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23/09/2002 | LUXEMBOURG | N°12625

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 septembre 2002, 12625


Tribunal administratif N° 12625 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 décembre 2000 Audience publique du 23 septembre 2002

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Recours formé par les époux … et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12625 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des a

vocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, et de son épouse Madame …, née le …, les deux de nation...

Tribunal administratif N° 12625 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 décembre 2000 Audience publique du 23 septembre 2002

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Recours formé par les époux … et …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 12625 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2000 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, et de son épouse Madame …, née le …, les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 11 août 2000, leur notifiée le 13 septembre 2000, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 10 novembre 2000, leur notifiée en date du 15 novembre 2000, intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 septembre 2002.

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Le 27 juillet 1998, les époux …-… introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux …-… furent entendus en outre séparément en date des 28 octobre 1998 et 2 août 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 11 août 2000, notifiée le 13 septembre 2000, le ministre de la Justice informa les époux …-… de ce que leur demande avait été rejetée aux motifs que la crainte par eux invoquée d’un retour au Kosovo en raison de la mauvaise situation en général et de l’esprit nationaliste qui y régnerait en particulier ne serait pas de nature à laisser supposer l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur chef, étant donné que le conflit armé entre l’ex-Yougoslavie et le Kosovo serait terminé et que la paix régnerait actuellement dans cette région, qu’une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies se serait installée au Kosovo pour permettre la coexistence pacifique des différentes communautés, qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies y aurait été mise en place et que par ailleurs des centaines de milliers de personnes ayant quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’ancienne République yougoslave de Macédoine auraient réintégré leur foyer après l’entrée des forces internationales sur le territoire. Le ministre relève en outre qu’au moment du conflit armé au Kosovo les époux …-… ne seraient pas retournés s’installer au Monténégro dont ils seraient cependant originaires, de manière à ne pas avoir profité de la possibilité de fuite interne qui se serait offerte à eux. Il déduit de l’ensemble de ces éléments qu’ils n’allégueraient tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève laisserait d’être établie dans leur chef.

Par courrier de leur mandataire datant du 3 octobre 2000, les époux …-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle du 11 août 2000. Celui-

ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 10 novembre 2000, ils ont fait introduire, par requête déposée en date du 15 décembre 2000, un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 11 août et 10 novembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires de la province du Kosovo et qu’ils appartiennent au groupe ethnique minoritaire des bochniaques, de confession musulmane mais ne parlant pas l’albanais. Ils relèvent plus particulièrement que leur départ de leur pays d’origine aurait été motivé par une crainte permanente de persécutions et de traitements discriminatoires dus à leur appartenance à la minorité ethnique des bochniaques laquelle serait perçue comme étant « gênante » du simple fait qu’elle ne parlerait pas la langue albanaise, que les difficultés rencontrées par les minorités en question seraient établies et que malgré la présence d’une force armée internationale agissant sous l’égide des Nations Unies ainsi que d’une administration civile mise en place, l’actualité renseignerait que ces mesures ne seraient pas suffisantes pour éviter les nombreuses exactions de la part de la communauté albanaise. Estimant que leur situation en cas de retour serait manifestement loin d’être sécurisée, les demandeurs estiment que les décisions déférées devraient encourir la réformation pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives en date des 28 octobre 1998 et 2 août 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, force est de constater que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place, de sorte qu’une crainte de persécution de la part des autorités actuellement en place ne saurait être valablement admise.

En outre, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant 1998, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence et de persécution à leur encontre, mais ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo. Il convient de rappeler, dans ce contexte, en ce qui concerne la situation des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « Bochniaques », que s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes ou discriminations par des groupes de la population albanaise du Kosovo, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité visée aurait de ce seul chef raison de craindre une persécution au sens de la Convention de Genève, mais il doit faire valoir des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir des traitements discriminatoires, de sorte qu’en l’espèce, en l’absence d’éléments individuels et concrets pertinents, la crainte exprimée par les demandeurs s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il ressort de l’ensemble des développements qui précèdent que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Le recours en réformation est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 septembre 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 12625
Date de la décision : 23/09/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-09-23;12625 ?

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