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02/10/2002 | LUXEMBOURG | N°14146

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 octobre 2002, 14146


Tribunal administratif N° 14146 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2001 Audience publique du 2 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14146 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2001 par Maître Daniel PHONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité chinoise, demeurant actuellement à L-…,...

Tribunal administratif N° 14146 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 novembre 2001 Audience publique du 2 octobre 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14146 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2001 par Maître Daniel PHONG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, de nationalité chinoise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 25 septembre 2001 lui refusant l’octroi d’une autorisation de séjour en faveur de son épouse, Madame…, née le …(Chine) et de ses trois enfants mineurs …, né le …, …, né le … et …, née le … ;

Vu l’ordonnance rendue par le président de la première chambre du tribunal administratif en date du 22 février 2002 ayant prorogé le délai légal pour déposer un mémoire en réponse de sorte à expirer, sous peine de forclusion, le lundi, 8 avril 2002 ainsi que de proroger les délais légaux pour déposer un mémoire en réplique, respectivement un mémoire en duplique en conséquence ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 mars 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2002 par Maître Daniel PHONG, au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Alban COLSON, en remplacement de Maître Daniel PHONG, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 septembre 2002 ;

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Par décision du 25 septembre 2001, le ministre de la Justice refusa de faire droit à la demande en obtention d’une autorisation de séjour présentée par Monsieur … pour compte de son épouse, Madame … et de ses trois enfants mineurs…, … et …, demeurant en Chine, au motif « qu’il ressort d’un rapport de la police de … que vous ne disposez pas d’un logement adéquat pour accueillir les personnes concernées ».

Par courrier de son mandataire datant du 8 octobre 2001 Monsieur … fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée en faisant valoir que suivant attestation du propriétaire datée du 3 octobre 2001 il disposerait d’un logement gratuit dans le cadre de son contrat de travail composé comme suit : « trois chambres d’une surface totale de 50 m2 (une chambre de 18 m2 pour le couple et deux chambres de 16 m2 pour leurs trois enfants) ; un salon de 12 m2 ; une salle de bain comprenant un WC de 10 m2 ».

Le ministre ayant confirmé, par courrier du 15 octobre 2001, sa décision antérieure du 25 septembre 2001 à défaut d’élément pertinent nouveau, Monsieur … a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 25 septembre 2001 par requête déposée en date du 8 novembre 2001.

Aucun recours au fond n’étant prévu en la matière, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal. Le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur conclut à l’annulation de la décision déférée en faisant valoir que ce serait à tort que le ministre a retenu que le logement dont il dispose ne serait pas adéquat pour accueillir sa famille, étant donné que le logement en question aurait une superficie de 72 m2 et répondrait aux critères posés par l’article 5 du règlement grand-

ducal du 25 février 1979 déterminant les critères de location, de salubrité ou d’hygiène auxquels doivent répondre les logements destinés à la location, ainsi qu’à ceux posés par la loi modifiée du 25 février 1979 concernant l’aide au logement.

Il conclut en outre que la décision déférée contreviendrait à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la Convention européenne des droits de l’homme » et plus particulièrement au droit au regroupement familial en découlant. Il fait valoir plus particulièrement à cet égard que la décision ministérielle déférée constituerait une ingérence dans son droit au respect de la vie privée et familiale qui ne se justifierait ni par un impératif de sécurité nationale, de sûreté publique, de bien-

être économique du pays, de défense de l’ordre et de prévention des infractions pénales, ni par un impératif de protection de la santé ou de la morale ou de protection des droits et libertés d’autrui au sens de l’article 8 alinéa 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Le délégué du Gouvernement rétorque que les informations fournies en cause par le demandeur relativement à son logement d’une superficie totale de 72 m2 seraient à compléter par un élément important, en l’occurrence la circonstance que ledit logement serait partagé avec une autre famille composée de trois personnes, dont deux adultes et un enfant, de sorte que le logement en question serait en fait occupé par huit personnes, de manière à ne pas répondre aux critères posés par la loi modifiée du 25 février 1979 précitée ainsi que par l’article 5 du règlement grand-ducal du 25 février 1979 précité.

Concernant le moyen basé sur une violation alléguée de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le représentant étatique fait valoir que pour qu’il y ait ingérence au sens de ladite disposition, il faudrait établir l’existence d’une vie familiale effective ainsi que l’impossibilité pour les intéressés de mener une vie familiale dans un autre pays, conditions qui ne seraient pas réunies en l’espèce, alors qu’il ressortirait clairement du dossier administratif que le demandeur n’a plus vécu avec sa famille depuis au moins l’année 1995. Il relève qu’il serait par ailleurs loisible au demandeur de mener une vie familiale normale dans un autre pays, en l’espèce son pays d’origine, la Chine.

Dans son mémoire en réplique le demandeur fait valoir que par contrat de bail conclu en date du 30 mars 2002, son employeur lui a donné en location une maison d’habitation composée d’un living-room, de 5 chambres et d’une salle de bains et que l’absence de cuisine se justifierait par le fait qu’il serait nourri gratuitement par le restaurant pour lequel il est employé en qualité de cuisinier. Il se réfère au plan de surface annexé audit contrat de bail pour soutenir que la surface habitable totale de son nouvel appartement s’élèverait à 67,14 m2, de manière à répondre aux critères invoqués par le ministre et, dans le cadre de la procédure contentieuse, par le délégué du Gouvernement pour être largement supérieure à la surface habitable minimale exigée pour accueillir cinq personnes. Il soutient en outre que même s’il n’a plus vécu avec les siens depuis 1995, il aurait régulièrement pourvu à l’entretien de sa famille sous forme de virements bancaires intervenus sur une base annuelle depuis 1996.

Il convient d’examiner d’abord le moyen d’annulation tiré de la violation du droit au regroupement familial invoqué par le demandeur par rapport à son épouse et ses trois enfants mineurs demeurant en Chine.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » La notion de famille sur laquelle repose l’article 8 prérelaté inclut, même en l’absence de cohabitation, l’existence de liens entre une personne et son conjoint et ses enfants.

Pour rencontrer l’argument du représentant étatique consistant à dire que faute d’avoir vécu avec les siens depuis 1995, il ne pourrait plus se prévaloir d’une vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le demandeur fait valoir que même s’il n’a effectivement plus vécu avec les siens depuis 1995, il a régulièrement pourvu à l’entretien de sa famille sous forme de virements bancaires, le soutien financier afférent étant documenté en cause par un certificat établi par l’agence de la banque de Chine au district de Qingtian établi en date du 3 avril 2002 suivant lequel Monsieur … a viré à son épouse les sommes suivantes en tant que frais de subsistance : « 1996 – 200.000 FB, 1997 – 200.000 FB, 1998 – 200.000.- FB, 1999 – 200.000.- FB, 2000 – 100.000 FB, 2001 – 200.000.- FB, 2002 – 3200 € ».

Il est constant que le droit au regroupement familial, revendiqué en l’espèce à partir du droit au respect de la vie familiale ancré à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme s’articule autour du noyau familial proprement dit du demandeur, en l’occurrence son épouse et ses trois enfants mineurs, de même que la préexistence d’une vie familiale effective entre le demandeur et sa famille avant son installation au Grand-Duché de Luxembourg n’est pas contestée en cause.

Dans la mesure où il n’est pas non plus contesté que le demandeur a régulièrement subvenu aux besoins de sa famille en Chine à travers une aide financière considérable versée sur une base annuelle, il y a lieu d’admettre qu’en dépit du caractère différé de l’immigration familiale, une rupture de la vie familiale effective n’est pas établie en cause.

Face au désir du demandeur, séjournant régulièrement au pays, de se faire rejoindre par sa famille la plus proche, l’argument du représentant étatique consistant à soutenir que la famille DU pourrait s’établir tout aussi bien en Chine, ne saurait utilement mettre en échec le droit au regroupement familial invoqué à l’appui du recours sous examen.

Quant au motif de refus basé sur le caractère inadéquat du logement pour accueillir les personnes concernées, force est de constater que conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’ingérence d’une autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie familiale doit à la fois être prévue par la loi et constituer une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.

Au delà de la question de savoir si l’exigence, dans le chef d’une personne prétendant au regroupement familial, de disposer d’un logement adéquat pour accueillir ses proches peut, dans son principe, être considérée comme étant une mesure nécessaire s’inscrivant dans les prévisions des dispositions prérelatées de la Convention européenne des droits de l’homme, force est de constater que faute d’être expressément prévu par la loi en tant que motif de refus d’une autorisation de séjour sollicitée par application du droit au respect de la vie familiale, ledit motif de refus ne saurait en tout état de cause utilement mettre en échec le droit du demandeur de se voir rejoindre par sa famille au Grand-Duché de Luxembourg. En effet, si les critères de la surface minimale d’un logement destiné à la location sont certes ancrés dans une loi, celle-ci reste néanmoins étrangère quant à son objet à la matière de l’entrée et du séjour des étrangers, de sorte qu’à défaut de base légale érigeant les dits critères directement au rang de motif de refus d’une autorisation de séjour, les conditions posées pour qu’il y ait ingérence d’une autorité publique dans l’exercice du droit au respect de la vie familiale prévu par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ne sont pas remplies en l’espèce.

Aucun autre motif de refus n’ayant été avancé en cause, la décision ministérielle déférée encourt partant l’annulation pour défaut de motivation valable.

Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit justifié ;

partant annule la décision ministérielle déférée du 25 septembre 2001, telle que confirmée par le ministre en date du 15 octobre 2001 et renvoie l’affaire devant le ministre de la Justice ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 octobre 2002 par :

Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge M. Spielmann, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14146
Date de la décision : 02/10/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-10-02;14146 ?

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