanie, ainsi que le fait de s’être vus « confisquer » par « l’Inspection de l’Etat » leur maison, ainsi que leur magasin, au cours du mois de juin 2001, ensemble les menaces exercées sur les membres de leur famille demeurant en Albanie, en vue d’obtenir la divulgation de leur « lieu de fuite », aurait dû amener le ministre de la Justice à leur délivrer une autorisation de séjour au Luxembourg. Ils exposent dans ce contexte que la situation politique en Albanie serait loin d’être stable et que les activités exercées par Monsieur … au sein du parti démocratique seraient de nature à entraîner des persécutions dirigées contre eux, dont la preuve serait néanmoins impossible à rapporter au vu de la « partialité des forces de police envers certains membres de la société ».

Au vu des faits qui précèdent, ils estiment remplir les conditions légales en vue de pouvoir bénéficier d’une autorisation de séjour à délivrer « à tout le moins pour des raisons humanitaires », d’autant plus que leurs deux enfants mineurs seraient scolarisés au Luxembourg et que le fait de les rapatrier ensemble avec leur famille dans leur pays d’origine « remettrait inévitablement et inéluctablement en cause l’avenir tant scolaire que professionnel et social de leurs enfants et les priverait, de toute évidence, notamment de la chance d’obtenir des diplômes utiles et nécessaires, sinon une formation professionnelle que leur pays d’origine, l’Albanie, est loin de pouvoir leur procurer en l’état actuel ». Enfin, ils estiment que la délivrance d’une autorisation de séjour se justifierait par ailleurs par le fait que Madame … aurait dû faire l’objet d’une hospitalisation et que son état de santé serait toujours précaire.

Ils se réfèrent encore à la Convention des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour soutenir que l’article 8 de celle-ci devrait tenir en échec « une mesure d’éloignement », dans la mesure où il appartiendrait aux autorités luxembourgeoises de protéger leur vie privée et familiale telle qu’établie sur le territoire national et qui serait menacée dans son existence même du fait du refus de délivrance d’une autorisation de séjour à leur profit. A ce titre, ils reprochent à la mesure de « reconduction à la frontière » de ne pas être proportionnelle par rapport « à la gravité de l’atteinte aux droits des demandeurs au respect de leur vie privée et familiale ».

Le délégué du gouvernement soutient que ce serait à bon droit que le ministre de la Justice a refusé de faire droit à la demande des consorts …-… tendant à la délivrance d’une autorisation de séjour, en ce que, d’une part, il ne se dégagerait pas des éléments du dossier que la famille ainsi composée disposait de moyens personnels propres suffisants au moment où la décision attaquée a été prise, dans la mesure notamment où un permis de travail certifiant que notamment Monsieur … pouvait légalement s’adonner à un travail au pays n’aurait pas pu être produit et, d’autre part, la délivrance d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires constituerait une question de pure opportunité dont l’appréciation devrait échapper au contrôle des juridictions administratives.

En ce qui concerne les persécutions et les représailles dont les demandeurs font état, le représentant étatique estime que ces craintes de persécution auraient déjà fait l’objet d’une appréciation dans le cadre du recours contentieux introduit devant les juridictions administratives et ayant donné lieu au jugement précité du 16 mai 2001.

Quant au reproche tiré de la violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il expose que le droit au respect d’une vie familiale ne comporterait pas le droit de choisir l’implantation géographique de cette vie familiale et l’Etat ne serait partant pas obligé d’autoriser l’entrée à un étranger sur le territoire luxembourgeois en vue d’y créer des liens familiaux nouveaux.

L’article 2 de la loi précitée du 28 mars 1972 dispose que « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger : (…) – qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ».

Au vœu de l’article 2 précité, une autorisation de séjour peut dès lors être refusée notamment lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour, abstraction faite de tous moyens et garanties éventuellement procurés par des tiers (trib. adm. 17 février 1997, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, 2. Autorisations de séjour – Expulsions, n° 100 et autres références y citées, p.

149).

La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise, de même qu’il appartient au juge de vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels se fonde l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute, sans qu’il ne puisse se livrer, dans le cadre d’un recours en annulation, à une appréciation de l’opportunité de la décision litigieuse.

Or, en l’espèce, force est de constater qu’il ne se dégage ni des éléments du dossier, ni des renseignements qui ont été fournis au tribunal, que les demandeurs disposaient de moyens personnels propres suffisants et légalement acquis au moment où la décision attaquée fut prise.

Par conséquent, à défaut d’avoir rapporté la preuve de l’existence de moyens personnels, le ministre a dès lors valablement pu refuser l’autorisation de séjour sollicitée sur base de ce motif.

En ce qui concerne le refus de délivrance d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires, il échet de constater que le moyen invoqué par les demandeurs basé sur ce que le ministre de la Justice ne serait pas en droit de leur refuser la délivrance d’une autorisation de séjour, au motif qu’ils risqueraient des persécutions et des représailles dans leur pays d’origine, d’autant plus que tant leur maison d’habitation et que leur magasin y auraient été « confisqués » par les autorités étatiques, tend en substance à reprocher au ministre de la Justice d’avoir violé l’article 14 in fine de la loi précitée du 28 mars 1972, en ce que le refus de délivrance d’une autorisation de séjour les exposerait à des traitements inhumains en cas de retour dans leur pays d’origine, en ce qu’ils y seraient exposés à des actes de représailles et à des menaces, et que la vie et leur intégrité seraient en danger en Albanie.

Il y a lieu de constater que le moyen ainsi formulé se rapporte pour l’essentiel à des arguments qui, à les supposer établis, justifieraient l’octroi du statut de réfugié aux demandeurs, un tel statut impliquant l’autorisation de séjourner sur le territoire. Or, il se dégage des renseignements fournis que les demandeurs avaient introduit une telle demande et que celle-ci a été rejetée par un jugement du tribunal administratif du 16 mai 2001, un appel introduit à l’encontre de ce jugement ayant été déclaré irrecevable par arrêt de la Cour administrative du 2 octobre 2001. Dans la mesure où les demandeurs n’apportent pas d’élément ou de motif de persécution nouveaux par rapport à ceux soumis aux juges ayant statué par le jugement précité du 16 mai 2001, les mêmes arguments ne sauraient actuellement être pris en considération dans le cadre de la demande d’autorisation de séjour.

La légalité de la décision de refus de l’autorisation de séjour n’est pas ébranlée par des arguments basés sur le degré d’intégration des consorts …-… et la scolarisation de leurs enfants au Luxembourg, pareils faits, à les supposer établis, n’étant pas de nature à tenir en échec les dispositions légales prévues en la matière. Elle n’est pas non plus énervée par le fait que Madame … a dû faire l’objet d’une hospitalisation au Grand-Duché de Luxembourg, d’ailleurs non autrement précisée, et que son état de santé serait « précaire », sans que les demandeurs ne fournissent une quelconque précision quant aux raisons qui motivent un tel constat médical, étant donné qu’il n’est pas établi, dans ces circonstances, qu’elle ne saurait bénéficier de soins médicaux appropriés dans son pays d’origine. Enfin, il n’est pas non plus établi que la vie des demandeurs serait insupportable en cas de retour en Albanie.

Enfin, en ce qui concerne la prétendue violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il échet de retenir qu’à défaut par les demandeurs d’avoir fourni des informations plus précises, ils n’ont pas établi à suffisance de droit l’atteinte que la décision sous analyse porterait à leur vie privée et familiale, de sorte que le moyen afférent est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 17 octobre 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14525
Date de la décision : 17/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-17;14525 ?

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