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10/07/2002 | LUXEMBOURG | N°s13716,14050

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juillet 2002, s13716,14050


Tribunal administratif N°s 13716 et 14050 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 10 juillet et 12 octobre 2001 Audience publique du 10 juillet 2002

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Recours formés par la société … s.à r.l, … contre une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural et du ministre de l’Intérieur en présence de l’administration communale de Hobscheid et de M. et Mme …, … en matière de permission de cours d’eau

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JUG

EMENT

I.

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 juillet 2001 par Ma...

Tribunal administratif N°s 13716 et 14050 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrits les 10 juillet et 12 octobre 2001 Audience publique du 10 juillet 2002

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Recours formés par la société … s.à r.l, … contre une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural et du ministre de l’Intérieur en présence de l’administration communale de Hobscheid et de M. et Mme …, … en matière de permission de cours d’eau

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JUGEMENT

I.

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 10 juillet 2001 par Maître Jean-Paul NOESEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société … s.à r.l., établie et ayant son siège social à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural et du ministre de l’Intérieur du 17 avril 2001, lui accordant une permission de cours d’eau sous diverses conditions dans le cadre de deux immeubles à construire aux abords de l’Eisch à Eischen, rue de Clairefontaine ;

Vu les exploits de l'huissier de justice Pierre KREMMER, demeurant à Luxembourg, des 12 et 30 juillet 2001, par lesquels cette requête a été signifiée à l'administration communale de Hobscheid et à M. … et à son épouse, Mme …, les deux demeurant ensemble à L-… ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 septembre 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé par la demanderesse au greffe du tribunal administratif en date du 10 octobre 2001 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 décembre 2001 par Maître René WEBER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour compte de l’administration communale de Hobscheid ;

Vu l'exploit de l'huissier de justice Guy ENGEL, demeurant à Luxembourg, du 28 novembre 2001, portant signification de ce mémoire à la société … s.à r.l. ;

II.

Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 octobre 2001 par Maître Jean-Paul NOESEN, préqualifié, au nom de la société … s.à r.l., préqualifiée, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural et du ministre de l’Intérieur du 31 mai 2000, l’informant de la nécessité de demander une permission de cours d’eau en vue de la construction d’un immeuble à appartements et d’une maison à Eischen, rue de Clairefontaine ;

Vu les exploits de l'huissier de justice Pierre KREMMER, préqualifié, du 22 octobre 2001, par lesquels cette requête a été signifiée à l'administration communale de Hobscheid et à M. … et à son épouse, Mme …, préqualifiés ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 janvier 2002;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 janvier 2002 par Maître René WEBER, préqualifié, pour compte de l’administration communale de Hobscheid ;

Vu la requête présentée par Maître Jean-Paul NOESEN et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 février 2002, tendant à la prorogation du délai légal pour déposer un mémoire en réplique ;

Vu l’ordonnance du 5 février 2002, qui a fait droit à cette demande et par laquelle Maître Jean-Paul NOESEN a été autorisé à déposer son mémoire en réplique pour au plus tard le 18 mars 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par la demanderesse au greffe du tribunal administratif en date du 14 mars 2002 ;

Vu les exploits de l'huissier de justice Pierre KREMMER, préqualifié, du 15 mars 2002, par lesquels ledit mémoire en réplique a été signifié à l'administration communale de Hobscheid et à M. … et à son épouse, Mme … ;

Vu le mémoire en duplique déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif en date du 10 avril 2002 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 avril 2002 par Maître Myriam BRUNEL, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. et Mme …;

Vu les exploits de l'huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 15 avril 2002, par lesquels ledit mémoire en réponse a été signifié à l'administration communale de Hobscheid et à la société … s.à r.l. ;

I. et II.

Vu les pièces versées et notamment les actes attaqués;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maîtres Jean-Paul NOESEN et René WEBER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH, en leurs plaidoiries respectives.

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Par acte notarié du 21 décembre 1998, la société … s.à r.l. a acquis de la part des époux … un terrain à bâtir sis à Eischen, rue de Clairefontaine, inscrit au cadastre de la commune de Hobscheid, section B d’Eischen, sous le n° cadastral 830/3894.

Suite à l’introduction d’une demande en obtention d’une autorisation de construire une maison unifamiliale ainsi qu’une résidence à appartements sur le prédit terrain, l’administration communale de Hobscheid informa la société … s.à r.l., par lettres datées des 30 juillet et 16 novembre 1999, que celle-ci pourrait « retirer » les permis de construire contre paiement de la taxe communale s’élevant respectivement à 5.000.- LUF et 24.000.- LUF.

En date du 27 janvier 2000, l’administration communale de Hobscheid fit parvenir un courrier à la société … s.à r.l. l’informant que conformément à la loi du 16 mai 1929 concernant le curage, l’entretien et l’amélioration des cours d’eau, elle devrait requérir une permission de cours d’eau auprès de l’administration des services techniques du ministère de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural.

En réponse à ce courrier, le mandataire de la société … s.à r.l., par lettre datée du 24 février 2000, fit savoir à l’administration communale de Hobscheid qu’il considérait qu’aucune autorisation ne serait requise, dans la mesure où la loi précitée du 16 mai 1929 ne serait pas applicable au cas d’espèce.

Par courrier du 31 mai 2000, le ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural et le ministre de l’Intérieur, dénommés ci-après les « ministres », informèrent également la société … s.à r.l. de la nécessité de demander une permission de cours d’eau, au motif que « d’après un relevé des hautes eaux de l’Eisch, réalisé par l’Administration des Services Techniques de l’Agriculture en janvier et en décembre 1993, il s’est avéré que le fonds, qui recevra les immeubles projetés, est traversé par un couloir d’inondation, parallèle au lit principal de l’Eisch ».

Suite à ce courrier, la société … s.à r.l. chargea le bureau d’études M. B. de faire une « analyse de l’impact hydraulique du ruisseau Eisch suite à la construction d’un immeuble à Eischen (rue de Clairefontaine) ».

M. B. déposa son rapport final le 26 février 2001 auprès des services techniques du ministère de l’Agriculture, rapport duquel il se dégage que le régime hydraulique de l’Eisch resterait inchangé après la construction des immeubles projetés si le promoteur réalisait certaines mesures compensatoires, à savoir, l’élargissement du lit du ruisseau, l’arrondissement de l’angle de déblais en amont, la préservation des arbres au bord duruisseau par aménagement d’îlots autour des arbres et l’aménagement d’un îlot pour la déviation de l’écoulement.

Par décision du 17 avril 2001, les ministres autorisèrent la construction des immeubles projetés, à condition que la société … s.à r.l. réalise les aménagements prévus par le rapport de l’expert B. Comme les travaux d’aménagement, proposés par ledit expert, devraient être réalisés aux abords de l’Eisch sur un terrain communal, la société … s.à r.l. s’adressa en date du 7 mai 2001 à la commune en vue d’obtenir l’accord de cette dernière pour réaliser les travaux tels que prescrits dans la décision ministérielle.

Il ressort d’une lettre du 22 juin 2001, émanant du mandataire de la société … s.à r.l., que le bourgmestre refusa en date du 21 juin 2001, de délivrer matériellement les autorisations de construire accordées en date des 30 juillet et 16 novembre 1999.

Par décision du 25 juin 2001, le bourgmestre refusa de faire droit à la demande introduite en date du 7 mai 2001 par la société … s.à r.l., au motif que « l’étude hydraulique, conformément aux conditions de la permission de cours d’eau délivrée par le ministère de l’Agriculture et le ministère de l’Intérieur » imposerait une modification du terrain naturel de l’aire de jeux appartenant à la commune et qu’il n’accepterait pas une telle modification de l’aire de jeux existante.

Par requête déposée le 10 juillet 2001, portant le numéro du rôle 13716, la société … s.à r.l. a introduis un recours en annulation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 17 avril 2001.

Par requête séparée déposée le 12 octobre 2001, portant le numéro du rôle 14050, elle a introduit un recours en annulation à l’encontre de la lettre ministérielle précitée du 31 mai 2000.

Par deux autres requêtes séparées, déposées respectivement en date des 10 juillet et 9 août 2001 et portant les numéros du rôle 13718 et 13848, elle a introduit, d’une part, un recours contre la décision non écrite de ne pas délivrer les permis de construire accordés les 30 juillet et 16 novembre 1999 et contre la décision du 25 juin 2001 de l’administration communale de Hobscheid de ne pas accorder l’autorisation d’aménager les abords de l’Eisch, et, d’autre part, un recours contre une décision du bourgmestre de la prédite commune, prise en date du 20 juillet 2001, ordonnant la fermeture du chantier.

Dans ses mémoires en réplique, déposés dans les affaires portant les numéros 13716 et 14050 du rôle, la demanderesse sollicite la jonction, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, des quatre recours introduits en son nom.

Etant donné que les affaires portant les numéros 13716 et 14050 du rôle ont trait à des actes émis par les ministres, dans le cadre d’une même demande tendant à obtenir une permission de cours d’eau portant sur les mêmes immeubles à construire, il y a lieu, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de les joindre pour y statuer par un seul et même jugement.

Concernant les affaires portant les numéros 13718 et 13848 du rôle, il y a lieu de retenir que ces deux affaires portent, en substance, sur l’existence d’une autorisation deconstruire et la légalité d’une décision de fermeture de chantier. Une affaire concernant une demande en obtention d’une permission de cours d’eau ainsi qu’une affaire concernant une demande en obtention d’un permis de construire, voire une fermeture de chantier pour défaut d’un tel permis, n’ayant pas le même objet, les décisions critiquées relevant de surcroît de la compétence de deux autorités administratives différentes et les conditions d’octroi des autorisations respectives étant appréciées selon des critères différents, il y a lieu de rejeter cette demande de jonction.

Le tribunal est en premier lieu appelé à examiner le moyen soulevé d’office par lui au cours des plaidoiries de l’affaire portant le numéro 14050 du rôle, au motif qu’il s’agit d’un moyen ayant trait à l’ordre public, et portant sur la question de savoir si le mémoire en réponse déposé pour compte de M. et Mme … a été déposé dans le délai de trois mois prévu par la loi.

Les mandataires des parties se sont rapportés à la sagesse du tribunal quant à l’éventuelle tardiveté du dépôt dudit mémoire en réponse.

L’article 5 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives prévoit en ses paragraphes (1) et (6) que :

«(1) (…) le défendeur et le tiers intéressé sont tenus de constituer avocat et de fournir leur réponse dans le délai de trois mois à dater de la signification de la requête introductive.

(6) Les délais prévus aux paragraphes 1 et 5 sont prévus à peine de forclusion. Ils ne sont pas susceptibles d’augmentation en raison de la distance. Ils sont suspendus entre le 16 juillet et le 15 septembre ».

Il convient encore de relever qu’aucune prorogation de délai n’a été demandée au président du tribunal conformément à l’article 5, paragraphe (7) de la loi précitée du 21 juin 1999 ni, par la force des choses, accordée par ce dernier.

Il se dégage de l’article 5 de la loi précitée du 21 juin 1999, que la question de la communication des mémoires dans les délais prévus par la loi touche à l’organisation juridictionnelle, étant donné que le législateur a prévu les délais émargés sous peine de forclusion.

Dans la mesure où la requête introductive d’instance a été signifiée à M. et Mme … -

partie tierce intéressée - en date du 22 octobre 2001, le dépôt et la communication du mémoire en réponse ont dû intervenir pour le 22 janvier 2002. Or, le mémoire en réponse a été déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 avril 2002 et signifié le 15 avril 2002 à la demanderesse, c’est-à-dire en dehors du délai de trois mois qui a couru à compter du jour de la signification de la requête introductive d’instance. Par conséquent, à défaut d’avoir été communiqué et déposé au greffe du tribunal administratif dans le délai de trois mois légalement prévu à peine de forclusion, le tribunal est dans l’obligation d’écarter le mémoire en réponse des époux … des débats.

Il s’ensuit que les époux … devront en tout état de cause supporter les frais de leur intervention dans l’affaire portant le numéro 14050.

Comme, d’une part, les époux …, auxquels la requête introductive d’instance inscrite sous le numéro 13716 du rôle a été signifiée en date du 30 juillet 2001, n’ont pas déposé de mémoire en réponse dans le cadre de cette instance, et, d’autre part, leur mémoire en réponse a été écarté dans le cadre de l’instance inscrite sous le numéro 14050 du rôle, le tribunal ne peut pas tenir compte des explications orales fournies par Maître Gilles PLOTTKE, en remplacement de Maître Myriam BRUNEL, au cours de l’audience du 6 mai 2002.

Il n’en demeure pas moins qu’en vertu de l’article 6 de la loi précitée du 21 juin 1999, le tribunal statue néanmoins contradictoirement à l’égard de toutes les parties.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal est compétent pour connaître des recours en annulation.

Quant à la recevabilité des recours Il convient en premier lieu d’analyser la recevabilité du recours portant le numéro 14050 du rôle, dans la mesure où l’acte y attaqué est antérieur en date à la décision attaquée par le recours portant le numéro 13716 du rôle.

Le délégué du gouvernement soulève la tardiveté du recours, dans la mesure où il aurait été introduit en dehors du délai légal de trois mois prévu par l’article 13 (1) de la loi précitée du 21 juin 1999.

La demanderesse fait préciser que la lettre du 31 mai 2000 ne serait attaquée qu’en ordre subsidiaire, pour le cas où le tribunal devrait retenir que le recours portant le numéro 13716 du rôle serait irrecevable « à défaut d’attaquer la décision du 31 mai 2000 ». En effet, la demanderesse estime que « la décision du 31 mai 2000 » serait constitutive d’une simple lettre informative, non susceptible de faire l’objet d’un recours. Dans la mesure où cette lettre ne contiendrait aucune décision, elle ne serait pas « susceptible d’acquiescement ou d’exécution ».

Le tribunal est de prime abord appelé à vérifier la recevabilité du recours relativement à la nature de l’acte critiqué.

A cette fin, il doit examiner si l’acte litigieux constitue une décision administrative au sens de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, c’est-à-dire une véritable décision affectant les droits et intérêts du demandeur qui la conteste.

L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. N’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-

mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision (trib. adm. 23 juillet 1997, n° 10141 du rôle, Pas. adm. 2001, V° Actes administratifs, n°7, p. 20 et autres décisions y citées).

En l’espèce, l’acte critiqué des ministres du 31 mai 2000 ne contient aucun élément décisionnel propre, mais il se borne à fournir des informations au sujet de la nécessité de demander une permission de cours d’eau dans le cadre de la loi modifiée du 16 mai 1929 concernant le curage, l’entretien et l’amélioration des cours d’eau. L’acte en question s’analyse en une explication ministérielle et revêt en l’espèce un caractère simplement informatif et il est partant sans effet juridique propre, de sorte que le recours dirigé à son encontre est irrecevable.

Le délégué du gouvernement conteste également la recevabilité du recours portant le numéro 13716 du rôle, au motif que l’annulation de la décision du 17 avril 2001 n’aurait pas pour effet de faire disparaître le grief de la demanderesse qui trouverait sa cause dans un autre acte, à savoir dans la « décision » des ministres du 31 mai 2000, qui imposerait à la demanderesse l’obligation de requérir une permission de cours d’eau. Il soutient encore que le recours serait irrecevable du fait que la demanderesse aurait exécuté la « décision » du 31 mai 2000 sans aucune réserve.

Force est de constater, comme il a été retenu ci-avant, que la lettre des ministres du 31 mai 2000 n’est qu’une lettre informative qui, comme l’a relevé à bon droit la demanderesse, n’est pas de nature à produire par elle-même des effets juridiques affectant sa situation personnelle ou patrimoniale et ce n’est que la décision accordant la permission de cours d’eau qui, en imposant certaines conditions, fait grief à la demanderesse.

Dans cette mesure, les deux moyens d’annulation invoqués par le délégué du gouvernement, tirés de ce que la demanderesse aurait exécuté sans réserve la « décision » du 31 mai 2000 et que cette « décision » survivrait à l’annulation de la décision du 17 avril 2001, sont non fondés.

Le recours en annulation introduit sous le numéro 13716 du rôle est partant recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond La demanderesse critique en premier lieu la nécessité d’obtenir une permission de cours d’eau, au motif qu’aucune des différentes lois invoquées, à savoir l’ordonnance du 13 août 1669 portant règlement général pour les eaux et forêts, l’arrêté du Directoire exécutif du 9 mars 1798 contenant des mesures pour assurer le libre cours des rivières et canaux navigables et flottables, l’arrêté royal du 28 août 1820 qui statue que les dispositions ordonnées pour l’établissement d’usines sur les rivières navigables seront appliquées aux usines à établir sur les cours d’eau non navigables ni flottables et la loi du 16 mai 1929 concernant le curage, l’entretien et l’amélioration des cours d’eau, ne justifierait en l’espèce l’obligation de requérir une permission de cours d’eau.

Elle soutient qu’aucune de ces bases légales ne viserait sa situation, dans la mesure où, d’une part, ces textes concerneraient les cours d’eau navigables et flottables, parmi lesquels la rivière d’Eisch ne serait pas rangée, et, d’autre part, à supposer que ces textes soient néanmoins applicables, ils viseraient des constructions ou travaux qui modifieraient les cours d’eau ou qui seraient susceptibles de dégrader, abaisser ou affaiblir les berges ou les digues, et que tel ne serait pas le cas en l’espèce.

Le délégué du gouvernement fait valoir que l’arrêté royal précité du 28 août 1820 étendrait les interdictions contenues dans les textes légaux antérieurement promulgués aux cours d’eau non navigables ni flottables. Il précise que la jurisprudence aurait interprété la disposition de l’arrêté royal en ce sens que le gouvernement pourrait prescrire « même relativement aux eaux non navigables, toutes les mesures en vue de faciliter le libre écoulement des eaux et de protéger la sécurité et la salubrité publique ».

Il y a lieu de retenir en premier lieu que conformément à l’article 2 de la loi sur la pêche du 28 juin 1976, le ruisseau de l’Eisch est considéré comme une « rivière non navigable ni flottable ».

L’ordonnance précitée du 13 août 1669 ainsi que l’arrêté précité du Directoire exécutif du 9 mars 1798 contiennent des mesures destinées à assurer le libre cours des rivières et des canaux navigables et flottables. L’arrêté royal précité du 28 août 1820, intitulé comme suit :

« les dispositions ordonnées pour l’établissement d’usines sur les rivières navigables seront appliquées aux usines à établir sur les cours d’eau non navigables ni flottables », dispose en son article 1er que « les lois et règlements en vigueur sur l’établissement de moulins, usines, etc., situés sur les cours d’eau, sont applicables non seulement à ceux construits ou à construire sur les rivières navigables ou flottables, mais en général à tous ceux qui sont mis en mouvement par des cours d’eau navigables et non navigables ; qu’il est défendu de construire des moulins, usines, ou autres travaux sur des cours d’eau non navigables, ou de changer ceux déjà existants, sans en avoir préalablement obtenu l’autorisation de l’autorité compétente et sans en avoir rempli à cet égard toutes les conditions et formalités prescrites par ces mêmes lois et règlements ».

Force est de retenir que cet arrêté rend applicable les dispositions contenues dans l’ordonnance précitée du 13 août 1669 et dans l’arrêté précité du Directoire exécutif du 9 mars 1798 aux cours d’eau non navigables ni flottables, dans la mesure où sont en cause des moulins, usines ou toutes autres constructions situés sur les cours d’eau, qu’il interdit de changer les constructions existantes ou de réaliser tous autres travaux sur les cours d’eau sans avoir au préalable obtenu l’autorisation de l’autorité compétente et sans avoir respecté les conditions et formalités prescrites par les lois et règlements. Ces textes s’appliquent donc en l’espèce, mais seulement dans la mesure où le projet de construction de la société … s.à r.l. est de nature à avoir une influence sur le cours d’eau de l’Eisch.

Par ailleurs, l’article 18 de la loi précitée du 16 mai 1929, applicable aux cours d’eau non navigables ni flottables, dispose également qu’une permission de cours d’eau est requise du ministre en cas de déplacement du lit des cours d’eau ou dans l’hypothèse où les travaux ou constructions projetés préjudicieraient à l’état normal et régulier du cours d’eau par l’enlèvement de gazons, terres, boues, sables, graviers ou autres matériaux.

Il convient donc d’examiner si les constructions projetées par la société … s.à r.l. sont de nature à influencer le déroulement ou amener un changement dans le cours des eaux de l’Eisch, exigeant ainsi une permission de cours d’eau de l’autorité compétente.

Le délégué du gouvernement conclut à ce sujet que le lit d’un cours d’eau ne se limiterait pas au seul lit « habituel » occupé en régime normal, mais s’étendrait sur une surface beaucoup plus importante. En effet, chaque rivière serait caractérisée par son régime d’écoulement, dans la mesure où elle s’écoulerait normalement dans son lit « mineur », maisdéborderait quelquefois dans son lit « moyen » et plus rarement, dans son lit « majeur ». La ligne supérieure du lit « majeur » correspondrait à la « ligne des hautes eaux » atteintes par la rivière lors de crues, tandis que la « ligne des plus hautes eaux » correspondrait au niveau des inondations en cas de crues exceptionnelles et ce serait cette ligne qui serait prise en considération par les spécialistes pour contrôler l’urbanisation. Il expose qu’il résulterait des diverses dispositions protégeant le régime hydraulique des cours d’eau, qu’elles ne viseraient pas uniquement à protéger la berge ou le lit du cours d’eau de toute perturbation mais elles viseraient d’une manière générale à éviter toute perturbation du libre écoulement des cours d’eau.

Il relève qu’il résulterait de l’étude réalisée par le bureau d’études mandaté par la demanderesse que le régime hydraulique de l’Eisch ne serait pas entravé par l’impact de la construction des immeubles litigieux à condition que certains travaux d’élargissement du lit soient réalisés. Il en conclut que les constructions, telles que projetées et en l’absence des travaux d’aménagements prescrits par la décision des ministres du 17 avril 2001, modifieraient le régime hydraulique de l’Eisch.

Il ressort sans équivoque de l’intitulé et du contenu de l’arrêté de 1820 qu’il envisage à étendre les dispositions légales et réglementaires en vigueur uniquement aux travaux et aux constructions affectant directement l’écoulement du cours des eaux non navigables ni flottables. Le prédit arrêté se réfère de façon expresse à des constructions situées sur les cours d’eau ainsi qu’à des travaux effectués sur les cours d’eau, de sorte que le projet de la demanderesse visant à construire à une distance de 20 mètres du lit « majeur » de la rivière une résidence à appartements et une maison unifamiliale ne tombe pas dans le champ d’application de cet arrêté royal, ni a fortiori dans celui des autres dispositions légales auxquelles cet arrêté fait référence. Le fait de soutenir que le lit d’un cours d’eau « au sens technique » s’étendrait sur une surface beaucoup plus importante jusqu’à inclure les zones inondables en cas de crues exceptionnelles résulte d’une interprétation qui ne trouve pas appui dans les textes de lois invoqués à l’appui de la décision ministérielle litigieuse.

En ce qui concerne la nécessité d’obtenir une permission de cours d’eau sur base de la loi précitée du 16 mai 1929, force est de constater que le projet de la société … s.à r.l. ne tombe pas non plus dans son champ d’application, dans la mesure où le projet de cette dernière n’est pas susceptible de dégrader, abaisser ou affaiblir, de quelque manière que ce soit, les berges ou les digues, ni d’obstruer les cours d’eau, navigables ou non. Par ailleurs, la société … s.à r.l. n’envisage pas de déposer des objets quelconques pouvant entraver le libre écoulement des eaux de l’Eisch, elle ne déplacera pas le lit du cours d’eau et elle ne préjudiciera pas à l’état normal du cours d’eau et régulier par l’enlèvement de gazons, terres, boues, sables, graviers ou autres matériaux, seules hypothèses énumérées par cette loi qui nécessiteraient une permission de cours d’eau.

En effet, la loi précitée du 16 mai 1929 n’impose pas, de manière générale, l’obtention d’une permission de cours d’eau pour toute construction située à proximité d’un cours d’eau, mais uniquement pour les constructions et travaux susceptibles d’avoir une incidence sur les cours d’eau dans le sens d’une obstruction de leur écoulement ou d’une altération de leur lit.

Or, en l’espèce, il est constant que les constructions projetées n’entraînent pas une altération du lit de l’Eisch.

Cette conclusion ne saurait être énervée par le fait qu’un « couloir d’inondation » traverse le terrain de la société … s.à r.l. et que la construction projetée risque d’avoir un impact sur l’écoulement des eaux en cas de hautes crues, débordant du lit de la rivière.

S’il est vrai que la présence d’un bâtiment dans une zone inondable a une incidence sur la capacité de rétention de cette zone et sur la hauteur des eaux, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un problème qui relève du régime des zones inondables et du classement d’un terrain et non pas d’un problème tombant dans le champ d’application de la loi précitée du 16 mai 1929 qui n’envisage pas une telle situation. En effet, il se dégage clairement des dispositions de cette loi qu’elle vise le libre écoulement des eaux à l’état normal des cours d’eau. Une inondation est, par principe, un phénomène exceptionnel et se caractérise par le fait que le cours d’eau sort de son lit normal. Or, la loi précitée du 16 mai 1929 ne vise pas une telle situation, mais uniquement l’hypothèse dans laquelle les constructions ou les travaux à effectuer préjudicieront à l’état normal et régulier des cours d’eau, de sorte que c’est à bon droit que la société … s.à r.l. soutient que l’obligation de solliciter une permission de cours d’eau se matérialisant par l’autorisation ministérielle accordée en date du 17 avril 2001 doit encourir l’annulation pour violation de la loi.

Il devient dès lors surabondant d’analyser les autres moyens d’annulation proposés par la demanderesse tirés notamment de la violation de l’article 10bis de la Constitution.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties, joint les recours introduits sous les numéros du rôle 13716 et 14050 ;

déclare la demande de jonction des recours introduits sous les numéros 13718 et 13848 du rôle non fondée ;

écarte des débats le mémoire en réponse des époux … tardivement fourni dans le cadre de l’instance inscrite sous le numéro 14050 du rôle ;

déclare le recours introduit sous le numéro 14050 du rôle irrecevable ;

reçoit le recours portant le numéro 13716 du rôle en la forme ;

le déclare fondé et annule la décision des ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural et de l’Intérieur du 17 avril 2001, condamne l’Etat aux frais, à l’exception de ceux exposés par les époux …, dans le cadre de l’affaire portant le numéro 14050 du rôle qui resteront à leur charge.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 10 juillet 2002 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : s13716,14050
Date de la décision : 10/07/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-07-10;s13716.14050 ?

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