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30/09/2002 | LUXEMBOURG | N°14736

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 septembre 2002, 14736


Tribunal administratif N° 14736 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mars 2002 Audience publique du 30 septembre 2002

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Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14736 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2002 par Maître Sarah TURK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l

’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, et de son épouse Madame …, née le …, ag...

Tribunal administratif N° 14736 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 mars 2002 Audience publique du 30 septembre 2002

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Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14736 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 mars 2002 par Maître Sarah TURK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, et de son épouse Madame …, née le …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur …, né le …, tous de nationalité macédonienne, demeurant actuellement ensemble à L-

…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 février 2002, portant confirmation d’une décision antérieure du même ministre du 12 novembre 2001, notifiée le 15 janvier 2002, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Georges WEILAND, en remplacement de Maître Sarah TURK, et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 septembre 2002.

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Le 29 juin 2001, les époux … et …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux …-… furent entendus en outre séparément en date du 11 juillet 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 12 novembre 2001, notifiée le 15 janvier 2002, le ministre de la Justice informa les consorts …-… de ce que leur demande avait été rejetée aux motifs que la situation d’insoumission de Monsieur …, même à la supposer établie, ne serait pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef, de même que la simple appartenance à un parti politique ne saurait suffire à cet égard, ce d’autant plus que Monsieur … aurait admis ne jamais avoir eu de problèmes à cause de son adhésion au parti politique PCERM, respectivement au parti politique PERM. Quant à la situation particulière des Roms en Macédoine invoquée par les demandeurs, le ministre a souligné qu’il ne résulterait pas des allégations des époux …-… qu’ils risqueraient d’être persécutés de ce chef pour un des motifs prévus par la Convention de Genève.

Par courrier de leur mandataire datant du 8 février 2002, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle du 12 novembre 2001.

Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 26 février 2002, ils ont fait introduire, par requête déposée en date du 26 mars 2002, un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 26 février 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir que la décision ministérielle déférée relèverait d’une appréciation inexacte de la situation actuelle de la Macédoine, ainsi que de leur situation personnelle et plus particulièrement du fait qu’ils sont de confession musulmane et appartiennent à la minorité ethnique des Roms vivant en Macédoine. Ils exposent plus particulièrement à cet égard que la guerre du Kosovo et l’intervention de l’OTAN auraient profondément ébranlé le pays, que l’intolérance interethnique aurait été réouverte et que les communautés se seraient franchement tournées le dos, de sorte qu’en Macédoine deux principaux rivaux se heurteraient, en l’occurrence les Albanais d’une part et les Macédoniens d’autre part. Ils rappellent en outre, avoir signalé lors de leur audition que Monsieur … n’aurait pas voulu être volontaire à la réserve lors de la mobilisation ayant eu lieu au cours des mois de février et mars 2001, étant donné qu’il se serait trouvé « entre le marteau et l’enclume » en ce sens que la minorité des Roms dont il fait partie se trouverait entre les deux camps pour avoir des affinités avec les deux en raison de sa religion musulmane et de sa citoyenneté macédonienne. Dans la mesure où cette mobilisation n’aurait plus été limitée aux seuls volontaires, Monsieur …, en vu d’éviter une mobilisation forcée au risque de devoir tuer des compatriotes, sinon des coreligionnaires, aurait décidé, ensemble avec sa femme et son fils, de prendre la fuite. Les demandeurs font état en outre de craintes de persécution du fait de leur origine Rom et se réfèrent à cet égard au sort réservé à cette minorité au Kosovo, tout en faisant valoir qu’il ne faudrait pas sous-estimer le stress continu dû aux humiliations que vivent les communautés minoritaires marquées par l’accumulation d’harassements quotidiens.

Tout en admettant ne pas avoir fait jusqu’à présent l’objet de persécutions personnelles, les demandeurs estiment qu’il n’appartiendrait pas à la personne qui réclame le statut de réfugié d’établir qu’elle a déjà été persécutée, mais qu’elle peut également rentrer sous les prévisions de la Convention de Genève lorsqu’elle essaie d’éviter de se trouver dans une situation où elle pourrait faire l’objet de telles persécutions.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les consorts …-… lors de leurs auditions respectives en date du 11 juillet 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont les demandeurs font état, à savoir leur appartenance à la minorité des Roms, il convient de relever que s’il est vrai que la situation des Roms peut être difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que toute personne appartenant à ladite minorité serait de ce seul fait exposée à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

En l’espèce, les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils risquent individuellement de faire l’objet de discriminations ou de maltraitances, voire que les autorités actuellement en place dans leur pays d’origine seraient incapables de leur fournir une protection adéquate ou toléreraient des actes de persécution commis à leur encontre, de sorte qu’en l’absence d’éléments individuels et concrets pertinents, la crainte exprimée par les demandeurs s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Concernant ensuite les craintes de persécution en raison des activités politiques de Monsieur …, il échet de relever que s’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que Monsieur … indique simplement avoir été membre des partis politiques en question sans affirmer avoir exercé des activités politiques plus poussées. Par ailleurs, les agressions et pressions ne revêtent pas une gravité suffisante pour valoir comme motif d’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Concernant les motifs de persécution ayant trait au fait que Monsieur … a pris la fuite pour éviter un enrôlement forcé, il convient de rappeler d’abord que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine, du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou des opinions politiques, ainsi que le prévoit l’article 1er, section A.2. de la Convention de Genève, ceci au-delà même du fait qu’il ne ressort en l’espèce pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … aurait risqué de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risquerait le cas échéant d’encourir en raison d’une désertion éventuelle serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou encore que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Il se dégage de l’ensemble des développements qui précèdent que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 septembre 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M.Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14736
Date de la décision : 30/09/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-09-30;14736 ?

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