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17/07/2002 | LUXEMBOURG | N°15124

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juillet 2002, 15124


Tribunal administratif N° 15124 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2002 Audience publique du 17 juillet 2002

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Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieu

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Tribunal administratif N° 15124 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 juillet 2002 Audience publique du 17 juillet 2002

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Recours formé par Monsieur …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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JUGEMENT

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, actuellement placé au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 1er juillet 2002 instituant à son égard une mesure de placement ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 juillet 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries.

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Par arrêté du 1er juillet 2002, le ministre de la Justice ordonna le placement de Monsieur … au Centre pénitentiaire de Luxembourg à Schrassig pour une durée maximum d’un mois à partir de la notification de la décision en question, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois. La mesure de placement est fondée sur les considérations et motifs suivants:

« Considérant que l’intéressé a été contrôlé par les autorités françaises en date du 30 juin 2002 et refoulé vers le Luxembourg, alors qu’il se trouvait en séjour irrégulier en France ;

- qu’il a déposé une demande d’asile en date d’aujourd’hui ;

Considérant qu’une demande d’asile a déjà été présentée précédemment aux autorités néerlandaises ;

- que selon la Convention dite de Dublin du 15 juin 1990, les Pays-Bas sont responsables pour traiter la demande d’asile ;

2 - qu’une demande de reprise selon la Convention dite de Dublin du 15 juin 1990, sera demandée aux autorités néerlandaises dans les meilleurs délais ;

- qu’en attendant l’accord de reprise des autorités néerlandaises, l’éloignement n’est pas possible ;

- que l’intéressé est susceptible de se soustraire au transfert en question ;

- qu’il se trouve en séjour irrégulier au pays ;

- qu’il n’est pas en possession de moyens d’existence personnels suffisants ;

- qu’il constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics ;

- qu’en conséquence il existe un risque de fuite qui nécessite que l’intéressé soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en attendant son éloignement ».

Par requête déposée le 12 juillet 2002, Monsieur … a introduit un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 1er juillet 2002.

L’article 15, paragraphe (9) de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers; 2. le contrôle médical des étrangers; 3. l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère, instituant un recours de pleine juridiction contre une mesure de placement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le recours ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il n’existerait à son encontre aucune mesure d’expulsion ou de refoulement, alors même que l’existence d’une telle mesure constituerait une condition pour qu’une mesure de placement puisse être légalement prise à l’égard d’un étranger. Il conteste par ailleurs l’existence d’une circonstance de fait rendant impossible l’exécution d’une mesure de refoulement ou d’expulsion.

Monsieur … soutient, de plus, qu’un danger qu’il se soustraie à une mesure d’éloignement ultérieure ne se dégage ni de la décision entreprise, ni du dossier administratif, et qu’il en serait de même du prétendu danger pour l’ordre public qu’il constituerait.

Le tribunal est en premier lieu appelé à examiner les domaines d’application respectifs de la loi précitée du 28 mars 1972 et de la Convention relative à la détermination de l'Etat responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des Etats membres des Communautés Européennes, signée à Dublin le 15 juin 1990 et approuvée par une loi du 20 mai 1993, ci-après dénommée « la Convention de Dublin », pour examiner si elles sont compatibles entre elles et si elles ne comprennent pas des dispositions contradictoires, dans la mesure où dans le cas d’espèce, elles sont d’application concomitante.

Il convient de relever, d’un côté, que la loi précitée du 28 mars 1972 a pour vocation de réglementer l’entrée et le séjour des étrangers au Grand-Duché de Luxembourg, le contrôle médical des étrangers, ainsi que l’emploi de la main-d’oeuvre étrangère et ses dispositions sont, en principe, applicables à toute personne qui ne rapporte pas la preuve qu’elle possède la nationalité luxembourgeoise. L’article 15 de ladite loi dispose plus spécifiquement dans son alinéa 1er que « lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 [de ladite loi] est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois ». Ledit article 15 organise encore, entre 3 autres, la procédure d’une telle mesure de placement et il énonce les droits dont bénéficie l’étranger qui en est frappé.

De l’autre côté, la Convention de Dublin a pour objet de déterminer l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile, au sens de la Convention de Genève, présentée dans l’un des Etats membres de l’Union européenne, ainsi que de déterminer les conditions de la reprise d’un étranger dont il a rejeté la demande d’asile et qui se trouve irrégulièrement dans un autre Etat membre. La Convention de Dublin réserve expressément, dans son article 3, alinéa 5, le droit des Etats membres, en application de leur droit national, d’envoyer un demandeur d’asile vers un Etat tiers, dans le respect des dispositions de la Convention de Genève qui, dans ses articles 32 et 33, prévoit des hypothèses dans lesquelles les Etats contractants conservent la possibilité d’expulser ou de refouler certaines catégories de demandeurs d’asile. Il s’ensuit que s’il est vrai que la Convention de Dublin détermine celui des Etats membres qui est compétent pour examiner une demande d’asile, elle ne restreint pas le droit des Etats membres d’expulser ou de refouler un demandeur d’asile, conformément à sa législation nationale, le cas échéant vers un Etat tiers, si c’est dans le respect des dispositions de la Convention de Genève.

Il se dégage de ce qui précède que s’il est vrai que les deux conventions précitées contiennent des mesures qui restreignent le droit d’expulser ou de refouler des demandeurs d’asile, elles ne tiennent pas entièrement en échec les droits nationaux afférents concernant l’expulsion et le refoulement, et, par voie de conséquence, le droit luxembourgeois concernant l’entrée et le séjour des étrangers qui prévoit le placement, sous certaines conditions, d’étrangers faisant l’objet d’une mesure d’expulsion ou de refoulement, n’est pas contraire aux dispositions de la Convention de Dublin.

Il convient partant, en l’espèce et dans un premier temps, de vérifier l’existence d’une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure, étant donné qu’il s’agit des conditions préalables à la légalité de toute décision de placement, au sens de l’article 15, alinéa 1er de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée.

Il est constant en cause que la mesure de placement n’est pas basée sur une décision d’expulsion. Il convient partant d’examiner si la mesure en question est basée sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972, peut être prise, « sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence:

« 1) qui sont trouvés en état de vagabondage ou de mendicité ou en contravention à la loi sur le colportage;

2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour;

3) auxquels l’entrée dans le pays a été refusée en conformité de l’article 2 de [la loi précitée du 28 mars 1972];

4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis;

5) qui, dans les hypothèses prévues à l’article 2 paragraphe 2 de la Convention d’application de l’accord de Schengen, sont trouvés en contravention à la loi modifiée du 15 mars 1983 sur les armes et munitions ou sont susceptibles de compromettre la sécurité, la tranquillité ou l’ordre publics ».

Aucune disposition législative ou réglementaire ne déterminant la forme d’une décision de refoulement, celle-ci est censée avoir été prise par le ministre de la Justice à partir 4 du moment où les conditions de forme et de fond justifiant un refoulement, telles que déterminées par l’article 12 de la loi du 28 mars 1972 sont remplies, et où, par la suite, une mesure de placement a été décidée à l’encontre de l’intéressé. En effet, une telle décision de refoulement est nécessairement sous-jacente à la décision de mise à la disposition du gouvernement, à partir du moment où il n’existe pas d’arrêté d’expulsion.

Encore faut-il que la mesure afférente soit prise légalement, c'est-à-dire pour un des motifs prévus par l’article 12 de la loi précitée du 28 mars 1972 auquel renvoie l’article 15.

En l’espèce, parmi les motifs invoqués à l’appui de la décision de placement, le ministre de la Justice fait état du fait que Monsieur … se trouve en séjour irrégulier au pays, qu’il n’est pas en possession de moyens d’existence personnels suffisants et qu’il constitue un danger pour l’ordre et la sécurité publics.

Alors qu’il ne ressort d’aucun élément du dossier en quoi Monsieur … constituerait un danger pour l’ordre et la sécurité publics, il est d’autre part patent qu’il ne dispose pas des papiers de légitimation prescrits et ni des moyens d’existence personnels suffisants, ce qui justifie une mesure de refoulement telle que prévue par l’article 15 de la loi du 28 mars 1972, précitée. On ne saurait objecter que le défaut de papiers de légitimation et de moyens suffisants constituent la règle chez les demandeurs d’asile, la Convention de Dublin venant précisément au secours de telles personnes en déterminant un Etat qui a compétence pour examiner une demande d’asile de personnes ne remplissant pas, par ailleurs, les conditions restrictives du droit national concernant l’entrée et le séjour des étrangers.

Il suit des considérations qui précèdent que la mesure de refoulement incriminée a été légalement prise.

En vertu de l’article 15 de la loi du 28 mars 1972, l’étranger peut être placé lorsque la mesure d’expulsion ou de refoulement ne peut pas être exécutée pour une raison de fait.

En l’espèce, les autorités néerlandaises, compétentes pour le traitement du dossier en vertu des dispositions de la Convention de Dublin, ont été contactées par les autorités luxembourgeoises le 2 juillet 2002 et le 9 juillet 2002, le service d’immigration et de naturalisation dépendant du ministère de la Justice néerlandais a marqué son accord de prendre en charge Monsieur JASHARI et à traiter sa demande d’asile. Contacté par le ministère de la Justice le 12 juillet 2002 en vue du transfert immédiat de Monsieur JASHARI vers les Pays-Bas, le service de police judiciaire a indiqué que ce transfert aurait lieu le 23 juillet 2002.

Si l’impossibilité de l’expulsion ou du refoulement d’un étranger pour une raison de fait peut, en dehors de circonstances dépendant d’autorités étrangères et donc soustraites à l’emprise des autorités indigènes, consister dans des difficultés d’organisation des autorités nationales, celles-ci ne sauraient perdurer au-delà d’un délai essentiellement bref.

En l’espèce, dans une matière dans laquelle la loi exige une décision de justice comportant une audience de plaidoiries ainsi que la rédaction d’un jugement motivé dans les dix jours de l’introduction de la demande, le tribunal ne saurait, en dehors d’explications péremptoires, considérer un délai de onze jours que se consentent des autorités nationales pour procéder à l’expulsion ou au refoulement comme raison de fait rendant admissible une mesure de placement.

5 Etant donné qu’il se dégage des développements qui précèdent qu’il n’existe pas, dans le cas d’espèce, de raison de fait admissible rendant impossible le transfert du demandeur vers les Pays-Bas, la mesure de placement a été prise à tort à son égard.

Le tribunal est partant amené à réformer la décision querellée et à ordonner sa libération immédiate du demandeur.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare justifié;

partant, par réformation de la décision ministérielle du 1er juillet 2002, ordonne la mise en liberté immédiate de Monsieur … ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, et lu à l’audience publique du 17 juillet 2002 par le président, en présence de Monsieur Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Ravarani


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 15124
Date de la décision : 17/07/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-07-17;15124 ?

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