La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14747

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 octobre 2002, 14747


Tribunal administratif N° 14747 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mars 2002 Audience publique du 10 octobre 2002

=============================

Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14747 et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mars 2002 par Maître Guillaume RAUCHS, avocat à la Cour, assisté de Maître Isabelle HOMO, avocat, tous les deux inscrits

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Kinshasa, de nationalité c...

Tribunal administratif N° 14747 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 mars 2002 Audience publique du 10 octobre 2002

=============================

Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

-------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14747 et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 mars 2002 par Maître Guillaume RAUCHS, avocat à la Cour, assisté de Maître Isabelle HOMO, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Kinshasa, de nationalité congolaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 août 2001, notifiée le 15 janvier 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 25 février 2002;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 août 2002 au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Isabelle HOMO et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 11 décembre 2000, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu les 21 décembre 2000 et 18 janvier 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 28 août 2001, notifiée le 15 janvier 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Vous avez quitté le Congo à bord d’un avion en compagnie d’un passeur. Vous n’avez pas donné de détails concernant le trajet. Vous êtes arrivé au Luxembourg en date du 11 décembre 2000 et votre demande en obtention du statut de réfugié date du même jour.

Il résulte de vos déclarations que vous auriez été garde de corps du fils de Mobutu.

Vous voudriez rester au Luxembourg, car vous risqueriez d’être tué par les militaires et par la population congolaise. Vous seriez recherché depuis février 1998 par les militaires de Kabila pour avoir travaillé pour le fils de Mobutu. Des militaires seraient venus chez vous et vous auraient frappé et poignardé dans le bras. Ensuite, ils vous auraient arrêté et conduit au quartier général de l’Agence Nationale de Renseignement. Votre mère aurait aussi été arrêtée pour avoir protesté contre votre emprisonnement, mais elle aurait été libérée après 24 heures.

Vous ajoutez que vous auriez été maltraité en prison. Le lendemain de votre emprisonnement vous auriez été conduit avec d’autres prisonniers près du fleuve Zaïre en vue de votre exécution. Cependant, le chef vous aurait entendu pleurer et vous aurait laissé fuir, car il aurait parlé votre dialecte. Il vous aurait conseillé de quitter le Congo pour toujours. Vous vous seriez enfui à Bita, car vous n’auriez pas pu quitter le Congo du fait que les frontières auraient été fermées. En novembre 2000, deux personnes en civil seraient venues à Bita. Des villageois vous auraient dénoncé. Vous auriez été frappé, mais vous auriez réussi à fuir. Vous pensez que vous seriez tué par les troupes de Kabila. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater qu’à défaut de pièces, un demandeur d’asile doit au moins pouvoir présenter un récit crédible et cohérent. Or, les contradictions et les invraisemblances contenues dans votre récit laissent planer des doutes quant à l’intégralité de votre passé et quant au motif de fuite invoqué.

Ainsi, le rapport de la Police Judiciaire retient que vous auriez atterri au Findel dans le même avion qui vous a amené du Congo en Belgique où vous auriez fait escale. Vous avez pareillement expliqué que le passeur aurait gardé votre passeport. Par contre, vous avez expliqué devant l’agent du Ministère de la Justice que vous n’auriez pas fait d’escale pour venir au Luxembourg. De plus, le passeur vous aurait procuré un passeport, mais vous ne pourriez pas dire à quel nom il était établi.

Par ailleurs, il est invraisemblable que le chef qui aurait fait exécuter d’autres prisonniers devant vos yeux et qui aurait également donné l’ordre de vous exécuter vous aurait épargné au dernier moment, lorsqu’il aurait entendu que vous parliez son dialecte et qu’il vous aurait même conseillé de quitter le Congo.

Il est tout aussi peu probable que vous n’auriez pas pu quitter le Congo à ce moment-

là, car il y a suffisamment de frontières naturelles pour pouvoir quitter le pays inaperçu.

De même, il est difficile de croire qu’une seule semaine a passé entre le moment de l’envoi de la lettre à votre père et le moment où il a trouvé un passeur pour vous emmener en Europe. Il ne faut pas oublier que d’un côté vous étiez selon vos dires caché dans une région très égarée du Congo et que d’un autre côté votre père aurait également dû vendre votre parcelle pendant ce court laps de temps pour vous faire voyager. Par ailleurs, d’après mes renseignements, les voies de communication au Congo sont détériorées.

J’insiste également sur le fait que les problèmes sérieux quant à la crédibilité de votre récit sont encore confortés par l’absence de tout élément de preuve tangible.

Votre emprisonnement et l’exécution à laquelle vous auriez échappé de peu – même à supposer ces faits établis – ne constituent pas, à eux seuls, des motifs de reconnaissance du statut de réfugié, dès lors que vous n’établissez pas qu’ils étaient dus à une persécution en raison d’un des motifs énumérés à la Convention de Genève.

Enfin, les autres motifs invoqués (maltraitances), même à supposer ces maltraitances établies, ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 12 février 2002, M. … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 28 août 2001.

Par décision du 25 février 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 27 mars 2002, M. … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 28 août 2001 et 25 février 2002.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Dans ce contexte, il expose être originaire de Kinshasa et de nationalité congolaise, que pendant les années 1995 et 1997, il aurait était au service du président MOBUTU et qu’il aurait été garde de corps de sa famille, que suite à la prise de pouvoir par M. KABILA, les rebelles militaires de ce nouveau régime auraient reçu l’ordre de rechercher toutes les personnes qui ont été au service de l’ancien président en vue de les « arrêter et torturer », qu’il aurait été « dénoncé via l’Agence Nationale de Renseignements (ANR) » et arrêté en février 1998 par les partisans du nouveau président, qu’immédiatement après son arrestation, il aurait été torturé et que le lendemain de cette arrestation, il aurait été conduit auprès du fleuve Zaïre en vue d’être exécuté, qu’au vu des exécutions qui auraient eu lieu devant ses yeux, il aurait été terrifié et aurait pleuré en gémissant dans son dialecte appelé « Ngombe », que le chef des militaires, qui aurait parlé le même dialecte que lui, aurait eu pitié de lui et l’aurait laissé partir, de sorte qu’il n’aurait eu d’autres possibilités que de fuir son pays.

Le demandeur soutient qu’au vu de son appartenance aux services du président MOBUTU, il serait considéré par les nouvelles autorités de son pays comme un « farouche partisan » de l’ancien président et comme faisant partie de l’opposition politique du nouveau régime, qu’il aurait déjà été torturé par ces autorités et qu’en cas de retour forcé dans son pays d’origine, il devrait craindre de subir de nouvelles menaces, persécutions et pressions de tous genres. Il fait encore valoir qu’il serait le père de deux enfants qui vivraient encore actuellement au Congo et qu’il n’aurait jamais quitté sa famille, s’il n’avait craint pour son intégrité physique.

Il estime finalement qu’il ressortirait de rapports d’organisations internationales que la situation au Congo serait toujours désastreuse, que des civils et surtout des partisans de l’ancien régime feraient encore actuellement l’objet de persécutions et de condamnations, et que par ailleurs les droits de l’homme n’y seraient pas respectés.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. … lors de ses auditions en date des 21 décembre 2000 et 18 janvier 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il convient en premier lieu de retenir que le ministre de la Justice a relevé au sujet du récit du demandeur un certain nombre de contradictions et d’invraisemblances, telles qu’inventoriées notamment dans sa décision du 28 août 2001 ci-avant libellée, qui ébranlent la crédibilité du récit du demandeur.

Par ailleurs, même en faisant abstraction des contradictions relevées par le ministre dans sa décision de refus, il y a lieu de relever que les affirmations du demandeur restent à l’état de simples allégations faute par lui de produire le moindre élément de preuve objectif les concernant et le récit du demandeur est extrêmement vague et non autrement circonstancié, de sorte que le tribunal arrive à la conclusion que le demandeur n’a pas établi à suffisance de droit d’avoir fait l’objet de persécutions pour un des motifs énoncés à l’article 1er, section A, § 2 de la Convention de Genève.

Ceci dit et même à supposer les faits à la base de sa demande d’asile établis, il y a lieu de retenir que le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, à savoir des représailles ou mauvais traitements de la part du gouvernement actuellement en place, mais il reste en défaut de démontrer concrètement que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place se livrent encore actuellement à des actes de violence à l’encontre « d’opposants politiques », étant entendu que le seul fait concret dont le demandeur fait état, à savoir son appartenance à la garde de l’ancien président MOBUTU, à le supposer établi, n’est pas de nature à justifier à l’heure actuelle la reconnaissance du statut de réfugié.

Enfin, les craintes de persécutions en raison de la situation générale tendue dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait actuellement, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 10 octobre 2002, par le vice-président, en présence de M.

Schmit, greffier.

Schmit Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14747
Date de la décision : 10/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-10;14747 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award