La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/09/2002 | LUXEMBOURG | N°14722

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 septembre 2002, 14722


Numéro 14722 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mars 2002 Audience publique du 25 septembre 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14722 du rôle, déposée le 22 mars 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrit au table

au de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, détenteur d’une ...

Numéro 14722 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 mars 2002 Audience publique du 25 septembre 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14722 du rôle, déposée le 22 mars 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Pascale PETOUD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, détenteur d’une carte d’identité jordanienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 octobre 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 26 février 2002, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2002;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2002 par Maître Pascale PETOUD pour compte de Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Georges WEILAND, en remplacement de Maître Pascale PETOUD et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 septembre 2002.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Le 13 octobre 1998, Monsieur …, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur … fut entendu en date du 31 mars 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur … par décision du 15 octobre 2001, notifiée par courrier recommandé du 3 janvier 2002, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif que ses dires refléteraient davantage un sentiment général d’insécurité qu’une véritable crainte de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 6 février 2002 ayant été rencontré par une décision confirmative du ministre du 26 février 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du 15 octobre 2001 et confirmative du 26 février 2002 par requête déposée le 22 mars 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait palestinien, né à Khalil en Israël, de sorte qu’aucun Etat ne lui reconnaîtrait sa nationalité, qu’il aurait participé en 1987 à la première « Intifada » contre l’Etat d’Israël au cours de laquelle il aurait été arrêté et battu à coups de crosse de fusil dans le ventre, qu’il aurait fui suite à ces faits en Jordanie où le mouvement de la résistance islamique HAMAS lui aurait fourni une aide morale et financière lui ayant permis de poursuivre ses études et qu’il aurait rejoint, en contre-partie, ce mouvement en participant à des réunions, en collant des affiches, en distribuant des tracts et en recrutant de nouveaux membres. Le demandeur ajoute qu’il aurait été arrêté le 15 novembre 1991 par la police jordanienne en tant que membre du HAMAS, mouvement politique interdit en Jordanie, et mis en prison durant 45 jours, qu’il aurait été interrogé de manière répétée durant son emprisonnement sur d’autres membres du HAMAS, qu’il aurait subi lors de ces interrogatoires des violences physiques ayant notamment causé une blessure grave de son oeil droit, mais qu’il aurait été relâché et soumis à un contrôle judiciaire strict pendant trois mois. Le mouvement HAMAS lui aurait payé, après sa libération, l’opération chirurgicale de son œil droit et lui aurait rendu possible la reprise d’une activité professionnelle en tant que magasinier dans un restaurant appartenant aux « Frères musulmans ». Après avoir travaillé ensuite en tant que chauffeur de taxi à son propre compte, le demandeur affirme avoir été le chauffeur personnel d’un leader du HAMAS, Awad EL AJRAMI, connu sous le nom de Abou MANCHOUR et que, suite à un attentat commis contre le chef du bureau politique du HAMAS, probablement organisé par les services de renseignements israéliens, ce mouvement lui aurait donné l’ordre de quitter la Jordanie pour se rendre en Iran dans un camp d’entraînement militaire. Le demandeur fait valoir qu’ayant été conscient de la signification et des conséquences d’un entraînement militaire en Iran, il aurait décidé de fuire le mouvement HAMAS au cours du voyage en voiture en direction de l’Iran, étant donné qu’il serait persuadé que seule une solution pacifique pourrait servir la cause palestinienne. Le demandeur conclut de l’ensemble de ces éléments qu’il serait dans l’impossibilité de retourner tant à Hébron alors qu’Israël refuserait son retour et de retourner, qu’en Jordanie pour avoir été arrêté en tant que membre du HAMAS, tout en ajoutant qu’il risquerait d’encourir les représailles du mouvement HAMAS suite à sa désertion, d’autant plus que les autorités israéliennes et palestiniennes ne seraient pas capables de lui fournir une protection efficace.

Le délégué du Gouvernement rétorque que le mouvement HAMAS ne saurait être considéré comme agent de persécution au sens de la Convention de Genève et qu’il ne ressortirait pas du dossier que le demandeur ait effectivement recherché la protection soit de l’Etat israélien, soit de l’Etat jordanien et que cette protection lui aurait été refusée. Le représentant étatique ajoute que le mouvement HAMAS serait une organisation terroriste dont le « modus operandi consiste dans des attentats à la bombe, des attentats suicides ainsi que l’assassinat de militaires israéliens » et qu’une personne ayant fait partie d’un tel groupement ne saurait pas bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève au-delà du fait que le gouvernement émettrait des doutes sérieux quant à la crédibilité des explications du demandeur « comme quoi il serait tout d’un coup devenu pacifiste et qu’il aurait déserté du HAMAS ». Il relève enfin que le dernier acte de maltraitance reproché aux autorités jordaniennes remonterait à l’année 1991 et qu’une persécution de la part des autorités israéliennes ou jordaniennes ne ressortirait pas du dossier.

Le demandeur fait répliquer que l’affirmation du délégué du Gouvernement selon laquelle il ne ressortirait pas du dossier qu’il aurait recherché la protection de l’Etat israélien ou de l’Etat jordanien serait dénuée de fondement et démontrerait une méconnaissance de la situation des Palestiniens, étant donné qu’il ne pourrait plus rechercher une protection contre une action du HAMAS ni de l’Etat israélien du fait de sa participation à la première « Intifada », ni de l’Etat jordanien suite à son emprisonnement en tant que membre du HAMAS.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 31 mars 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte-rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Dans la mesure où il ressort des éléments en cause que le demandeur a quitté la région d’Hébron en 1987 et s’est établi depuis lors en Jordanie, ce dernier Etat doit être qualifié comme étant son pays d’origine, de sorte que sa demande d’asile est à analyser par rapport à la seule situation existant dans cet Etat.

Le demandeur se prévaut en premier lieu d’un risque de persécution de la part de l’Etat jordanien même du fait de sa qualité de membre du mouvement interdit HAMAS. Or, mis à part son emprisonnement au cours de l’année 1991 et les traitements subis à cette occasion, le demandeur ne fait état d’aucun acte récent et concret de persécution intervenu depuis lors, mais se borne à mentionner une obligation répétée de se présenter à la police, non autrement précisée dans le temps, et le fait qu’il serait toujours sous surveillance des autorités jordaniennes. Force est de constater que ces éléments non autrement circonstanciés doivent être taxés d’insuffisants pour justifier l’existence dans le chef du demandeur d’une crainte valable de persécution de la part de l’Etat jordanien pouvant subsister à l’heure actuelle, d’autant plus que le demandeur déclare ne plus faire partie à l’heure actuelle du mouvement HAMAS.

En second lieu, le demandeur avance une crainte de persécution de la part du mouvement HAMAS et un défaut de protection de la part des autorités jordaniennes. Or, un défaut de protection de la part des autorités étatiques ne saurait être admis dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais implique un refus des autorités à accorder, pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève, au demandeur d’asile le bénéfice d’un niveau suffisant de dissuasion contre la commission d’actes de persécution par des tiers. L’existence de ce défaut de protection doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile qui doit également établir qu’il a concrètement recherché cette protection (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, n° 73 et suivants).

En l’espèce, le moyen afférent du demandeur se limite à la simple affirmation générale « que l’actualité nous démontre quotidiennement l’impossibilité pour les autorités israéliennes comme palestiniennes de faire face à la menace terroriste et de protéger efficacement les civils », ainsi qu’à l’allégation d’un défaut de protection de la part des autorités jordaniennes suite à son emprisonnement en 1991, sans que ces affirmations ne soient illustrées par le moindre élément versé au dossier, voire mis en relation avec son cas concret. Force est par ailleurs de constater que le demandeur reste en défaut d’établir, voire de faire état de démarches concrètes de recherche de protection auprès desdites autorités après avoir quitté le mouvement interdit en Jordanie.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance l’existence d’une persécution ou d’un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 septembre 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14722
Date de la décision : 25/09/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-09-25;14722 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award