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16/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14915

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 octobre 2002, 14915


Tribunal administratif N° 14915 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mai 2002 Audience publique du 16 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14915 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2002 par Maître Michèle OSWEILER, avocat à la Cour, assistée de Maître

Olivia MOESSNER, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M...

Tribunal administratif N° 14915 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 mai 2002 Audience publique du 16 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14915 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2002 par Maître Michèle OSWEILER, avocat à la Cour, assistée de Maître Olivia MOESSNER, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 7 février 2002, notifiée le 22 février 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 16 avril 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Olivia MOESSNER, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 septembre 2002.

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En date du 30 avril 2001, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grande-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.Il fut en outre entendu en date du 7 mai 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 7 février 2002, notifiée le 22 février 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivé au Luxembourg le 27 avril 2001 dans la matinée.

Vous exposez avoir été emmené avec votre famille dans un camp de prisonniers de guerre le 25 mai 1992. Depuis cette date vous n’auriez plus revu votre père et votre sœur.

Vous et votre mère auriez pu sortir du camp un mois plus tard.

Vous expliquez avoir été membre du SDA de 1993 à 1996. Vous auriez reçu des menaces de la part des Serbes depuis votre retour dans la république serbe de Bosnie. Vous auriez été injurié en raison de votre religion.

Vous exposez encore être traumatisé par votre emprisonnement au camp au courant de l’année 1992.

Vous faites état de votre peur à l’égard des Serbes qui commettraient encore beaucoup d’assassinats de nos jours.

Force est cependant de constater que les évènements que vous relatez se sont essentiellement passés au début des années 1990. La guerre de Bosnie est terminée depuis les accords de Dayton, conclus en 1995. Des troupes internationales (SFOR) ont été stationnées par la suite en Bosnie et y assurent le maintien de la paix.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Vous restez en défaut d’établir que votre situation particulière est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même, les Serbes de Bosnie ne sauraient être considérés comme étant des agents de persécution au sens de la Convention de Genève. Une persécution systématique de minorités ethniques dans la république serbe de Bosnie est actuellement à exclure.

Enfin, vous restez en défaut d’établir qu’il vous serait le cas échéant impossible de vous établir dans une autre partie de la Bosnie-Herzégovine pour ainsi profiter d’une possibilité de fuite interne.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 19 mars 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 7 février 2002.

Par décision du 16 avril 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 16 mai 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 7 février et 16 avril 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire de la Ville de Drvenice située dans la République serbe de Bosnie-Herzégovine et qu’il est de confession musulmane. Le demandeur expose plus particulièrement qu’il aurait été emmené ensemble avec sa famille dans un camp de prisonniers au courant de l’année 1992 et qu’il n’aurait plus revu ni son père ni sa sœur depuis cette date. Le demandeur expose encore qu’il aurait fait l’objet de menaces de la part des Serbes et qu’il serait encore traumatisé à ce jour par les événements qu’il aurait vécu dans le camp de prisonniers. Monsieur … fait encore valoir qu’il aurait été membre du parti politique SDA entre 1993 et 1996 et qu’il ne pourrait plus retourner dans son village en raison des provocations et maltraitances dont seraient victimes les musulmans encore à l’heure actuelle.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient en effet au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, n° 29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 7 mai 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant le motif de persécution du demandeur ayant trait à sa qualité de membre du parti politique SDA, il y a lieu de retenir que si les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier le cas échéant des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève, la simple qualité de membre d’un tel parti ne constitue pas, à elle seule, un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié (trib. adm. 13 décembre 2000, n° 12245 du rôle, confirmé par Cour adm. 27 mars 2001, n° 12762C, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, n° 40).

Il y a lieu de relever à cet égard que Monsieur … a déclaré lors de son audition qu’il aurait été simple membre adhérent du parti SDA, sans avoir joué un quelconque rôle actif au sein de ce parti, de sorte que cette adhésion, qui a d’ailleurs cessé en 1996, ne saurait être considérée comme motif suffisant pour la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Pour le surplus, les autres craintes de persécution actuelles invoquées par Monsieur …, et plus précisément les menaces de la part des Serbes de Bosnie, à les supposer établies, se cristallisent autour de la seule situation dans sa ville d’origine, à savoir Dvrenice, et le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre région de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine où de nationalité sans restriction territoriale.

Finalement les autres faits relatés par le demandeur, à savoir son emprisonnement dans un camp de prisonniers en 1992 et les atrocités y subies, aussi dramatiques que ces évènements ont pu être vécus par le demandeur, ne se sont pas déroulés dans un passé récent, de sorte que le tribunal, à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur, ne saurait en tirer une conclusion utile en l’espèce.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 octobre 2002 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14915
Date de la décision : 16/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-16;14915 ?

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