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23/09/2002 | LUXEMBOURG | N°12626

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 septembre 2002, 12626


Tribunal administratif N° 12626 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 décembre 2000 Audience publique du 23 septembre 2002

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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12626 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’

Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le…, de nationalité yougoslave, demeurant actue...

Tribunal administratif N° 12626 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 décembre 2000 Audience publique du 23 septembre 2002

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Recours formé par Madame …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12626 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 26 juillet 2000, lui notifiée le 21 septembre 2000, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 8 novembre 2000 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 septembre 2002.

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En date du 26 mai 1999, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … fut entendue le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue en date du 6 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 26 juillet 2000, notifiée le 21 septembre 2000, le ministre de la Justice informa Madame … de ce que sa demande avait été rejetée au motif que la crainte des Albanais par elle invoquée ne rentrerait pas dans les prévisions de la Convention de Genève, étant donné que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire et qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies a été mise en place et que nombreuses personnes ayant quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’ancienne République yougoslave de Macédoine, auraient réintégré leur foyer après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

Par courrier de son mandataire datant du 23 octobre 2000, Madame … a fait introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 26 juillet 2000. Celui-

ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 8 novembre 2000, elle a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 26 juillet et 8 novembre 2000 par requête déposée en date du 15 décembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse fait exposer que la décision déférée n’apprécierait pas à ses justes proportions sa situation individuelle, étant donné que les habitants du Kosovo et plus particulièrement les minorités ethniques dont notamment les musulmans non-albanais n’y seraient nullement en sécurité et que ni l’armée, ni la police n’arriveraient à garantir aux habitants une sécurité totale. Estimant ainsi que sa situation en cas de retour au Kosovo serait manifestement loin d’être sécurisée, la demanderesse estime devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de la demanderesse. Il appartient à la demanderesse d’asile d’établir qu’elle remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Madame … lors de son audition en date du 6 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - Sur ce, c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Force est encore de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, la demanderesse fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence et de persécution à son encontre, mais ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo. - Il convient de rappeler, dans ce contexte, en ce qui concerne la situation des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », que s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes ou discriminations par des groupes de la population albanaise du Kosovo, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité visée aurait de ce seul chef raison de craindre une persécution au sens de la Convention de Genève, mais il doit faire valoir des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir des traitements discriminatoires, de sorte qu’en l’espèce, en l’absence d’un quelconque élément individuel et concret, la crainte exprimée par la demanderesse s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il échet de relever dans ce contexte que la demanderesse ne fait état d’aucun élément concret à la base de sa demande d’asile permettant d’évaluer les persécutions ou les risques de persécutions qu’elle risquerait d’encourir en cas de retour dans son pays d’origine. Ainsi, à défaut d’avoir établi des circonstances particulières susceptibles de justifier dans son chef de subir des persécutions au sens de la Convention de Genève, il y a lieu de retenir qu’il n’existe aucun élément individuel et concret de nature à établir qu’elle risque de subir des traitements discriminatoires pour une des raisons énoncées par la Convention de Genève.

Il ressort de l’ensemble des développements qui précèdent que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef.

Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 septembre 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielman, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12626
Date de la décision : 23/09/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-09-23;12626 ?

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