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16/10/2002 | LUXEMBOURG | N°15429

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 octobre 2002, 15429


Numéro 15429 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 octobre 2002 Audience publique du 16 octobre 2002 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15429 du rôle, déposée le 7 octobre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de na...

Numéro 15429 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 octobre 2002 Audience publique du 16 octobre 2002 Recours formé par Monsieur … contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 15429 du rôle, déposée le 7 octobre 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité guinéenne, ayant été placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 11 septembre 2002 ordonnant la prorogation d’une mesure de placement prise à son égard par décision du même ministre du 12 août 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 octobre 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 14 octobre 2002.

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Il ressort d’un procès-verbal n° 6/1135/02 du service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale du 12 août 2002 que Monsieur … fut interpellé en date du 10 août 2002 au Centre Hospitalier de Luxembourg et le lendemain par le Centre d’intervention de la police grand-ducale à Luxembourg, 9, rue de Prague, suite à un vol et ne put pas présenter de document d’identité valable.

Suite à la communication du procès-verbal prévisé au service des étrangers du ministère de la Justice, Monsieur … fut placé, par arrêté ministériel du 12 août 2002, notifié le même jour, au Centre Pénitentiaire de Luxembourg pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question dans l’attente de son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Considérant que l’intéressé a été intercepté en date des 10 et 11 août 2002 par la Police Grand-Ducale ;

- qu’une mesure de rétention a été prononcée par le Parquet le 11 août 2002 ;

- qu’il est dépourvu de tout document d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;

Considérant que l’intéressé est susceptible de constituer un danger pour l’ordre et la sécurité publics et que pour cette raison un placement au Centre Pénitentiaire de Luxembourg s’impose. » Par arrêté du ministre de la Justice du 11 septembre 2002, le placement de Monsieur … fut prorogé pour une durée d’un mois.

Ladite décision de prorogation est fondée sur les considérations et motifs suivants :

« Vu mon arrêté pris en date du 12 août 2002 décidant du placement temporaire de l’intéressé ;

Vu mon arrêté de refus d’entrée et de séjour du 12 août 2002 ;

Considérant que l’intéressé a été intercepté en date des 10 et 11 août 2002 par la Police grand-ducale ;

- qu’une mesure de rétention a été prononcée par le Parquet le 11 août 2002 ;

- qu’il est dépourvu de tout document d’identité et de voyage valable ;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite, alors que l’intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;

Considérant qu’il échet dès lors de proroger le placement pour une durée maximum de 1 mois à partir de la notification ».

Par requête déposée le 7 octobre 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 11 septembre 2002.

L’article 15 paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.

l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, instituant un recours de pleine juridiction contre une décision de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation lui déféré.

Ce même recours ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur argumente en premier lieu que la décision entreprise devrait être annulée pour « absence des conditions pour prononcer une mesure de placement », étant donné que l’autorité administrative avait déjà pris une mesure de placement à son encontre en date du 12 août 2002, et qu’elle ne serait pas en mesure de prouver « qu’elle est en date de ce jour en mesure d’obtenir auprès des autorités guinéennes l’admission de Monsieur … dans son pays d’origine ».

Force est de constater en l’espèce que le demandeur a été appréhendé en date du 12 août 2002 et que les autorités compétentes sont uniquement obligées de prendre des mesures appropriées afin d’assurer que l’intéressé puisse être éloigné du pays dans les meilleurs délais et non pas de rapporter la preuve qu’elles peuvent obtenir effectivement l’admission du demandeur dans son pays d’origine. Or, en l’espèce il échet de constater que les autorités ont valablement pu juger opportun d’épuiser d’abord la possibilité de reconduite du demandeur à la frontière française, telle que souhaitée par courrier de son mandataire du 28 août 2002, avant de solliciter en date du 12 septembre 2002 un titre d’identité ou un laissez-passer auprès de l’Ambassade de la République de Guinée à Bruxelles, en vue de son rapatriement.

Le premier moyen est dès lors à rejeter.

Le demandeur soutient encore que le ministre n’aurait pas pris une mesure de refoulement ou une décision d’expulsion à son égard.

Une mesure de refoulement peut être prise, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence, « ….2. qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ; 3. auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de la (…) loi [précitée du 28 mars 1972] ; 5. qui (…) sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

En l’espèce, il ressort des éléments du dossier administratif, et plus particulièrement d’un arrêté du 12 août 2002 portant refus d’entrée et de séjour au pays à l’égard du demandeur, que celui-ci n’était pas en possession de papiers de légitimation valables autorisant son séjour au pays. Par ailleurs, il est constant en cause pour ressortir des pièces et éléments du dossier que le demandeur ne disposait pas de moyens de subsistance légaux au pays et qu’il est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics, de sorte que les conditions justifiant un refoulement se trouvaient réunies au moment de la décision de placement du 12 août 2002.

D’autre part, les parties sont en accord qu’en l’état actuel du dossier le refoulement du demandeur est encore matériellement impossible, de sorte que le cas d’ouverture de l’article 15 (1) de la prédite loi du 28 mars 1972 est donné. Il s’ensuit que ce moyen est également à écarter.

Le demandeur conteste encore l’existence dans son chef d’un danger réel de soustraction à la mesure d’éloignement ultérieure, étant donné qu’il n’aurait opposé aucune résistance aux autorités qui l’ont arrêté en date du 11 août 2002.

Il résulte cependant des éléments du dossier soumis au tribunal que le demandeur a dû être conduit une première fois en cellule d’arrestation en date du 11 août 2002 vers 1.00 heure suite à un appel du Centre Hospitalier et qu’en date du même jour il s’est de nouveau rendu coupable d’un vol. Il ressort encore du procès-verbal du Centre d’intervention Luxembourg groupe Gare de la police grand-ducale que le demandeur a nécessairement dû séjourner auparavant aux Pays-Bas et qu’il a vraisemblablement rejoint le Luxembourg par train en provenance de Belgique.

Ces éléments démontrent que le demandeur se déplace en situation irrégulière d’un pays à l’autre, de sorte que la réalité d’un danger de soustraction à la mesure de refoulement prise à son égard a valablement pu être retenue.

C’est encore à tort que le demandeur soutient qu’il ne constituerait pas un danger pour l’ordre public. Il convient en effet de relever que Monsieur … s’est effectivement rendu coupable d’un vol en date du 11 août 2002 et que partant il a affiché un comportement susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics, de sorte que ce moyen est également à rejeter.

Le demandeur soutient ensuite que les autorités compétentes n’auraient pas déployé tous les efforts et effectué toutes les démarches nécessaires en vue d’assurer que la mesure d’éloignement puisse être exécutée sans retard, dans les délais les plus brefs.

Au vu du paragraphe (2) de l’article 15 précité, « la décision de placement (…) peut, en cas de nécessité absolue, être reconduite par le ministre de la Justice à deux reprises, chaque fois pour la durée d’un mois ».

Le tribunal est partant amené à analyser si le ministre de la Justice a pu se baser sur des circonstances permettant de justifier qu’en l’espèce une nécessité absolue rendait la prorogation de la décision de placement inévitable.

Compte tenu d’une mesure de placement au Centre Pénitentiaire, l’autorité compétente doit veiller à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afin d’assurer un éloignement dans les meilleurs délais, en vue d’éviter que la décision de placement ne doive être prorogée. – La prorogation d’une mesure de placement doit rester exceptionnelle et ne peut être décidée que lorsque des circonstances particulièrement graves ou autrement justifiées la rendent nécessaire (trib. adm. 22 mars 1999, n° 11190 du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, n° 167).

En l’espèce, il ressort du dossier que les autorités luxembourgeoises, après établissement de la fiche signalétique, ont d’abord examiné la demande de Monsieur … formulée par courrier de son mandataire en date du 28 août 2002 et tendant à le voir reconduire à la frontière française. N’ayant obtenu l’assurance que le demandeur est autorisé à séjourner en France, les autorités luxembourgeoises ont contacté ensuite les autorités guinéennes suivant courrier du 12 septembre 2002 en vue de son rapatriement dans son pays d’origine. N’ayant enregistré aucune réponse de la part des autorités de la République de Guinée, les autorités luxembourgeoises ont une nouvelle fois sollicité un titre d’identité ou un laissez-passer permettant le rapatriement du demandeur vers la Guinée en date du 4 octobre 2002. Ce délai ne saurait être qualifié d’excessif eu égard au fait que le demandeur ne possédait aucun document d’identité valable et au vu du silence des autorités guinéennes à ce jour.

Finalement, le demandeur critique encore le caractère disproportionné de son placement au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, en ce que ce dernier ne constituerait pas un établissement approprié au sens de l’article 15 de la loi prévisée du 28 mars 1972, surtout eu égard à son état physique et psychique tel que précisé lors des plaidoiries.

L’incarcération dans un Centre Pénitentiaire d’une personne sous le coup d’une mesure de placement, non poursuivie ou condamnée pour une infraction pénale, ne se justifie qu’au cas où cette personne constitue en outre un danger pour la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics. Une telle mesure est en effet inappropriée dans tous les cas où la personne visée par elle ne remplit pas les conditions précitées et qu’elle peut être retenue et surveillée par le Gouvernement d’une autre manière afin d’éviter qu’elle se soustraie à son éloignement ultérieur.

Dans la mesure où il se dégage des éléments ci-avant relevés que le demandeur s’est déplacé en situation irrégulière d’un pays à l’autre et qu’il a commis au Luxembourg des faits susceptibles d’être sanctionnés pénalement, c’est à juste titre que le ministre a pu considérer son comportement comme étant celui d’un étrangers susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics, de manière à justifier son placement au Centre Pénitentiaire de Luxembourg afin d’éviter qu’il porte atteinte à la sécurité et à l’ordre publics et pour garantir qu’il soit à la disposition des autorités en vue de son éloignement ultérieur. Le placement du demandeur au Centre Pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig n’est dès lors pas à considérer comme une mesure disproportionnée tel que soutenu par le demandeur, d’autant plus qu’il n’a pas rapporté la preuve que les autorités en charge ne s’occuperaient pas de ses problèmes physiques respectivement psychiques, à les supposer établis.

Dans ce contexte, il convient finalement de rejeter le moyen tiré de la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants », dès lors qu’une détention au Centre Pénitentiaire du Luxembourg ne saurait, en tant que telle, être considérée comme dégradante, inhumaine ou humiliante si les conditions légalement prévues sont remplies, comme c’est le cas en l’espèce, telle que cela ressort des considérations qui précèdent.

Enfin, concernant la prétendue violation de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme, le paragraphe 1, point f.) dudit article 5 dispose que « toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (… ) f.) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulière d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ».

Il convient de relever que ladite disposition prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Il convient encore de préciser que le terme d’expulsion utilisé à l’article 5 est à entendre dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement d’une personne se trouvant en séjour irrégulier dans un pays. En effet, il est admis que, lorsqu’en raison des circonstances de fait, le refoulement d’un étranger se révèle impossible, sa détention peut être ordonnée conformément à cette disposition. Le moyen afférent est partant à rejeter.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé et que le demandeur est à en débouter.

Par ces motifs, Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 octobre 2002 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 15429
Date de la décision : 16/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-16;15429 ?

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