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07/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14636

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 octobre 2002, 14636


Tribunal administratif N° 14636 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2002 Audience publique du 7 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14636 déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2002 par Maître Fränk ROLLINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né

le … à Belgrade (Serbie/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’an...

Tribunal administratif N° 14636 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2002 Audience publique du 7 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14636 déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2002 par Maître Fränk ROLLINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Belgrade (Serbie/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 août 2001, notifiée le 4 décembre 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 29 janvier 2002;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 juin 2002 par Maître Fränk ROLLINGER ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Fränk ROLLINGER et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 22 décembre 1998, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 30 septembre 1999 sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 20 août 2001, notifiée le 4 décembre 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Vous exposez ne pas avoir fait le service militaire, tout en précisant que vous auriez reçu une convocation pour l’examen médical à laquelle vous n’auriez pas donné suite. Vous ajoutez que vous auriez accepté de faire le service si la guerre était menée contre un pays tiers. Vous auriez quitté votre pays à cause de la guerre et des mauvais traitements. Vous expliquez par ailleurs qu’il n’y aurait pas de lois en Yougoslavie. Ainsi, alors que vous auriez travaillé comme informaticien, la police civile serait venue un jour pour amener tout votre matériel informatique, cela sans raison et sans base légale. De plus, vous auriez souvent subi des contrôles d’identité par la police. Vous ne voudriez pas retourner dans votre pays d’origine, car vous auriez peur de la haine et des mauvais traitements. Cette peur serait motivée par votre religion. Vous insistez sur le fait que vous n’auriez pas quitté votre pays pour des raisons économiques. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Les motifs que vous invoquez (retrait de matériel par la police civile, contrôles arbitraires par la police) ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la prédite Convention.

Force est de constater que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 2 janvier 2002, M. … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 20 août 2001.

Par décision du 29 janvier 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 1er mars 2002, M. … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 20 août 2001 et 29 janvier 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur reproche d’abord au ministre le non-respect d’un délai raisonnable, ainsi qu’une violation de ses droits de la défense en ce que la décision déférée du 20 août 2001 aurait été prise seulement après l’écoulement d’un délai de quelques 36 mois après son audition, de sorte que le ministre n’aurait pas tenu compte « de nouveaux éléments susceptibles d’avoir une incidence sur le sort de la demande d’asile ». Il estime que l’instruction du dossier serait ainsi viciée, dans la mesure où le ministre se serait basé sur un dossier incomplet, « voire erroné », pour lui refuser le statut de réfugié.

Il convient en premier lieu de relever qu’il est établi par les pièces versées au dossier que préalablement à la décision ministérielle du 20 août 2001, le demandeur a fait l’objet d’une audition détaillée et individuelle par un agent du ministère de la Justice en présence d’un traducteur assermenté.

En ce qui concerne la durée qui s’est écoulée entre l’audition du demandeur et la prise de la décision du 20 août 2001, à savoir un délai de 23 mois, force est de constater qu’un long délai d’instruction n’est pas en soi préjudiciable pour un demandeur d’asile et qu’en l’espèce, le demandeur reste en défaut d’indiquer en quoi ses droits auraient été lésés. Il échet par ailleurs de relever que, d’une part, le ministre de la Justice est appelé à statuer sur base des déclarations du demandeur d’asile en tenant compte de la situation telle qu’elle se présente à l’heure où il statue, c’est-à-dire qu’il doit tenir compte des changements de situation qui sont intervenus depuis l’audition du demandeur d’asile et qui sont de nature à influencer le sort à réserver à la demande d’asile et, d’autre part, le demandeur n’indique pas dans son recours en quoi sa situation particulière ou celle de son pays d’origine auraient évolué depuis son audition sans que pareil changement n’ait été pris en considération par le ministre dans le cadre de sa décision initiale ou de celle confirmative.

Il s’ensuit que le reproche d’un délai d’instruction trop long et d’une violation des droits de la défense du demandeur ne saurait être utilement retenu en l’espèce.

Concernant le bien-fondé de sa demande d’asile, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Dans ce contexte, il expose que son père, travaillant à l’époque pour l’ambassade yougoslave aux Etats-Unis, aurait dû retourner avec sa famille en 1991 en Yougoslavie suite à la rupture des relations diplomatiques entre ces deux pays. Il fait valoir que son père aurait ensuite travaillé auprès du M.U.P. (ministère de l’Intérieur) au Monténégro jusqu’en 1994. Il soutient qu’à partir de novembre 1998, sa famille aurait fait l’objet de nombreuses menaces de mort à cause des activités professionnelles que son père aurait eu auprès du M.U.P. et il soutient avoir été la cible de ces menaces, de sorte qu’il aurait préféré quitter son pays. Il estime finalement que son refus de se présenter au contrôle médical, ainsi que l’attitude que la police aurait eu envers sa personne constitueraient des indices qui l’auraient amené à croire que sa vie était sérieusement menacée en Yougoslavie.

Sur ce, il estime qu’il ferait valoir des craintes justifiées de persécutions et il demande à se voir reconnaître le statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur se réfère à des articles de journaux pour soutenir que la situation actuelle au Monténégro serait encore très instable.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. … lors de son audition en date du 30 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le seul motif de persécution dont le demandeur fait état à travers son recours contentieux, à savoir qu’il aurait reçu des menaces de mort en raison des activités professionnelles de son père qui aurait travaillé de 1991 à 1994 auprès du ministère de l’Intérieur de la République fédérale de Yougoslavie, outre le fait que le demandeur n’a précisé ni pour quelles raisons lui ou sa famille auraient reçu ces menaces, alors que son père travaillait à l’époque pour les dirigeants au pouvoir, ni qui leur aurait adressé de telles menaces, il y a lieu de retenir que ce motif n’établit pas un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui aurait été ou lui serait, à l’heure actuelle, intolérable dans son pays d’origine. Cette conclusion s’impose au regard de la considération qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière qu’il est indéniable que depuis le départ du demandeur, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que le demandeur n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il risque encore de faire l’objet de poursuites, de persécutions ou de discriminations en raison des activités professionnelles de son père auprès du M.U.P..

Par ailleurs, même à supposer établi que des proches parents du demandeur aient été persécutés pour une des raisons visées par la Convention de Genève, encore faut-il que des circonstances particulières soient établies desquelles il se dégage que le demandeur d’asile risque de subir le même sort. Or, en l’espèce, il n’est non seulement pas établi que le père de Monsieur …, qui se trouve encore actuellement au Monténégro, a effectivement été persécuté, mais encore il ne se dégage pas des éléments de la cause que le demandeur risque de subir un sort identique.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 7 octobre 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14636
Date de la décision : 07/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-07;14636 ?

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