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16/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14905

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 octobre 2002, 14905


Tribunal administratif N° 14905 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 mai 2002 Audience publique du 16 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14905 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2002 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tabl

eau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité macédonienne,...

Tribunal administratif N° 14905 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 mai 2002 Audience publique du 16 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14905 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2002 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité macédonienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 19 décembre 2001, notifiée le 21 janvier 2002, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 12 avril 2002, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 août 2002 par Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Benoît ARNAUNE-GUILLOT et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 septembre 2002.

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En date du 14 juin 2001, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice le 13 juillet 2001 sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 19 décembre 2001, notifiée le 21 janvier 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 14 juin 2001.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez fait votre service militaire obligatoire à l’armée macédonienne d’avril 1993 à janvier 1994. Lors de la mobilisation générale au mois de mars 2001, vous auriez pris la décision de quitter votre pays d’origine, car vous ne voudriez ni aller à la réserve, ni faire la guerre. Vous précisez également ne pas avoir eu de convocation pour ce faire. Vous auriez peur d’être tué et d’être obligé de tuer quelqu’un.

Vous seriez spécialement venu au Luxembourg, car vous y auriez des amis. Vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et de ne jamais avoir subi des persécutions quelconques.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission, à la supposer établie dans votre cas, car vous ne fournissez aucune preuve, est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Il est d’ailleurs à constater qu’un accord est intervenu en Macédoine entre les forces macédoniennes et l’UCK albanaise. Les troupes de l’ONU ont pacifié la région et les Albanais ont déposé les armes. Les autorités macédoniennes élaborent une loi d’amnistie et une réforme étatique pour mettre les différentes communautés ethniques sur un pied d’égalité.

Force est de constater que votre peur de la guerre traduit plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 13 mars 2002, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 19 décembre 2001.

Par décision du 12 avril 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 15 mai 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre des décisions ministérielles précitées des 19 décembre 2001 et 12 avril 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de la Ville de Delcevo en Macédoine et qu’après avoir accompli son service militaire obligatoire à l’armée macédonienne d’avril 1993 à janvier 1994 il aurait refusé de faire la réserve dans l’armée macédonienne au moment de la mobilisation générale au mois de mars 2001, « de peur d’être tué voir d’être obligé de tuer quelqu’un », de sorte qu’il risquerait à l’heure actuelle une lourde sanction du chef d’insoumission. Le demandeur ajoute que la Macédoine ne serait pas un pays « stabilisé à l’heure actuelle », ce qui serait démontré par le fait que ce pays serait toujours sous la surveillance d’une armée internationale dans le but d’assurer une mission de maintien de la paix, de sorte que l’existence d’une crainte raisonnable de persécutions dans son chef serait démontrée. Le demandeur invoque encore l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme pour tenir en échec une mesure d’éloignement (sic) et soutient que l’autorité administrative n’aurait pas tenu compte de son droit au respect de la vie privée et familiale qu’il aurait désormais établie sur le territoire du Luxembourg. Finalement le demandeur estime que les autorités chargées de l’examen de son dossier n’auraient pas tenu compte du fait qu’il serait inquiété dans son pays d’origine pour ses opinions politiques, respectivement n’auraient pas vérifié concrètement ses craintes de persécution en cas de retour en Macédoine.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, n° 12179C du rôle, Pas.

adm. 2001, V° Etrangers, n° 29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 13 juillet 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant tout d’abord le reproche que les autorités chargées de l’examen du dossier n’auraient pas vérifié concrètement si le demandeur a raison d’éprouver une crainte de persécution en cas de retour dans son pays d’origine, force est de constater que les décisions ministérielles initiale du 19 décembre 2001 et confirmative du 12 avril 2002 contiennent en détail les motifs en droit et en fait sur lesquels le ministre s’est basé pour répondre aux différentes craintes de persécution alléguées par le demandeur dans son audition du 13 juillet 2001 et dans son recours gracieux du 13 mars 2002. Il s’ensuit que ce moyen laisse d’être fondé.

Concernant plus particulièrement le motif de persécution du demandeur tiré de son insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas en elle-même un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A,2., de la Convention de Genève. En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risque à l’heure actuelle de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Les craintes de persécution du demandeur en raison de la situation politique instable en Macédoine s’analysent, au vu de l’évolution de la situation politique en Macédoine et plus particulièrement des accords d’Ohrid précisant les droits des différentes communautés ethniques, en un sentiment général de peur, le demandeur étant resté en défaut d’étayer qu’il risquerait individuellement d’être persécuté par les autorités de son pays d’origine, voire que celles-ci soient incapables ou refuseraient de lui accorder une protection adéquate contre des actes de persécution.

Finalement l’invocation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas pertinente en l’espèce, étant donné que les décisions critiquées ne contiennent pas une mesure d’éloignement du territoire national à l’égard du demandeur. Pour le surplus, le simple fait de tomber dans le champ d’application de cet instrument juridique international n’autorise pas une personne à se voir reconnaître le statut de réfugié politique.

L’examen du statut de réfugié politique fait l’objet d’une appréciation au cas par cas à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi du droit d’asile, à savoir la Convention de Genève.

Il résulte de l’ensemble des développements faits ci-avant que le recours doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 16 octobre 2002 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

. Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14905
Date de la décision : 16/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-16;14905 ?

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