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02/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14719

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 octobre 2002, 14719


Tribunal administratif N° 14719 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mars 2002 Audience publique du 2 octobre 2002

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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14719 et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2002 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Mme …, née le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la ré...

Tribunal administratif N° 14719 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mars 2002 Audience publique du 2 octobre 2002

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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14719 et déposée au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2002 par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, née le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 6 décembre 2001, notifiée le 16 janvier 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 26 février 2002, suite à un recours gracieux introduit par la demanderesse;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2002 au nom de la demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sarah TURK, en remplacement de Maître Pascale PETOUD et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 24 octobre 2001, Mme … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Mme … fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale.

Elle fut en outre entendue le 26 octobre 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 6 décembre 2001, notifiée le 16 janvier 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivée au Luxembourg avec un visa Schengen et vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 24 octobre 2001.

Vous exposez que vos ennuis auraient été causés par l’entrée volontaire de votre frère dans la police. En effet, au moment de la mobilisation, beaucoup d’hommes allaient à la réserve ou entraient dans la police. Votre frère aurait choisi la police et vous auriez été, de ce fait, victime de menaces et de coups de téléphone anonymes. Vous auriez été menacé de viol.

Vous ajoutez que la police aurait été dans l’impossibilité de vous protéger, ignorant de qui venaient ces menaces. De plus, l’armée yougoslave aurait recherché votre frère. Des gens auraient aussi jeté des pierres sur votre maison.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifié de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je constate d’abord que le régime politique en Yougoslavie a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un Président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancienne régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE. De plus, l’ancien Président MILOSEVIC a été traduit devant le Tribunal Pénal International de La Haye, ce qui montre l’esprit de collaboration dont la Yougoslavie fait preuve actuellement.

Quant aux faits que vous invoquez, à les supposer établis, ils ne sont pas d’une gravité telle qu’une persécution au sens de l’article 1er A.2 de la Convention de Genève puisse être établie. Il ressort surtout de vos déclarations que vous avez un sentiment d’insécurité, ce qui ne constitue pas non plus une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En outre, on voit mal comment vous auriez pu être persécutée du fait que votre frère avait fait partie de la police.

Enfin, je prends acte de ce que vous pensez que vos problèmes ne sont pas liés à la religion.

Vous n’alléguez donc aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A.2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 14 février 2002, Mme … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 6 décembre 2001.

Par décision du 26 février 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 22 mars 2002, Mme … a fait introduire un recours tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées.

Un recours au fond étant prévu par l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le recours en réformation, qui a par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Au fond, la demanderesse fait exposer qu’elle serait originaire de la ville de Bijelo Polje située au Monténégro et de confession musulmane, qu’elle aurait quitté son pays d’origine en raison de sa peur pour son intégrité physique et sa vie, au motif qu’elle aurait fait l’objet de menaces, notamment de viol, à cause des activités politiques de son frère, qui aurait appartenu au parti politique d’opposition « DPS » et qui se serait par la suite engagé dans la police militaire du Monténégro, qui, selon la demanderesse, se serait opposée à la police militaire fédérale.

Or, comme la police n’aurait pas pu la protéger efficacement et comme beaucoup d’exactions auraient été commises dans la région contre des musulmans, elle n’aurait pas vu d’autre issue que celle de quitter son pays et de chercher refuge à l’étranger.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Mme ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition en date du 26 octobre 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres de la minorité musulmane au Monténégro et plus particulièrement d’anciens opposants au régime de M. MILOSEVIC, ainsi que des membres de leurs familles, il est vrai que leur situation générale était difficile et qu’ils étaient particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’était cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée et tout opposant au régime de M. MILOSEVIC serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Or, en l’espèce, le délégué du gouvernement relève à juste titre que la demanderesse ne fait pas état de maltraitances caractérisées, mais qu’elle allègue simplement avoir fait l’objet de menaces téléphoniques anonymes, lesquelles, même à les supposer établies, n’établissent pas un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement sont insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans. Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance de la demanderesse et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière, qu’il est indéniable que depuis le départ de la demanderesse, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que la demanderesse n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’elle ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 2 octobre 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14719
Date de la décision : 02/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-02;14719 ?

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