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07/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14062

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 octobre 2002, 14062


Tribunal administratif N° 14062 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 octobre 2001 Audience publique du 7 octobre 2002 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14062 du rôle, déposée le 22 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Berane (M

onténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame …, née le … à Tutin (Serbie/Yougoslavie)...

Tribunal administratif N° 14062 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 octobre 2001 Audience publique du 7 octobre 2002 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14062 du rôle, déposée le 22 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Valérie DUPONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Berane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame …, née le … à Tutin (Serbie/Yougoslavie), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants communs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 juillet 2001, notifiée en date du 7 août 2001, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 24 septembre 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2002;

Vu le mémoire en réplique des demandeurs déposé au greffe du tribunal administratif le 20 février 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Eric MULLER, en remplacement de Maître Valérie DUPONG et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 7 juin 1999, Monsieur … ainsi que son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 7 juin 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux …-…, par lettre du 23 juillet 2001, notifiée en date du 7 août 2001, de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous auriez reçu un appel pour la réserve. Vous auriez commencé le 1er mai 1999, mais vous auriez déserté après 15 jours.

Vous auriez peur d’être condamné par le tribunal militaire. Vous précisez aussi que les Serbes auraient également peur du service militaire. Vous relevez que votre peur s’expliquerait par le fait que vous êtes musulman. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique et vous n’avez pas été personnellement persécuté.

Madame, vous exposez que votre mari aurait déserté de l’armée et que vos enfants auraient peur de la situation à tel point qu’ils seraient complètement effrayés. Vous admettez ne pas avoir été personnellement persécutée tout en précisant que les musulmans ne seraient pas traités de manière normale en Serbie. Il y aurait eu des menaces, des maltraitances et des insultes. Vous relevez par ailleurs avoir peur de la guerre et de la situation en général. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, la désertion est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef de désertion ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Madame, des différences de traitement ainsi que des menaces, des maltraitances et des insultes dirigées contre les musulmans en général ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Force est de constater que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives en Serbie du 23 décembre 2000. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Un recours gracieux, introduit par le mandataire des époux …-… en date du 4 septembre 2001 auprès du ministère de la Justice, dirigé contre la décision précitée du 23 juillet 2001, a été rejeté par une décision confirmative du prédit ministre du 24 septembre 2001.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 22 octobre 2001, les époux …-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … ont introduit un recours en réformation contre les décisions précitées des 23 juillet et 24 septembre 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de leur situation de fait, au motif que leur situation spécifique serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution dans leur pays d’origine au sens de la Convention de Genève.

Ils font exposer plus particulièrement qu’ils seraient originaires de Novi Pazar situé au Sandzak en Serbie et de confession musulmane, que leur départ de leur pays d’origine serait motivé par le fait que Monsieur … aurait déserté de l’armée yougoslave deux semaines après avoir été convoqué en vue de l’accomplissement de son service de réserve militaire, à un moment où il y avait la guerre au Kosovo, en raison du fait qu’il aurait eu peur de la guerre et qu’il aurait refusé de combattre aux côtés d’un « gouvernement totalitaire tel que celui de Milosevic ». Ils craignent qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, la désertion de Monsieur … risquerait d’être sanctionnée moyennant une condamnation pénale militaire d’une sévérité disproportionnée et que la loi d’amnistie ne leur serait pas applicable.

Sur base des faits ainsi soumis au tribunal, les demandeurs estiment devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs font encore valoir que non seulement la désertion de Monsieur … s’expliquerait par des raisons de conscience, mais encore en raison des appels « incessants de la communauté internationale », par lesquels les jeunes militaires auraient été incités à déserter l’armée yougoslave pour refuser ainsi leur collaboration à un régime politique « unanimement condamné au regard des droits de l’homme ». Par ailleurs, ils estiment que dans la mesure où la désertion constituerait une infraction continue, qui ne cesserait qu’à partir du moment où le prévenu se présente aux autorités militaires afin de régulariser sa situation, elle ne tomberait pas sous le champ d’application de la loi d’amnistie telle que votée en Yougoslavie.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives en date du 7 juin 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que la désertion, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Par ailleurs, les demandeurs restent en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans leur chef en raison de la prétendue désertion.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par les demandeurs tenant au fait que la désertion constituerait un délit continu et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits qui auraient cessé avant le 7 octobre 2000, c’est-à-dire aux situations d’insoumission ou de désertion qui auraient été régularisées avant cette date par une présentation volontaire de l’intéressé devant les autorités compétentes, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm.

18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié).

Il y a encore lieu de relever dans ce contexte que le Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qu’il n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Concernant enfin les craintes de persécution des demandeurs en raison de leur confession musulmane et de la situation générale au Sandzak, force est de constater qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que les demandeurs, considérés individuellement et concrètement, risquent de subir des traitements discriminatoires en raison de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou que de tels traitements leur auraient été infligés dans le passé.

Dans ce contexte, il convient encore de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ et de mettre en lumière, qu’il est indéniable que depuis le départ des demandeurs, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que les demandeurs n’ont pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’ils risquent encore de faire l’objet de poursuites, de persécutions ou de discriminations en raison de leur appartenance à la minorité des bochniaques.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 7 octobre 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14062
Date de la décision : 07/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-07;14062 ?

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