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09/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14721

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 octobre 2002, 14721


Tribunal administratif N° 14721 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mars 2002 Audience publique du 9 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14721 et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2002 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d

e M. …, né le … à Bar (Monténégro/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation...

Tribunal administratif N° 14721 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mars 2002 Audience publique du 9 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14721 et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2002 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Bar (Monténégro/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 décembre 2001, notifiée le 16 janvier 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 26 février 2002, suite à un recours gracieux introduit par le demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en ses plaidoiries.

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Le 10 août 2001, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu le 21 août 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 12 décembre 2001, notifiée le 16 janvier 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté la Macédoine le 4 août 2001 pour aller en bus à Zagreb/Croatie. Là, vous avez vécu quatre jours chez une tante. Vous avez ensuite pris place dans une camionnette blanche et vous avez quitté la Croatie pour le Luxembourg. Vous ne pouvez donner de précision quant au trajet emprunté si ce n’est que vous avez traversé la Slovénie et l’Autriche.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 10 août 2001.

Vous exposez que vous n’avez pas fait votre service militaire. En 1997, vous vous seriez présenté au concours d’entrée de la police, mais vous auriez été refusé. Un mois et demi avant de partir au Luxembourg, vous auriez été convoqué à l’armée. Vous ne vous y seriez pas présenté pour n’avoir pas à choisir votre camp entre les Albanais et les Macédoniens. Vous auriez appris après votre départ que vous étiez recherché et vous dites que des sanctions vous attendent. Vous précisez que vos deux frères et vos parents ont également quitté la Macédoine. Vous ajoutez encore que vous avez séjourné en Allemagne entre 1992 et 1995 grâce à une « Duldung ».

Vous dites aussi que vous auriez été membre d’un parti appelé Alternative Démocrate.

Vous expliquez qu’il s’agit d’un parti plutôt nationaliste et anti-albanais mais que cette adhésion avait été sollicitée par votre employeur. Vous pensez que votre adhésion à ce parti a été la cause de votre convocation à l’armée. Vous dites aussi que la situation serait peu sûre pour les musulmans et qu’ils feraient l’objet de provocations.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. De même, l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

Il est d’ailleurs à constater qu’un accord est intervenu en Macédoine entre les forces macédoniennes et l’UCK albanaise. Les troupes de l’OTAN ont pacifié la région et les Albanais ont déposé les armes.

Enfin, les autres faits invoqués ne sont pas d’une gravité telle qu’une persécution au sens de la Convention de Genève puisse être établie car ils reflètent surtout un sentiment d’insécurité générale.

Eu égard à ces circonstances, je dois constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève, c’est-à-dire une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 12 février 2002, M. … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 décembre 2001.

Par décision du 26 février 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 22 mars 2002, M. … a fait introduire un recours tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées.

Un recours au fond étant prévu par l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le recours en réformation, qui a par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait né au Monténégro, mais qu’il aurait résidé en dernier lieu dans la ville de Skopje en Macédoine, pays dont il aurait également acquis la nationalité et qu’il appartiendrait à la minorité des slaves musulmans, qu’il aurait quitté son pays d’origine à cause de son refus de donner suite à une convocation, lui parvenue au mois de juillet 2001, pour le service militaire, que son insoumission serait motivée par son refus de prendre part à la guerre que les Macédoniens mèneraient contre les Albanais, étant relevé qu’il refuserait de prendre position pour un groupe plutôt que pour l’autre. Sur ce, le demandeur fait ajouter qu’à cause de son insoumission, il risquerait d’être sanctionné pénalement et d’être soumis à des traitements discriminatoires. Dans un deuxième ordre d’idées, il soutient avoir été contraint, par son patron, de devenir membre du parti « Alternative Démocratique », parti qui se serait radicalisé en faveur de la cause macédonienne et tourné contre les Albanais, de sorte qu’il serait également en droit de craindre des représailles de membres de la communauté albanaise.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 21 août 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission du demandeur, le tribunal constate que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement il risque encore de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, et qu’il n’est pas non plus établi à suffisance qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre du chef de son insoumission, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Macédoine et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement macédonien le 7 mars 2002 et visant les déserteurs et insoumis de l’armée macédonienne pendant la crise que le pays a connu au cours de l’année 2001.

Concernant les craintes du demandeur à l’égard de la communauté slave non-

musulmane en raison de sa religion musulmane, respectivement ses craintes envers la communauté albanaise à cause de son engagement au parti « Alternative Démocratique », il convient de rappeler qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

Or, en l’espèce les craintes exprimées par le demandeur en raison de la prétendue hostilité tant des non-musulmans que des Albanais à son égard en raison respectivement de sa religion musulmane et de son appartenance politique et de la situation générale tendue dans son pays d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, dans son recours contentieux, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre de la part de membres des différentes communautés en Macédoine, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de Macédoine, étant entendu qu’il n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place. - Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière qu’il est indéniable que depuis le départ du demandeur, la situation politique en Macédoine s’est considérablement modifiée (cessez-le-feu, pacification de l’UCK, accords d’Ohrid, loi d’amnistie) et que le demandeur n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des autorités en place.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer une requête introductive d’instance, le jugement est rendu contradictoirement entre parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 9 octobre 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14721
Date de la décision : 09/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-09;14721 ?

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