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23/09/2002 | LUXEMBOURG | N°14699

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 septembre 2002, 14699


Tribunal administratif N° 14699 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2002 Audience publique du 23 septembre 2002

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Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14699 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2002 par Maître Sarah TURK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’

Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse Madame …, née le…, de na...

Tribunal administratif N° 14699 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2002 Audience publique du 23 septembre 2002

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Recours formé par les époux … et … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14699 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2002 par Maître Sarah TURK, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse Madame …, née le…, de nationalité yougoslave, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants…, …, et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 février 2002, portant confirmation d’une décision antérieure du même ministre du 14 décembre 2001, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Georges WEILAND, en remplacement de Maître Sarah TURK, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 septembre 2002.

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Le 8 août 2001, les époux …-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, les époux …-… furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux …-… furent entendus en outre séparément en date du 16 août 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 14 décembre 2001, notifiée le 22 janvier 2002, le ministre de la Justice informa les consorts …-… de ce que leur demande avait été rejetée aux motifs qu’ils resteraient en défaut d’établir, concrètement, que leur situation individuelle serait telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donnée qu’une persécution systématique des minorités ethniques serait actuellement à exclure au Kosovo, que de plus les Albanais du Kosovo ne sauraient être considérés comme étant des agents de persécution au sens de la Convention de Genève et que les autres faits par eux invoqués ne seraient pas non plus d’une gravité telle qu’ils puissent fonder une crainte de persécution rentrant dans les prévisions de ladite Convention, mais qu’ils relèveraient plutôt d’un sentiment général d’insécurité.

Par courrier de leur mandataire datant du 8 février 2002, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle du 14 décembre 2001.

Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 26 février 2002, ils ont fait introduire, par requête déposée en date du 19 mars 2002, un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées du 14 décembre 2001 et 26 février 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils sont de confession musulmane et appartiennent à la minorité ethnique des bochniaques. Ils soutiennent que la motivation à la base des décisions de refus déférées serait loin de correspondre à la situation réelle au Kosovo, étant donné que si les troupes de la KFOR tendaient certes de faire respecter tant bien que mal la paix dans cette province, il n’en demeurerait pas moins que la situation serait devenue insoutenable pour toutes les minorités et surtout pour les minorités non albanaises telles les bochniaques. Ils se réfèrent plus particulièrement à la fréquence et à la gravité de nombreux incidents pour illustrer la fragilité générale du Kosovo et ils estiment qu’il ne faudrait pas sous-estimer le stress continu dû aux humiliations vécues par les communautés minoritaires. Ils font valoir plus particulièrement que les Albanais du Kosovo continueraient à exercer de fortes pressions sur les minorités ethniques, que de ce fait ces groupes auraient un accès restreint au travail et aux services essentiels de soins, d’éducation et aux autres services publics, que leur maison aurait été cambriolée, que Monsieur … se serait fait voler tous ses outils de travail et que la plainte pour vol par lui portée auprès de la KFOR se serait limitée à un constat des dégâts sans que les autorités en place n’aient pu leur apporter une protection efficace. Estimant que les faits ainsi invoqués seraient loin de relever d’un sentiment général d’insécurité, mais traduiraient de véritables persécutions morales, physiques et psychologiques de la part des Albanais liées à leur appartenance au groupe social des bochniaques, ils concluent à la réformation des décisions déférées, en faisant valoir qu’elles relèveraient d’une appréciation inexacte de faits.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les consorts …-… lors de leurs auditions respectives en date du 16 août 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place, de sorte qu’une crainte de persécution de la part des autorités actuellement en place ne saurait être valablement admise.

En outre, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, en l’espèce des Albainais du Kosovo, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant 1998, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence et de persécution à leur encontre, mais ne démontrent pas à suffisance que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo. Il convient de rappeler, dans ce contexte, en ce qui concerne la situation des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « Bochniaques », que s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes ou discriminations par des groupes de la population albanaise du Kosovo, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité visée aurait de ce seul chef raison de craindre une persécution au sens de la Convention de Genève, mais il doit faire valoir des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir des traitements discriminatoires, de sorte qu’en l’espèce, en l’absence d’éléments individuels et concrets suffisamment graves, la crainte exprimée par les demandeurs s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il ressort de l’ensemble des développements qui précèdent que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Le recours en réformation est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 septembre 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14699
Date de la décision : 23/09/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-09-23;14699 ?

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