La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14874

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 octobre 2002, 14874


Numéro 14874 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2002 Audience publique du 14 octobre 2002 Recours formé par les époux … et … …-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14874 du rôle, déposée le 7 mai 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour

, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de...

Numéro 14874 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2002 Audience publique du 14 octobre 2002 Recours formé par les époux … et … …-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14874 du rôle, déposée le 7 mai 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse, Madame …, née le…, agissant tant en leur nom personnel qu'en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et … …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d'une décision du ministre de la Justice du 28 novembre 2001, ainsi que d’une décision implicite de rejet du même ministre suite au silence observé par ce dernier suite au recours gracieux formé pour leur compte en date du 11 janvier 2002, les deux portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 septembre 2002.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 3 juin 1999, Monsieur … et son épouse, Madame …, préqualifiés, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur leur identité.

Les époux …-… furent entendus séparément en date du 4 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux …-… par décision du 28 novembre 2001, notifiée le 11 décembre 2001, de ce que leur demande avait été rejetée au motif qu’ils n’allégueraient aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, de sorte qu’aucune crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un certain groupe social ne serait établie dans leur chef.

Le recours gracieux introduit par les époux …-… suivant courrier de leur mandataire du 11 janvier 2002 étant resté sans réponse de la part du ministre de la Justice, ils ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles explicite du 28 novembre 2001 et implicite confirmative par requête déposée le 7 mai 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Les demandeurs reprochent tout d’abord au ministre de ne pas avoir respecté un délai raisonnable au sens de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, alors que leur demande d’asile date du 3 juin 1999 et que le ministre aurait été en possession de tous les éléments requis pour instruire leur demande dans un délai raisonnable, de manière que les décisions entreprises devraient encourir l’annulation pour détournement de pouvoir et violation de la loi.

Il convient en premier lieu de relever qu’il est établi par les pièces versées au dossier que préalablement à la décision ministérielle déférée, les demandeurs ont fait l’objet d’auditions détaillées et individuelles par un agent du service de police judiciaire, ainsi que par un agent du ministère de la Justice en présence d’un traducteur assermenté.

En ce qui concerne la durée qui s’est écoulée entre l’audition des demandeurs et la prise des décisions entreprises, force est de constater que les demandeurs restent en défaut d’indiquer en quoi leurs droits auraient été lésés, étant donné que, d’une part, le ministre de la Justice est appelé à statuer sur base des déclarations des demandeurs en tenant compte de la situation telle qu’elle se présente à l’heure où il statue, c’est-à-dire qu’il doit tenir compte des changements de situation qui sont intervenus depuis l’audition du demandeur d’asile et qui sont de nature à influencer le sort à réserver à la demande d’asile et que, d’autre part, les demandeurs n’indiquent pas dans leur recours en quoi leur situation particulière ou celle de leur pays d’origine auraient évolué depuis leurs auditions sans que pareil changement n’ait été pris en considération par le ministre dans le cadre de sa décision initiale du 28 novembre 2001.

Il s’ensuit que le reproche d’une violation des droits de la défense des demandeurs ne saurait être utilement retenu en l’espèce, à défaut d’éléments concrets avancés à cet égard.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu'ils seraient originaires de Serbie, de confession musulmane et membres de la minorité bochniaque. Ils font valoir que Monsieur … aurait été un membre actif du parti politique SDA, qu'il aurait organisé des manifestations culturelles et politiques pour ce parti dans la région de Tutin, qu'il aurait fait l'objet, du fait de son engagement politique, de menaces directes et d'agressions et qu'il aurait subi, pour la même raison, des fouilles et perquisitions à son domicile de la part de la police serbe sous le prétexte de détention d'armes pour compte du parti SDA. Ils ajoutent que Monsieur … aurait été arrêté par la police et qu'il aurait subi des mauvais traitements à cette occasion pour se voir extorquer une fausse déposition concernant la détention d'armes et des activités illégales du parti SDA. Ils relèvent que Monsieur … aurait également refusé un appel pour rejoindre l'armée yougoslave pour ne pas s'associer à des actions militaires condamnées par la communauté internationale, qu'il aurait été condamné à deux mois de prison par le tribunal militaire de Tutin du fait de son insoumission et qu'il risquerait dès lors encore de ce chef de subir des persécutions de la part des autorités en place et de groupes paramilitaires soutenus par ces dernières. Les demandeurs estiment, au vu de ces éléments, qu'il existerait encore à l'heure actuelle des menaces sérieuses pour la vie de Monsieur … et que son retour avec sa famille dans son pays d'origine demeurerait impossible, étant donné que les fausses accusations lancées à l'encontre de Monsieur … pour détention d'armes cacheraient simplement la volonté des autorités de lui nuire en raison de son appartenance à la minorité bochniaque et au parti SDA. Ils reprochent au ministre d'avoir fait une appréciation erronée des faits et d'avoir à tort retenu que les faits par eux exposés ne justifieraient pas dans leur chef l'existence d'une crainte raisonnée de persécution et ils soutiennent que, pour établir si la persécution est inspirée par les opinions politiques du demandeur d'asile, il faudrait examiner si le comportement de celui-ci est perçu par les autorités comme un acte d'opposition contre le pouvoir en place, de manière qu'une simple abstention devrait être considérée, le cas échéant, comme suffisante pour admettre l'existence d'une crainte justifiée de persécution, la persécution se caractérisant en effet par l'interprétation faite par les autorités de l'attitude du demandeur d'asile.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant l’activité politique de Monsieur …, il y a lieu de retenir que, si les activités dans un parti d'opposition peuvent le cas échéant justifier des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève, force est en l'espèce de constater qu’il se dégage des éléments en cause que les poursuites de la police et les traitements infligés à Monsieur …, tels qu'épinglés par les demandeurs se trouvent du moins en partie en relation avec des accusations de trafic d'armes et d'agissements terroristes des frères de Monsieur …. L’ensemble de ces faits ne trouve partant du moins en partie pas sa cause dans les opinions politiques de Monsieur … en tant que telles mais dans certains agissements susceptibles d’être constitutifs d’infractions de droit commun réprimables dans tout Etat de droit. S’y ajoute que les faits concrets invoqués par les demandeurs tenant aux traitements infligés à Monsieur … lors de sa détention au poste de police relèvent certes d'une pratique condamnable, mais unique, alors que Monsieur … a déclaré lui-même qu'il n'a plus été maltraité pour la suite.

Il y a lieu d’ajouter qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ et de mettre en lumière qu’il est indéniable que depuis le départ des demandeurs, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée, qu’un processus de démocratisation est en cours et que les demandeurs n’ont pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’ils ne puissent pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Les actes de poursuite engagés par les autorités compétentes à l'encontre de Monsieur … ne peuvent partant pas être qualifiés d’actes de nature à faire naître une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif de persécution des demandeurs tiré de l'insoumission de Monsieur …, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-

mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève. En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risque à l’heure actuelle de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Il résulte des développements qui précèdent que les demandeurs restent en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre leur a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

PAR CES MOTIFS Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 octobre 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14874
Date de la décision : 14/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-14;14874 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award