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07/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14631

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 octobre 2002, 14631


Tribunal administratif N° 14631 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2002 Audience publique du 7 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14631 et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2002 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no

m de Monsieur …, né le …. à Tirana (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, ...

Tribunal administratif N° 14631 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2002 Audience publique du 7 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14631 et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2002 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …. à Tirana (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 25 juillet 2001, notifiée le 6 décembre 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 29 janvier 2002;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Edmond DAUPHIN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 5 février 2001, Monsieur …, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg ainsi qu’en date du 18 mai 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 25 juillet 2001, notifiée le 6 décembre 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Vous exposez que votre frère aurait été emprisonné en Albanie depuis le 27 janvier 2001 à cause de son appartenance au parti démocratique. Vous ajoutez qu’il était simple membre dudit parti. Deux jours après l’arrestation de votre frère, vous auriez reçu une convocation pour vous présenter à la police sans qu’il n’y soit pour autant indiqué pour quelle raison votre présence serait nécessaire. Vous pensez cependant que ce serait en relation avec l’arrestation de votre frère. Vous n’y auriez pas donné suite et vous craindriez à présent d’être arrêté et emprisonné pour ne pas avoir comparu à la convocation. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique et vous n’avez pas été personnellement persécuté.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Si des persécutions pour une des raisons énoncées à l’article 1er, section A,2 de la Convention de Genève contre des proches parents peuvent, compte tenu de circonstances particulières, justifier une crainte légitime de subir le même sort, force est cependant de constater que de telles circonstances particulières n’existent pas dans votre cas.

De même, vous restez en défaut de communiquer le moindre élément de preuve établissant que votre frère serait emprisonné pour une des raisons énoncées à la Convention de Genève voire même qu’il serait membre du parti démocratique.

A cela s’ajoute que la vie politique s’est stabilisée dans toute l’Albanie. Ainsi, il y a notamment eu un rapprochement entre le parti démocratique et le parti socialiste au courant de l’année 1999. Une persécution systématique de membres de l’opposition de la part du régime actuellement en place est à exclure.

Même à supposer l’emprisonnement de votre frère établi, il ne peut être exclu qu’il soit incarcéré à cause d’une infraction de droit commun. De même, alors que vous expliquez vous-même que la convocation que vous auriez reçue – à la supposer établie – serait muette concernant les motifs, il pourrait tout aussi bien s’agir d’une convocation de droit commun, étrangère à toute idée de persécution politique. Il ne faut pas oublier que vous avez expliqué ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécuté.

Il ressort de ce qui précède que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 4 janvier 2002, M. … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 25 juillet 2001.

Par décision du 29 janvier 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 1er mars 2002, M. BABACIC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 25 juillet 2001 et 29 janvier 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer que suite à l’arrestation de son frère en date du 27 janvier 2001 en raison de son appartenance au parti démocratique, il aurait reçu une convocation pour se présenter à la police, sans qu’il y soit indiqué un quelconque motif. Il aurait alors préféré quitter son pays, craignant pour sa sécurité, dans la mesure où il aurait également été un sympathisant du parti démocratique et qu’il aurait effectué un travail de propagande au sein du prédit parti. Il estime que « l’insinuation » du ministre que son frère aurait été arrêté pour une infraction de droit commun serait « inacceptable » et méconnaîtrait la réalité politique régnant en Albanie.

Sur ce, il estime qu’il ferait valoir des craintes justifiées de persécutions et il demande à se voir reconnaître le statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, Suljaj, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition du 18 mai 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Force est de retenir que le demandeur se réfère d’une manière générale à la situation instable régnant dans son pays, sans fournir la moindre précision par rapport à sa situation personnelle. Le tribunal retient que le demandeur n’a pas fait valoir des éléments suffisamment précis et circonstanciés desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir des traitements discriminatoires, de sorte qu’en l’espèce, en l’absence d’un quelconque élément individuel et concret, la crainte exprimée par le demandeur s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Concernant l’argument du demandeur que son frère aurait été emprisonné en raison de ses prétendues activités politiques, force est de constater que le demandeur a déclaré lors de son audition que son frère aurait été simple membre du parti démocratique et qu’il aurait uniquement participé à des manifestations et réunions dudit parti. Les déclarations du demandeur, qui ne sont ni précises ni appuyées sur un quelconque élément de preuve tangible, ne renseignent par ailleurs pas sur le motif pour lequel son frère ait été particulièrement exposé en raison de ses activités politiques et quel aurait été son rôle et sa fonction au sein du parti démocratique. En outre, même à supposer que le frère du demandeur aurait été persécuté pour des motifs politiques, il n’est nullement établi que le demandeur, qui a déclaré lors de son audition en date du 18 mai 2001 ne pas avoir eu d’activités politiques et ne pas être membre d’un parti politique, de même qu’il a déclaré ne jamais avoir personnellement subi des persécutions, devrait également craindre d’être persécuté. A ce titre, il y a lieu de retenir que l’affirmation du demandeur qu’il aurait reçu une convocation pour se présenter à la police est restée à l’état de pure allégation. C’est à bon droit que le délégué du gouvernement a relevé par ailleurs qu’une convocation, ne mentionnant pas les motifs à sa base, pourrait tout aussi bien s’analyser en une convocation en rapport avec une infraction de droit commun, étrangère à toute idée de persécution politique.

Il découle des considérations qui précèdent que le demandeur n’a pas prouvé qu’il a effectivement été persécuté et même à admettre qu’il aurait reçu une convocation pour se présenter à la police, il reste en défaut d’établir qu’il s’agit d’une persécution au sens de la Convention de Genève.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation;

le déclare également recevable en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 7 octobre 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14631
Date de la décision : 07/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-07;14631 ?

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