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10/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14742

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 octobre 2002, 14742


Tribunal administratif N° 14742 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mars 2002 Audience publique du 10 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14742, déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2002 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale HANSEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l

’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. …, né le … à Srebrenik (Bosnie-Herzégovine), demeurant ac...

Tribunal administratif N° 14742 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mars 2002 Audience publique du 10 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14742, déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2002 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale HANSEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. …, né le … à Srebrenik (Bosnie-Herzégovine), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 décembre 2001, notifiée le 14 janvier 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 26 février 2002;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en ses plaidoiries.

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En date du 16 février 2001, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date des 23 février et 19 mars 2001 sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 17 décembre 2001, notifiée le 14 janvier 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1982/1983 en Serbie. Vous auriez été mobilisé par l’armée yougoslave pendant la guerre de Bosnie et vous auriez été envoyé sur le front. Vous expliquez que le 3 juillet 1993, vous auriez profité du fait que les deux lignes adverses étaient très proches pour déserter et passer dans le camp bosniaque. Cette tentative aurait eu lieu de nuit, mais vous auriez été aperçu et capturé par les militaires yougoslaves.

Vous auriez été placé dans une prison avec d’autres déserteurs, insoumis et prisonniers. A l’occasion de votre détention, vous auriez été frappé à de nombreuses reprises. Vous seriez resté en prison pendant trois mois et cinq jours. Vous dites avoir participé à la guerre de Bosnie de 1993 à 1995.

Vous exposez aussi que, par la suite, vous auriez eu des problèmes avec les autorités tant bosniaques que serbes. En effet, bien que d’origine bosniaque, vous seriez rejeté en Bosnie pour avoir pris les armes contre votre pays pendant la guerre.

Quant aux autorités serbes, elles vous considéreraient toujours comme ressortissant bosniaque et ne tolèrent pas votre présence sur le territoire serbe. Vous vivriez donc en Bosnie dans l’illégalité, vous trouvant dans l’impossibilité de vous inscrire à la commune et d’obtenir une carte d’identité ou un passeport.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, la désertion est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution au sens de l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève de 1951. De même, la seule crainte de peines du chef de désertion ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. Le fait que vous auriez été maltraité lors de votre emprisonnement pour désertion est certes à condamner, mais ne saurait à lui seul constituer un motif valable de reconnaissance du statut de réfugié, d’autant plus que ce fait relate de 1993. Par ailleurs, après l’entrée en vigueur des Accords de Dayton, vous ne risquez plus d’avoir des problèmes du fait de cette désertion.

En ce qui concerne les chicaneries quotidiennes que vous dites subir aussi bien par les autorités administratives serbes que bosniaques, celles-ci constituent des pratiques certes condamnables et regrettables, mais ne sont pas d’une gravité telle qu’elles justifient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951. Ainsi, le fait d’avoir résidé sans obtenir des papiers en Bosnie ne constitue certainement pas un acte de persécution, car il ne rentre pas dans le cadre d’un motif de persécution prévu par la Convention de Genève de 1951.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 14 février 2002, M. … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 17 décembre 2001.

Par décision du 26 février 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 26 mars 2002, M. … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 17 décembre 2001 et 26 février 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Dans ce contexte, il expose qu’il serait parti travailler en Serbie dans les années 1980 et qu’il y aurait fait son service militaire au courant des années 1982 et 1983, que lors de la guerre menée contre la Bosnie, il aurait été mobilisé par l’armée fédérale serbe, qu’il aurait tenté de déserter de l’armée serbe, étant donné qu’il aurait refusé de participer dans une guerre qui aurait été menée contre son pays natal, qu’il aurait été arrêté par des militaires serbes lors de sa tentative de désertion et qu’il aurait été mis en prison pendant 3 mois, en affirmant que pendant son séjour en prison, il aurait été maltraité. Il conclut finalement qu’il aurait participé à la guerre de Bosnie pendant les années 1993 à 1995.

Concernant les motifs de persécution à la base de sa demande d’asile, il fait valoir que ses problèmes auraient commencé en 1996 lors de son retour en Bosnie, dans la mesure où les autorités bosniaques lui auraient refusé de se déclarer à la commune et de recevoir des papiers d’identité, au motif qu’il serait un traître pour avoir travaillé pour la Serbie et d’avoir mené la guerre contre eux. Il fait valoir qu’il aurait été contraint de vivre dans l’illégalité jusqu’à son départ pour le Luxembourg. Ainsi, il n’aurait pas été couvert par la sécurité sociale qui n’aurait dès lors pas pris en charge les frais médicaux exposés pour ses enfants et qu’il n’aurait pas obtenu un permis de travail. Il expose également que les autorités serbes auraient refusé de le laisser résider sur leur territoire en raison de sa nationalité bosniaque.

Il estime finalement que la situation générale en Bosnie-Herzégovine serait loin d’être stable et que l’attitude des autorités en place à l’égard des minorités n’aurait pas changé.

Sur ce, il estime qu’il ferait valoir des craintes justifiées de persécutions et il demande à se voir reconnaître le statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. … lors de ses auditions en date des 23 février et 19 mars 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le seul motif de persécution dont le demandeur fait état à travers son recours contentieux, à savoir qu’il devrait vivre dans « l’illégalité » dans son pays natal, étant donné que les autorités communales refuseraient son inscription à la commune, de sorte qu’il n’aurait pu obtenir ni un permis de travail ni l’inscription à la sécurité sociale pour lui-

même ainsi que pour sa femme et ses deux enfants, il y a lieu de retenir que ces éléments, même à les supposer établis, n’établissent pas un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à l’heure actuelle, intolérable dans son pays d’origine.

Dans ce contexte, il y a également lieu de relever qu’il ressort du rapport d’audition que sa femme et ses enfants seraient restés en Bosnie-Herzégovine où ils vivraient auprès de ses parents qui y posséderaient des terres. Par ailleurs, il a encore précisé que le défaut d’inscription aux registres de la commune n’aurait pas empêché que ses enfants puissent normalement fréquenter l’école et qu’il n’aurait pas subi d’autres persécutions dans son pays.

Quant au renvoi par le demandeur à la situation générale instable en Bosnie-

Herzégovine, il y a lieu de retenir que les considérations avancées par le demandeur se rapportent en substance à l’existence d’un climat général d’insécurité, situation qui n’établit pas un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que sa vie et celle de sa famille seraient, à raison, intolérables dans son pays d’origine.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Nonobstant le fait que le demandeur n’était pas représenté à l’audience publique à laquelle l’affaire avait été fixée pour les débats oraux, l’affaire est réputée jugée contradictoirement à l’égard de toutes les parties, la procédure étant essentiellement écrite devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 10 octobre 2002, par le vice-président, en présence de M.

Schmit, greffier.

Schmit Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14742
Date de la décision : 10/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-10;14742 ?

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