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16/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14834

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 octobre 2002, 14834


Tribunal administratif N° 14834 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 avril 2002 Audience publique du 16 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …et consort, …, contre deux décisions du ministre de la Justice, en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14834 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, insc

rit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pec (Kosovo/Yougosl...

Tribunal administratif N° 14834 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 avril 2002 Audience publique du 16 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …et consort, …, contre deux décisions du ministre de la Justice, en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14834 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie) et de son épouse, Madame …, née le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, tous de nationalité yougoslave, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 29 août 2001, par laquelle la délivrance d’une autorisation de séjour leur a été refusée, ainsi que de la décision implicite de refus découlant du silence de plus de trois mois suite à un recours gracieux introduit par les demandeurs par lettre du 5 décembre 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 6 mai 1999, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur … introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971.

Un recours contentieux introduit par les époux …-…contre la décision du ministre de la Justice portant refus dudit statut dans leur chef, fut déclaré non justifié par un jugement du tribunal administratif du 8 janvier 2001, qui fut confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 3 avril 2001.

En date du 6 août 2001, les époux …-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur, introduisirent une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires auprès du ministre de la Justice. A l’appui de leur demande, ils firent valoir qu’ils seraient originaires du Kosovo et qu’ils appartiendraient à la minorité des bosniaques, de sorte qu’il leur serait impossible de retourner en sécurité dans leur pays d’origine. Ils estimèrent avoir droit à une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires, étant donné que « tout éloignement éventuel dans [leur] pays d’origine serait contraire à l’article 3 de la C.E.D.H. ».

Par décision du 29 août 2001, le ministre de la Justice refusa de faire droit à leur demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires, au motif, d’une part, qu’il résulterait du dossier administratif que les demandeurs n’appartiendraient pas « à l’ethnie des Bosniaques du Kosovo », mais que leur pays de provenance serait le Monténégro et, d’autre part, que les conditions fixées par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ne seraient pas remplies dans leur chef.

Par une lettre datée au 5 décembre 2001, les consorts …-…firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du 29 août 2001, à l’appui duquel ils versèrent différents documents, qui établiraient qu’ils seraient originaires du Kosovo. Ils estiment qu’à la lumière de ces documents, le ministre devrait reconsidérer sa décision et leur octroyer une autorisation de séjour.

Par requête déposée le 25 avril 2002, les consorts …-…ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 29 août 2001 ainsi que de la décision implicite de refus résultant du silence du ministre de plus de trois mois à la suite du recours gracieux introduit le 5 décembre 2001.

Par décision du 28 mai 2002, le ministre confirma sa décision du 29 août 2001 à défaut d’éléments pertinents nouveaux contenus dans le recours gracieux.

En l’absence de disposition légale instaurant un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre des décisions litigieuses. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que les décisions déférées relèveraient d’une erreur de droit en ce qu’elles violeraient le principe de proportionnalité devant guider une action administrative en ce sens qu’elles seraient excessives quant aux effets qu’elles seraient susceptibles de produire à travers leur exécution, par rapport au but qu’elles pourraient légitimement poursuivre.

Ils font valoir plus particulièrement qu’ils seraient originaires du Kosovo, de religion musulmane et qu’en raison de leur appartenance à une minorité ethnique, à savoir celle des bosniaques, ils auraient dû fuir leur pays pour échapper aux persécutions auxquelles ces minorités seraient exposées. Ils soutiennent qu’ils ne pourraient plus retourner dans leur pays, étant donné que leur domicile serait occupé « illégalement » par des Albanais et que tous les membres de leur famille seraient réfugiés en Europe. Ils estiment que leur vie serait « sérieusement menacée dans leur pays d’origine par les groupes extrémistes albanais sans que les forces de KFOR puissent les protéger efficacement ». Ils concluent qu’en considération de ces faits, les conditions telles que prévues par l’article 14 de la loi du 18 mars 2000 portant création d’un régime de protection temporaire ; portant modification de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, seraient remplies en l’espèce et qu’ils devraient dès lors bénéficier du statut de tolérance tel que consacré par cet article.

Les demandeurs font encore valoir que le refus de leur accorder le statut de tolérance serait contraire à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dans la mesure où des « proches membres de leur famille se [trouvent] légalement au Grand-Duché de Luxembourg ».

Ils soutiennent finalement que le refus de leur accorder une autorisation de séjour serait constitutif d’une violation du principe de « l’égalité des administrés devant la loi », étant donné que des centaines de personnes se trouvant exactement dans la même situation qu’eux, auraient été régularisées.

Le délégué du gouvernement conclut en premier lieu à l’irrecevabilité de la demande en obtention du statut de tolérance, dans la mesure où les demandeurs n’auraient à aucun moment demandé à bénéficier dudit statut.

Force est cependant de constater qu’il se dégage de la demande introduite en date du 6 août 2001 par le mandataire des demandeurs que, même s’ils n’ont pas expressément utilisé le terme de « statut de tolérance », ils ont néanmoins sollicité une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires en estimant que tout éloignement éventuel vers leur pays d’origine serait contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, de sorte qu’ils se sont implicitement référés à l’article 14 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1.

l’entrée et le séjour des étrangers ; 2. le contrôle médical des étrangers ; 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

Quant au fond, le délégué du gouvernement fait valoir que les demandeurs soutiendraient en substance être originaires du Kosovo et que leur vie y serait menacée. Or, il ressortirait clairement des rapports d’audition du 8 juillet 1999 ainsi que de la décision ministérielle de refus du 31 mai 2000 que les demandeurs auraient vécu à Podgorica au Monténégro avant de venir au Grand-Duché de Luxembourg. A titre subsidiaire, et même à supposer qu’ils auraient vécu au Kosovo, il estime que les demandeurs auraient toujours la possibilité de se réinstaller au Monténégro sinon en Serbie.

Dans leur requête introductive d’instance, les demandeurs soutiennent qu’ils auraient droit à l’obtention du statut de tolérance sur base de l’article 14-1 de la loi précitée du 18 mars 2000, modifiant l’article 14 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, qui dispose que « (1) Si le statut de réfugié est refusé au titre des articles 10 ou 12 qui précèdent, le demandeur d’asile sera éloigné du territoire en conformité des dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 (…) (3) Si l’exécution matérielle de l’éloignement s’avère impossible en raison de circonstances de fait, le ministre de la Justice peut décider de le tolérer provisoirement sur le territoire jusqu’au moment où ces circonstances de fait auront cessé. (4) Une attestation de tolérance est remise à l’intéressé. (…) » Cet article vise l’hypothèse dans laquelle un demandeur d’asile s’est vu refuser le statut de réfugié et l’exécution matérielle de son éloignement s’avère impossible. Néanmoins, dans le présent cas d’espèce, les demandeurs n’apportent aucun élément permettant au tribunal de vérifier si une exécution matérielle de leur éloignement était impossible, abstraction faite de la question de savoir si effectivement une telle mesure d’éloignement avait été prise à leur encontre, dans la mesure où elle ne se trouve pas matérialisée dans la décision attaquée du 29 août 2001.

Il convient cependant de retenir que le moyen, tel que formulé par les demandeurs a en réalité trait à une éventuelle violation de l’article 14, alinéa 3 de la loi précitée du 28 mars 1972 qui dispose que « l’étranger ne peut être expulsé, ni éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations-Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

L’applicabilité de l’article 14 de la loi précitée du 28 mars 1972 et de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales est limitée à des cas exceptionnels d’éloignement forcé d’un individu vers un pays déterminé et à l’hypothèse où il existe des raisons sérieuses de croire qu’en raison de la situation particulière régnant dans le pays, l’individu en question sera exposé à un risque réel d’être soumis à un traitement discriminatoire mettant sa vie en péril.

A ce titre, il convient en premier lieu de relever que les demandeurs basent leur demande en obtention d’une autorisation de séjour uniquement sur le fait qu’ils seraient originaires du Kosovo et qu’ils ne sauraient être refoulés vers ce pays, étant donné que leur vie et leur intégrité physique et morale ne seraient pas assurées dans ce pays. En effet, ils estiment que le refus de délivrance d’une autorisation de séjour les exposerait à des traitements inhumains en cas de retour dans leur pays d’origine, en ce qu’en raison de leur appartenance à la minorité des « bochniaques », ils seraient exposés à des actes de représailles et à des menaces de la part des Albanais vivant dans leur pays d’origine, à savoir le Kosovo, d’autant plus que l’administration civile qui y est en place sous l’égide de l’ONU serait dans l’incapacité de garantir leur sécurité.

Il ressort du dossier administratif à disposition du tribunal que dans un premier temps et lors du dépôt de leur demande d’asile, les demandeurs ont indiqué que leur pays de provenance serait le Monténégro, sauf à préciser que Monsieur … serait né à Pec au Kosovo.

En effet, il ressort plus particulièrement du rapport d’audition du 6 mai 1999 que Monsieur … a indiqué avoir effectué son service militaire de 1991 à 1992 à Podgorica (Monténégro), que c’est dans cette ville qu’il a rencontré sa femme et qu’ils ont quitté Podgorica ensemble le 4 mai 1999.

Il ressort en outre clairement du rapport d’audition de Mme HUREMOVIC, qu’elle est née au Monténégro, qu’elle aurait quitté son pays par peur des Serbes, que sa peur serait liée au fait qu’elle serait musulmane et que les musulmans ne seraient pas « bienvenus au Monténégro ». Monsieur MUJONOVIC a par ailleurs clairement indiqué dans son rapport d’audition qu’avant de quitter son pays, il aurait travaillé à Podgorica, et interrogé sur la question de savoir ce qu’il voulait des autorités luxembourgeoises, il a répondu qu’il voudrait une vie normale et qu’il ne voudrait plus retourner au Monténégro.

Il est également constant que le ministre de la Justice ainsi que les juridictions administratives, dans le cadre de la demande d’asile présentée par les demandeurs, ont statué par rapport à la situation régnant au Monténégro, l’avocat ayant représenté les demandeurs à l’époque ayant exprimé les craintes de persécutions des demandeurs par rapport à la situation régnant au Monténégro et ce n’est qu’après avoir obtenu le refus définitif de leur demande en obtention du statut de réfugié qu’ils ont formulé une demande en obtention d’une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires en se basant sur leur prétendue provenance du Kosovo.

Les documents que les demandeurs versent, à ce stade de la procédure - à supposer leur authenticité établie - n’établissent cependant pas à suffisance de droit que le Kosovo est leur pays de provenance, mais uniquement que Monsieur … y est né et qu’il y a passé une partie de sa jeunesse.

Néanmoins, même à admettre que les demandeurs soient originaires du Kosovo, ils restent en défaut d’établir l’existence dans leur chef d’un risque concret et individuel de menaces graves à leur vie ou à leur liberté dans cette partie de la Yougoslavie, étant entendu que la charge de la preuve leur incombe exclusivement en matière d’éloignement des étrangers. Les craintes invoquées par les demandeurs reposent en effet exclusivement sur la situation générale des « bosniaques » au Kosovo, sans qu’ils ne fournissent des éléments permettant de dégager que considérés individuellement et concrètement, ils seraient exposés dans leur pays d’origine, que ce soit le Monténégro ou le Kosovo, à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Si le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi invoqué par les demandeurs doit certes être compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée, il n’en demeure pas moins que les demandeurs n’ont pas établi concrètement que des cas similaires à leur cas, ont abouti à l’octroi d’une autorisation de séjour dans le chef de ces personnes.

Enfin, en ce qui concerne la prétendue violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il échet de retenir qu’à défaut, par les demandeurs, d’avoir fourni des informations plus précises, ils n’ont pas établi à suffisance de droit l’atteinte que la décision en question porterait à leur vie privée et familiale avec d’autres membres de leur famille qui seraient légalement établis au Luxembourg, en ce qu’ils n’ont notamment pas apporté un quelconque élément permettant d’établir une unité familiale, au sens de la Convention précitée, qui aurait existé ou existerait avec de telles personnes.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 16 octobre 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14834
Date de la décision : 16/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-16;14834 ?

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