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02/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14698

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 octobre 2002, 14698


Tribunal administratif N° 14698 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2002 Audience publique du 2 octobre 2002

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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14698 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2002 par Maître Sarah TURK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme

…, née le … à Ljubov-Istok (Kosovo/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformati...

Tribunal administratif N° 14698 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2002 Audience publique du 2 octobre 2002

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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14698 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2002 par Maître Sarah TURK, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mme …, née le … à Ljubov-Istok (Kosovo/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 30 novembre 2001, notifiée le 15 janvier 2002, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 26 février 2002, suite à un recours gracieux introduit par la demanderesse;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Sarah TURK et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 16 juillet 2001, Mme … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Mme … fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue le 20 juillet 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 30 novembre 2001, notifiée le 15 janvier 2002, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Il résulte de vos déclarations, Madame, que vous auriez quitté votre pays d’origine à bord d’une voiture immatriculée en Allemagne qui vous aurait amenée directement au Luxembourg, transitant par la Hongrie et l’Allemagne.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié politique le jour de votre arrivée.

Vous exposez que des problèmes avec votre mari seraient à l’origine de votre fuite.

Ainsi votre mari et vous, vous êtes tous les deux de confession musulmane. Mais vous, ayant grandi au Kosovo, vous dites avoir d’autres conceptions de la religion que votre mari, qui lui est né en Serbie. Vous déclarez que vos différences d’opinion seraient devenues tellement grandes, que la vie serait devenue insupportable pour vous. Vous auriez alors quitté la Serbie, où vous étiez installé avec votre mari, pour rentrer au Kosovo. Mais là aussi, vous ne vous seriez plus sentie à l’aise parce que vous auriez peur des Albanais, qui vous auraient insultée et harcelée.

Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et de ne pas avoir subi des persécutions à votre égard.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifié de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Madame, les problèmes conjugaux que vous invoquez sont d’ordre personnel et n’entrent pas dans le cadre de la protection de ladite Convention.

Les autres motifs (peur des Albanais, insultes etc.) traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. En outre des Albanais ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la prédite Convention.

A cela s’ajoute que depuis que l’armée fédérale yougoslave a quitté ce territoire, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, est installée au Kosovo pour assurer la coexistence pacifique entre les différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Enfin, la situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le 8 février 2002, Mme … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 30 novembre 2001.

Par décision du 26 février 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 19 mars 2002, Mme … a fait introduire un recours tendant à la réformation des deux décisions ministérielles précitées.

Un recours au fond étant prévu par l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le recours en réformation, qui a par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Au fond, la demanderesse reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la situation générale au Kosovo et la gravité des motifs de persécution qu’elle a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Dans ce contexte, elle expose être de confession musulmane et d’appartenir à la minorité des « bochniaques », que malgré la présence de forces internationales au Kosovo, la situation des minorités resterait incertaine et dangereuse et que les Albanais persécuteraient maintenant les non-albanais, lesquels seraient limités dans l’exercice des droits et libertés élémentaires, notamment le droit de se déplacer librement. En ce qui la concerne plus particulièrement, elle expose avoir été insultée parce qu’elle ne parlerait que peu d’albanais.

Elle ajoute qu’à deux reprises des inconnus auraient tenté de la « tirer » dans une voiture et que la majorité de ses frères et sœurs se seraient déjà réfugiés à l’étranger.

Elle expose encore que des problèmes conjugaux l’auraient amené à quitter son mari et ses trois enfants, qui résideraient toujours au Sandzak (Serbie), pour retourner auprès de ses parents dans sa région d’origine, le Kosovo, et elle précise qu’à l’appui de sa demande d’asile, elle n’invoquerait pas ses problèmes conjugaux et sa situation en Serbie, mais uniquement sa situation au Kosovo, où elle se serait réinstallée après avoir quitté son mari.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Mme ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition en date du 20 juillet 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle à l’égard des demandeurs d’asile dans leur pays de provenance en général et dans leur région d’origine en particulier – en l’occurrence, la province du Kosovo, où la demanderesse s’était installée auprès de ses père et mère, après avoir quitté son mari et ses enfants – et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des musulmans slaves, il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, notamment par la population albanaise, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a encore lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par la demanderesse en raison de sa religion, de son appartenance ethnique et de la situation générale tendue au Kosovo, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que la demanderesse ne fait ni état de maltraitances caractérisées ni ne démontre-t-elle que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, étant entendu qu’elle n’a pas fait état de l’un quelconque fait concret qui serait de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 2 octobre 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14698
Date de la décision : 02/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-02;14698 ?

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