Tribunal administratif N° 14330 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 décembre 2001 Audience publique du 11 juillet 2002
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Recours formé par Monsieur et Madame …, … contre un bulletin de l’impôt sur le revenu, un bulletin de l’impôt commercial communal et une décision implicite de rejet du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt commercial communal
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 14330 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 décembre 2001 par Maître Monique WATGEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, rentier, et de son épouse, Madame …, cabaretière et vigneronne, demeurant ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’« une décision du préposé du bureau d’imposition de Grevenmacher, ayant émis contre les requérants les bulletins d’imposition du 27 février 1997 relatifs à l’exercice fiscal 1993 » et d’une décision implicite de rejet du directeur de l’administration des Contributions directes par l’effet de son silence de plus de six mois suite à l’introduction d’une réclamation formulée par les demandeurs le 26 mars 1997 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2002 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 avril 2002 au nom des demandeurs ;
Vu les mémoires supplémentaires déposés, suite à la demande du tribunal, respectivement les 17 juin et 3 juillet 2002 au greffe du tribunal administratif au nom des demandeurs et du gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins d’impôt litigieux ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Monique WATGEN et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Marie KLEIN en leurs plaidoiries respectives.
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Le 27 février 1997, le bureau d’imposition de Grevenmacher de la section des personnes physiques du service d’imposition de l’administration des Contributions directes émit à l’encontre de Monsieur et Madame … un bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 1993. Le même jour, ledit bureau d’imposition de Grevenmacher émit en outre à l’encontre de Monsieur … un bulletin de l’impôt commercial communal pour l’année 1993.
Contre lesdits bulletins, Monsieur … introduisit, par lettre du 26 mars 1997, une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé le « directeur », en reprochant au bureau d’imposition d’avoir mis à sa charge un bénéfice commercial qu’il aurait réalisé à l’occasion de la vente de trois terrains à bâtir.
En l’absence d’une décision directoriale à la suite de ladite réclamation, Monsieur et Madame … ont introduit le 20 décembre 2001 un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la « décision du préposé du bureau d’imposition de Grevenmacher, ayant émis contre les requérants les bulletins d’imposition du 27 février 1997 relatifs à l’exercice fiscal 1993 » et de la décision implicite de rejet du directeur par l’effet de son silence de plus de six mois suite à l’introduction de la susdite réclamation du 26 mars 1997.
Il convient en premier lieu de constater que le délégué du gouvernement relève à juste titre qu’il est impropre de vouloir distinguer entre les bulletins d’impôt et la décision attaquable à la base desdits bulletins, étant donné qu’au vœu du paragraphe 210 alinéa 1er de la loi générale des impôts, communément appelée « Abgabenordnung », ci-après dénommée « AO », l’acte d’imposition n’est pas la résolution prise, ni même « la feuille d’établissement » qui la matérialise, mais le bulletin d’impôt qui en informe le destinataire.
Ceci dit, il n’y a pas lieu de tirer de ce constat d’autre conclusion que celle de lire la demande comme ayant été dirigée directement contre les deux bulletins de l’impôt sur le revenu de l’année 1993 et de la base d’assiette de l’impôt commercial de ladite année, émis le 27 février 1997 par le bureau d’imposition de Grevenmacher, ceux-ci ayant été, implicitement, mais nécessairement, visés par les demandeurs.
QUANT AU VOLET DU RECOURS VISANT LA DECISION IMPLICITE DE REJET DU DIRECTEUR Ensuite, le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre la prétendue décision implicite de rejet du directeur suite à la réclamation du 26 mars 1997.
L’article 8 (3) 3 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif n’admet l’introduction d’un recours devant le tribunal administratif, en cas de silence du directeur suite à une réclamation, que contre « la décision qui fait l’objet de la réclamation », en l’espèce les bulletins d’impôt prévisés du 27 février 1997, et non pas contre une décision implicite de rejet du directeur (cf. doc. parl. 3940A2, amendements adoptés par la commission des institutions et de la révision constitutionnelle, p.
5, ad (3) 3.: « Par opposition au domaine administratif, le silence de l’administration n’est pas à considérer comme le rejet de la demande. .. Il en résulte également que dans ce cas le recours est dirigé, non pas contre une décision implicite de rejet mais contre la déclaration initiale contre laquelle la réclamation avait été interjetée »).
Il s’ensuit qu’il y a lieu de faire droit aux conclusions afférentes du délégué du gouvernement et de déclarer le recours sous discussion irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre la décision directoriale implicite de rejet suite à la réclamation du 26 mars 1997.
QUANT AU VOLET DU RECOURS VISANT LES BULLETINS D’IMPOT RELATIFS A L’ANNEE 1993 Concernant le recours en ce qu’il est dirigé contre les bulletins de l’impôt sur le revenu de l’année 1993 et de la base d’assiette de l’impôt commercial de ladite année, émis le 27 février 1997 par le bureau d’imposition de Grevenmacher, le paragraphe 228 AO, ensemble l’article 8 de la loi précitée du 7 novembre 1996 ouvrant un recours au fond contre les bulletins critiqués, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par les demandeurs sous ce rapport. – Il s’ensuit que le recours en annulation dirigé à l’encontre desdits bulletins est à déclarer irrecevable.
Concernant la recevabilité du recours en réformation, il convient encore d’examiner le moyen d’irrecevabilité soulevé par le délégué du gouvernement consistant à soutenir que Madame … ne serait pas recevable pour agir à leur encontre faute d’avoir réclamé « au lendemain des bulletins ».
Les demandeurs font rétorquer sur ce point que « l’Administration des Contributions ne saurait jouir, quant à la qualification des contribuables réclamants, de plus de droits que ces derniers, que le bulletin du 27 février 1997 relatif à l’impôt commercial communal a été adressé au seul … et non à son épouse, que le bulletin ne mentionne par ailleurs comme seul N° fiscal que celui de …, que la réclamation a dès lors été introduite le 26 mars 1997, dans la logique des choses, par le seul destinataire du bulletin visé par la réclamation.
Attendu que, toutefois, le bureau d’imposition de Grevenmacher, ayant eu en mains les actes notariés documentant la vente soumise à l’impôt, ne pouvait pas ignorer que les terrains vendus représentaient des biens communs appartenant pour moitié également à l’épouse …-
…, que, néanmoins, ce bureau n’a pas notifié le bulletin concernant l’impôt commercial communale à cette dernière, que, dans ces conditions, l’on ne saurait reprocher à la dame …-… de ne pas avoir, de façon expresse et personnelle, réclamé contre cette imposition ».
Ils font encore état de ce que le bulletin d’impôt sur le revenu pour 1993, au lieu de préciser clairement les deux époux comme destinataires, indiquerait comme destinataire « Monsieur et Madame …-… » tout en indiquant le numéro fiscal de l’époux, qu’il « parle à plusieurs reprises de contribuable » et ils relèvent « que la réclamation adressée au Directeur des Contributions porte, à l’exception de la désignation « Monsieur et Madame », exactement les mêmes indications que la communication du bureau d’imposition de Grevenmacher ».
Sur ce, ils concluent, que « si l’Administration des Contributions ne respecte pas elle-
même les exigences en ce qui concerne la notification d’un bulletin d’impôt à des personnes mariées, ayant une demeure commune, elle ne saurait pas, en vertu de l’adage célèbre « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans », opposer sa propre faute à un contribuable réclamant ».
En outre, ils font valoir que « pour autant que le Tribunal administratif estimerait que la dame …-… aurait dû être associée à la réclamation, (…) que le sieur …, en présentant la réclamation en question devant le Directeur des Contributions, a agi en vertu d’un mandat, lui donné par son épouse, un tel mandat trouvant sa base légale à l’article 218 du Code civil » et que « pour le cas où le mandat précité serait à son tour indûment contesté, la dame … demande acte qu’elle ratifie de façon expresse la réclamation introduite par son mari également en son nom et contre une imposition qui la lèse au même degré que son époux, alors qu’elle a privé leur ménage d’une part appréciable de leur fortune ».
Il convient en premier lieu de relever que la recevabilité du recours contentieux sous examen est conditionnée par l’exigence que les actuels demandeurs ont préalablement réclamé devant le directeur contre les bulletins litigieux. Cette exigence se dégage du paragraphe 228 AO et de l’article 8 paragraphe (3) de la loi précitée du 7 novembre 1996 et elle implique, qu’à défaut de ce faire, le recours contentieux est irrecevable omisso medio.
En outre, en cas d’imposition collective d’un ménage, une réclamation introduite par un époux en son seul nom ne rend pas automatiquement l’autre époux partie à cette voie de recours. Il s’ensuit qu’en l’absence de réclamation séparée par le conjoint, le recours introduit par les deux époux encourt l’irrecevabilité omisso medio dans la mesure où il est introduit au nom du conjoint n’ayant pas réclamé (trib. adm. 25 août 1999, n° 10456 du rôle, Pas. adm.
2001, V° Impôts, n° 271 et autre référence y citée).
Or, en l’espèce, abstraction faite de toute question de force exécutoire des deux bulletins d’imposition émis le 27 février 1997 par le bureau d’imposition de Grevenmacher à l’encontre de Madame …, force est au tribunal de constater que la réclamation du 26 mars 1997 a été adressée par Monsieur … au directeur en son nom propre, sous sa seule signature, rédigée à la première personne du singulier, sans qu’il ait été fait état d’un quelconque mandat de son épouse et sans même qu’une référence quelconque à cette dernière n’y figure.
Il s’ensuit que le tribunal ne saurait retenir que Madame … ait réclamé contre les bulletins d’imposition prévisés du 27 février 1997 devant le directeur que ce soit par voie de représentation expresse ou tacite.
Par voie de conséquence, le recours est irrecevable omisso medio dans la mesure où il a été formé au nom de Madame ….
Cette conclusion ne saurait être énervée par les considérations avancées par les demandeurs relativement à un prétendu défaut de précision des destinataires des bulletins litigieux, pareilles circonstances restant en tout état de cause indifférentes par rapport à la question de recevabilité du recours contentieux tirée de l’exigence d’une réclamation préalable devant le directeur de quiconque entend agir à leur encontre.
Elle n’est pas non plus ébranlée par la déclaration de l’épouse tendant à « ratifier » ex post un mandat qu’elle aurait donné à son conjoint, pareille attestation ne pouvant entraîner une représentation à l’instance administrative devant le directeur que dans la mesure, non vérifiée en l’espèce, où le libellé de la réclamation introduite permet d’admettre que l’époux réclamant a entendu agir également au nom de son conjoint.
Enfin, il convient encore d’ajouter que la lettre envoyée au directeur par le mandataire des demandeurs en date du 2 octobre 2001, par laquelle il a réitéré et développé, en nom et pour compte des deux époux, la réclamation du 26 mars 1997, ne saurait être prise en considération pour établir que les deux époux ont agi devant le directeur, étant donné que cette lettre n’a pas été introduite dans le délai légal ouvert pour agir devant le directeur, de sorte que seuls les termes de la réclamation du 26 mars 1997 importent.
Le recours en réformation est cependant recevable dans la mesure où il a été introduit par Monsieur … pour avoir été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi.
Au fond, le demandeur conclut en premier lieu à l’annulation des bulletins critiqués pour violation du paragraphe 205 alinéa 3 AO en soutenant qu’avant l’établissement des impositions litigieuses, il n’aurait pas été informé selon les prescriptions dudit paragraphe.
Il estime que le bureau d’imposition aurait dû l’« avertir (…) sur l’imposition qu’il allait faire quant (…) [au prétendu bénéfice commercial se dégageant de la vente de trois terrains par lui réalisée] ».
Ensuite, après avoir conclu à la nullité des bulletins litigieux, le demandeur soutient que la dette fiscale serait prescrite et il demande au tribunal d’ordonner à l’administration de procéder au remboursement des montants d’ores et déjà réglés.
Suite à une invitation du tribunal à l’adresse des deux parties au litige de prendre position par rapport à différentes pièces contenues dans le dossier fiscal - déposé au greffe du tribunal le 28 mars 2002 en copie et le 23 avril 2002 en original - relatant un échange de correspondance entre le bureau d’imposition de Grevenmacher et les consorts …-… préalable à l’émission des bulletins litigieux, le mandataire du demandeur soutient « qu’il appartient à l’Administration des Contributions de justifier qu’elle a satisfait aux exigences dudit article et qu’il n’appartient pas aux contribuables de prouver que cette Administration a violé l’article 205 al. 3 AO ».
Sur ce, il estime que les documents contenus dans le dossier fiscal n’établiraient pas que l’administration a respecté son obligation de prévenir le contribuable préalablement à l’imposition et de le mettre en mesure de prendre position par rapport à ce projet d’imposition.
Concernant deux pièces spécifiques, il expose plus particulièrement ce qui suit : « les deux documents en question, sont, d’un côté, une note de Monsieur … intitulée « annexe à la déclaration fiscale du bénéfice commercial 1993 » et datée du 18 juin 1996. Dans cette lettre, il énumère les terrains vendus en 1993 et spécifie les frais en rapport avec lesdites ventes.
La nature du second document, en provenance de l’administration des Contributions, est difficile à qualifier. Il s’agit d’un formulaire non daté dont la provenance exacte n’est pas connue. Ce formulaire ne précise pas non plus à quelle année fiscale il se rapporte. Les seules indications à tirer de ce document sont l’invitation adressée au contribuable de « fournir les pièces à l’appui concernant les frais d’infrastructure y relatifs (sic) c.à.d. toutes (sic) les décomptes de l’Association Momentanée (Anzahlungs-Abrechnung) ». Le formulaire en question indique par ailleurs la date limite à laquelle les renseignements demandés doivent être fournis, à savoir le 20.11.1996.
Il n’est pas possible de clarifier s’il y a un rapport direct entre les deux documents susvisés ; en d’autres termes, si la lettre écrite par Monsieur … le 18 juin 1996 répond à l’invitation lui adressée par l’administration des Contributions de fournir des renseignements supplémentaires.
Avant de prendre attitude à la question de savoir si le formulaire « anonyme » de l’administration des Contributions répond au vœu de l’article 205 alinéa 3 AO, il y a lieu de préciser la portée dudit article, appliqué aux contribuables …-… en rapport avec la vente par eux de certains immeubles en 1993, ventes que le bureau d’imposition de Grevenmacher a assimilées à un bénéfice commercial.
L’article 205 al. 3 AO exige que « …die Punkte in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt zu vorheriger Äusserung mitzuteilen“.
La vente d’immeubles est susceptible de donner lieu à trois différentes catégories de bénéfices fiscaux :
a) bénéfice de spéculation (article 99 bis LIR), b) bénéfice commercial (articles 14 ss. LIR), c) bénéfice sur plus-value réalisée par l’aliénation d’immeubles.
Pour satisfaire à l’exigence de l’article 205 al. 3 AO, le préposé du bureau d’imposition de Grevenmacher, qui a imposé les contribuables …-… sur base des articles 14 ss. LIR, aurait donc dû communiquer, préalablement à leur imposition, son intention de les imposer sur cette base et les inviter à communiquer leurs observations y relatives éventuelles.
Or, sans préjudice quant à la question de savoir si le formulaire « anonyme » sus-visé a effectivement une portée juridique, le document non daté en question se limite à demander aux contribuables …-… des pièces relatives aux frais d’infrastructure en rapport avec les ventes immobilières sus-visées.
Il en résulte que le formulaire litigieux ne répond d’aucune façon aux exigences de l’article 205 al. 3 AO.
Abstraction faite de la question de savoir si le document … du 18 juin 1996 est à voir en rapport avec le formulaire précité de l’administration des Contributions, il est en tout cas manifeste que les contribuables …-… ne s’attendaient d’aucune façon à voir taxer la vente de leurs terrains de bénéfice commercial, mais ils s’attendaient tout au plus à une taxation de la plus-value réalisée par ces ventes immobilières. Cela ressort de deux mentions de ce document, à savoir.
1. Les contribuables en question énumèrent dans leur communication toutes les ventes d’immeubles faites en 1993, sans distinguer entre vente de terrains à bâtir et terrains à usage viticole. Or, il est manifeste que la vente de ces derniers terrains ne dégage pas un bénéfice commercial.
2. Monsieur … écrit à la fin de sa lettre ce qui suit : « Si une plus-value a lieu, je vous prie de bien vouloir réévaluer le prix d’achat de 159.050.- frs. + 5.631.- frs =
164.681.-frs ».
Il résulte de l’ensemble des considérations qu’il y a eu en l’occurrence manifestement violation de l’article 205 al. 3 AO de sorte que l’imposition des époux …-… pour l’année fiscale 1993 est à annuler ».
Le paragraphe 205 alinéa 3 AO dispose que: « Wenn von der Steuererklärung abgewichen werden soll, sind dem Steuerpflichtigen die Punkte, in denen eine wesentliche Abweichung zu seinen Ungunsten in Frage kommt, zur vorherigen Äusserung mitzuteilen ».
Cette disposition met en substance à charge du bureau d’imposition, préalablement à l’émission du bulletin d’impôt, une obligation positive de communication des éléments au sujet desquels il envisage de ne pas s’en tenir à la déclaration du contribuable, pour autant que ces éléments représentent une « wesentliche Abweichung » en défaveur du contribuable par rapport à sa déclaration.
Le paragraphe 205 alinéa 3 AO constitue une application du principe général du droit pour le contribuable d’être entendu par le bureau d’imposition (« Anspruch auf Gehör »), tel qu’il résulte du paragraphe 204 alinéa 1er AO. L’application de ce principe général a pour conséquence que sans une consultation appropriée du contribuable, il n’est pas possible de fixer une imposition correcte de la situation patrimoniale d’un contribuable (v. Becker, Riewald, Koch: Reichsabgabenordnung, Kommentar, Band II, Carl Heymanns Verlag, 1965, 6. Das Recht auf Gehör, pages 288 et s.) A cet effet, le contribuable est appelé d’abord à indiquer les éléments et données qui lui sont demandés dans le cadre de la déclaration d’impôt, ainsi que, par ailleurs, dans le cadre de son devoir de collaboration, tel que défini au paragraphe 171 AO, les informations lui réclamées le cas échéant en vue d’établir les bases d’imposition.
Cette obligation de collaboration du contribuable dans le cadre de l’établissement des bases d’imposition de son revenu a comme corollaire son droit d’être entendu avant la prise d’une décision administrative lui fixant une obligation patrimoniale plus lourde que celle par lui escomptée à travers sa déclaration, lorsque cette « wesentliche Abweichung » en sa défaveur provient d’une divergence par rapport aux informations et documents par lui communiqués au bureau d’imposition à travers sa déclaration d’impôt ou encore dans le cadre de son devoir de collaboration, suite à une demande afférente du bureau d’imposition.
En l’espèce, sur base des éléments du dossier administratif, il convient en premier lieu de constater que suite à un défaut du contribuable de déclarer la vente de différents terrains réalisée au cours de l’année 1993, le bureau d’imposition l’a invité à combler cette lacune et à produire une déclaration y relative pour le 15 janvier 1995, que le contribuable a donné suite à cette demande en retournant – non rempli et non signé – le bulletin d’établissement du bénéfice commercial et déclaration pour l’impôt commercial de l’année 1993 lui envoyé par le bureau d’imposition à cette fin, tout en y joignant un document, daté au 18 juin 1996 et signé par Monsieur …, intitulé « Annexe à la déclaration du bénéfice commercial 1993 » précisant le détail des opérations de vente de trois terrains à bâtir sis dans le lotissement « Flohr-
Leitschberg » et les frais relativement à sa participation dans une association momentanée en vue de la réalisation dudit lotissement, document dans lequel il conclut que « si une plus-value a lieu je vous prie de bien vouloir réevaluer le prix d’achat de 159050 + 5631 = 164681, - frs d’office »..
Il appert au vu dudit dossier administratif et plus particulièrement au regard de la susdite annexe du 18 juin 1996, que c’est à juste titre que le délégué du gouvernement soutient qu’à la veille de l’imposition, les contacts entre le contribuable et le bureau d’imposition étaient intenses, que le bureau a amené le contribuable à produire tout un ensemble d’informations et de pièces et que ce dernier était non seulement informé mais aussi conscient de la perspective d’une imposition en rapport avec les faits par lui communiqués au bureau d’imposition.
S’il est vrai que par la suite, le bureau a repris les informations communiquées par le contribuable pour les requalifier au regard des dispositions légales applicables, il n’en reste pas moins que le bureau d’imposition n’a pas remis en cause la situation de fait déclarée par le contribuable.
En d’autres termes, on ne saurait retenir l’existence d’une divergence de vues entre le bureau d’imposition et le contribuable au sujet des faits à la base de l’imposition, mais tout au plus existe-t-il une telle divergence au sujet d’une question de droit relativement à l’application et l’interprétation de la loi d’impôt.
Or, l’interprétation et l’application de la loi d’impôt relève de la compétence du bureau d’imposition en vertu du paragraphe 166 AO.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le premier moyen du demandeur tendant à l’annulation des bulletins déférés pour cause de violation du paragraphe 205 (3) AO n’est pas fondé.
Le demandeur conclut en second lieu à la réformation des bulletins litigieux, au motif qu’« il est fiscalement inadmissible et inéquitable de voir dans la cession de trois terrains à bâtir une activité commerciale » et qu’il conviendrait de suivre la pratique allemande, selon laquelle la vente d’immeubles ne constituerait un bénéfice commercial que si les opérations ont porté sur plus de trois terrains dans un délai de cinq ans, limite qui n’aurait pas été dépassée en l’occurence.
Il ajoute encore que dans la mesure où les susdites ventes « ne représentent pas une activité commerciale, les plus-values réalisées ne devraient pas être imposées comme bénéfice commercial, mais suivant les dispositions de l’article 99ter de la loi sur l’impôt sur le revenu ».
Enfin, pour le cas où les opérations de vente devraient être qualifiées d’opérations commerciales, il demande au tribunal de fixer la valeur d’apport des terrains « à un montant sérieux et ne pas retenir à cet égard le minimum légal, visé par le règlement grand-ducal du 16 juin 1992 (20.000.- francs l’are) » et d’admettre une valeur d’apport correspondant « pour le moins, à la moitié de leur prix de réalisation des terrains précités ».
En application de l’article 14 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 sur l'impôt sur le revenu (LIR), le revenu net provenant d’une entreprise commerciale est considéré comme un bénéfice commercial.
Quant à la définition générale de l’entreprise commerciale, l’article 14 alinéa 1 LIR spécifie qu’« est réputée entreprise commerciale (…) toute activité indépendante à but de lucre exercée de manière permanente et constituant une participation à la vie économique générale, lorsque ladite activité ne forme ni une exploitation agricole ou forestière ni l’exercice d’une profession libérale ».
Le fait de lotir un terrain en terrains à bâtir constitue une activité commerciale et les revenus tirés de cette entreprise de lotissement sont considérés comme bénéfice commercial au sens de l’article 14 LIR (Cour adm. 17 décembre 1998, n° 10776C du rôle, Pas. adm. 2001, V° Impôts n° 51 et autre référence y citée).
En l’espèce, s’il va sans dire que les opérations immobilières réalisées par le demandeur ne constituent ni une exploitation agricole ou forestière ni l’exercice d’une profession libérale, il appert à l’examen du dossier fiscal que les quatre critères positifs énoncés par l’article 14 LIR, à savoir l’indépendance, le but de lucre, le caractère de permanence et la participation à la vie économique générale, sont remplis et que les activités déployées par Monsieur … globalement considérées constituent une entreprise commerciale, au sens du droit fiscal.
En effet, cette conclusion se dégage du constat qu’en date du 27 juin 1990, Monsieur … et une vingtaine d’autres propriétaires de terrains se sont mis ensemble et ont constitué entre eux une association momentanée dénommée « Lotissement Flohr-Leitschberg », que Monsieur … était un des quatre gérants de ladite association momentanée, que cette dernière avait pour objet la « Verwirklichung der Formalitäten und Arbeiten, insbesonders der Infrastruktur, welche mit der unter den Gesellschaftern abgemachten Schaffung von Bauplätzen gemäss beigelegtem provisorischen aber abänderbaren Plane auf dem Gebiet « Flohr-Leitschberg » in Grevenmacher im Zusammenhang stehen (…) », c’est-à-dire que les différents propriétaires de terrains intéressés à la mise en valeur de leurs propriétés se sont mis d’accord à financer les opérations d’infrastructure pour ledit lotissement et qu’ils l’ont réalisé, sur une période de trois années, par le biais d’une entreprise de travaux par eux chargée.
Dans ce contexte, il convient d’ajouter que les activités déployées par le contribuable concerné outrepassent les limites de la simple gestion du patrimoine privé (« Vermögensverwaltung »), qui ne fait pas l’objet d’une définition légale, mais qui est cependant délimitée par le biais de deux exemples énoncés au paragraphe 7 (4) de l’ordonnance du 16 décembre 1941 relative à l’exécution des paragraphes 17 à 19 de la loi d’adaptation fiscale modifiée du 16 octobre 1934, aux termes duquel: « Vermögensverwaltung liegt in der Regel vor, wenn Vermögen genutzt wird, zum Beispiel wenn Kapitalvermögen verzinslich angelegt oder unbewegliches Vermögen vermietet oder verpachtet wird », le concept de gestion d’un patrimoine privé ne se limitant cependant pas auxdits exemples de jouissance susénoncés (cf. Emile STOFFEL, Le bénéfice commercial, commentaire des articles 14-18 de la loi du 4 décembre 1967, in Etudes fiscales décembre 1997, N° 109-111, p.15, n°14.14), en ce sens que les activités d’organisation et de construction nécessaires en vue de la réalisation du lotissement et celles relatives aux trois ventes effectuées par lui ne s’analysent plus en de simples accessoires d’une jouissance des fruits d’un patrimoine immobilier privé dont la substance est conservée, mais dépassent ce cadre, dès lors que le contribuable a manifestement recherché une exploitation de la substance de son patrimoine par transfert (« Umschichtung ») d’éléments substantiels de sa fortune.
Il s’ensuit que le demandeur doit être considéré comme ayant exploité une entreprise commerciale du chef de la réalisation du lotissement litigieux et de la cession corrélative de trois terrains et qu’il est soumis à l'impôt sur le revenu ainsi qu’en vertu du paragraphe 2 (1) de la loi modifiée du 1er décembre 1936 concernant l'impôt commercial communal, à l'impôt commercial communal de ce chef et, partant, le moyen principal du demandeur tendant à se voir décharger de la soumission à ces deux impôts du chef du lotissement litigieux laisse d’être fondé.
Il n’y a pas non plus lieu de suivre le demandeur en ce qu’il demande une réévaluation des terrains agricoles qu’il a apportés à l’entreprise commerciale sus-dégagée au-dessus du « minimum légal, visé par le règlement grand-ducal du 16 juin 1992 (20.000.- francs l’are) », applicable en l’espèce au vœu de l’article 35 alinéa 2 LIR, qui dispose expressément qu’en cas de création d’une entreprise, les biens qui donneraient lieu, en cas d’aliénation à l’époque de l’apport, à l’application de l’un des articles 99ter à 102 LIR et qui n’ont pas été acquis en vue de la création, ne peuvent être évalués ni au-dessus du prix d’acquisition éventuellement réévalué qui serait retenu pour la fixation du revenu au sens de l’article en cause, ni au-dessus de la valeur d’exploitation, la demande afférente ayant valablement été qualifiée de « saugrenue » par le délégué du gouvernement.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation de Monsieur … est à rejeter pour manquer de fondement.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare les recours en réformation sinon en annulation irrecevables dans la mesure où ils sont dirigés contre la décision directoriale implicite de rejet suite à la réclamation du 26 mars 1997 ;
se déclare compétent pour connaître du recours principal en réformation dans la mesure où il est dirigé contre les bulletins de l’impôt sur le revenu de l’année 1993 et de la base d’assiette de l’impôt commercial de ladite année, émis le 27 février 1997 par le bureau d’imposition de Grevenmacher ;
déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable sous ce rapport ;
déclare le recours en réformation irrecevable omisso medio en ce qu’il émane de Mme … ;
pour le surplus, le reçoit en la forme en ce qu’il est dirigé contre les susdits bulletins ;
au fond, le rejette pour manquer de fondement ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 11 juillet 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler 11