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10/07/2002 | LUXEMBOURG | N°14622

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juillet 2002, 14622


Tribunal administratif N° 14622 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2002 Audience publique du 10 juillet 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14622 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 février 2002 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’

Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actu...

Tribunal administratif N° 14622 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 février 2002 Audience publique du 10 juillet 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14622 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 février 2002 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 4 septembre 2001, notifiée le 5 décembre 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 29 janvier 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 avril 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er juillet 2002.

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En date du 13 avril 1999, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date du 14 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 4 septembre 2001, notifiée le 5 décembre 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur … que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays en avril 1999 pour vous rendre en Bosnie. Un passeur vous a conduit au Luxembourg en passant par la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France. Votre demande en obtention du statut de réfugié date du 13 avril 1999.

Vous exposez que vous auriez déserté en date du 19 février 1999 après avoir appris que vous seriez envoyé au Kosovo. Vous avez quitté votre pays d’origine en raison de cette désertion. Vous dites ne pas avoir d’autre raison pour fuir, étant donné que vous vouliez être juge dans votre pays d’origine. Vous avez été condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans et demi et vous devez refaire le service militaire. Vous avez aussi peur d’une épuration ethnique du fait que vous êtes musulman. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécuté.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La désertion n’est pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution.

La peine d’emprisonnement de deux ans et demi n’est pas non plus manifestement disproportionnée par rapport à la gravité objective de l’infraction. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » A l’encontre de la décision prévisée du 4 septembre 2001, Monsieur … fit introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire du 4 janvier 2002. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 29 janvier 2002, il a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 4 septembre 2001 et 29 janvier 2002 par requête déposée en date du 28 février 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Monténégro et de confession musulmane et que sa situation spécifique serait telle qu’il serait particulièrement exposé à des persécutions en raison de sa désertion en date du 19 février 1999 au motif qu’il n’aurait pas voulu continuer à effectuer son service militaire au moment de partir pour la guerre du Kosovo. A l’appui de ses dires, le demandeur produit un jugement de condamnation du tribunal militaire à Podgorica du 23 mars 1999 l’ayant déclaré coupable du délit de désertion et l’ayant condamné à une peine d’emprisonnement de 2 ans et 6 mois.

De même, le demandeur fait encore état d’un jugement du tribunal à Bijelo Polje, faisant référence au prédit jugement du tribunal de Podgorica, par lequel sa fonction de juge stagiaire auprès dudit tribunal de Bijelo Polje a été interrompue. Dans son recours contentieux, le demandeur exprime encore ses doutes les plus sérieux quant à l’application effective de la loi d’amnistie en Yougoslavie et plus particulièrement quant à l’application de cette loi d’amnistie aux personnes toujours réfugiés à l’étranger. Dans ce contexte, le demandeur renvoie au cas d’un dénommé Nedzad Hadzajlic qui aurait été poursuivi pour désertion suivant ordonnance du tribunal d’instance de Bijelo Polje du 30 juillet 2001, à un article de presse ayant paru en date du 19 mars 2001 au journal « Vesti », ainsi qu’à un jugement du tribunal militaire à Nis du 22 octobre 2001, ayant condamné un dénommé Adis Mehovic à une peine d’emprisonnement d’un mois au plus.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 14 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’état de désertion de Monsieur …, il convient de rappeler que la désertion n’est pas, en elle même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires en raison de son appartenance ethnique ou de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur … n’établit pas au de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées, et surtout que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement, dont notamment le jugement rendu à son encontre en date du 23 mars 1999 par le tribunal militaire à Podgorica.

Cette conclusion n’est pas énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que la désertion constituerait un délit continué et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits dont on connaîtrait la date exacte à laquelle ils ont été commis respectivement pour les déserteurs qui auraient pu se présenter devant un organe compétent pour régulariser leur situation, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaître d’ores et déjà (cf. trib. adm. 18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié).

Dans ce contexte, il convient encore d’ajouter que les pièces déposées par le mandataire du demandeur à l’appui de son recours, à savoir l’article de presse ayant paru au journal « Vesti » en date du 19 mars 2001 ainsi que l’ordonnance du 30 juillet 2001 du tribunal d’instance de Bijelo Polje concernant un dénommé Nedzad Hadzajlic, n’emportent pas non plus la conviction du tribunal alors que ces documents ne sauraient en tout état de cause être retenus comme étant suffisants pour illustrer une défaillance généralisée au niveau de l’application de ladite loi d’amnistie, hypothèse qui est au demeurant démentie par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés qui, a au contraire, exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Finalement la pièce déposée en date du 12 juin 2002 au greffe du tribunal administratif, à savoir le jugement du tribunal militaire à Nis du 22 octobre 2001, n’entraîne pas non plus la conviction du tribunal, à supposer son authenticité établie, étant donné, qu’indépendamment de considérations relatives au caractère disproportionné ou non de la durée de la peine d’emprisonnement d’un mois au plus, il n’est pas établi dans quelles circonstances les infractions reprochées au dénommé Adis Mehovic ont été commises et si la décision du 22 octobre 2001 a été frappée d’une voie de recours ou a acquis autorité de chose jugée à l’heure actuelle.

Pour le surplus, s’il est exact qu’une persécution au sens de la Convention de Genève peut être établie, en cas de circonstances particulières, si une personne pour des raisons politiques est contrainte de cesser sa relation de travail avec son employeur, force est de constater que la preuve de pareilles circonstances exceptionnelles n’a pas été rapportée, étant donné qu’il résulte de la motivation du jugement du tribunal à Bijelo Polje du 14 février 2000 que la fonction de juge stagiaire a été interrompue en raison de son absence au travail. Le fait que ce jugement fasse encore référence au prédit jugement du tribunal militaire à Podgorica du 23 mars 1999 n’entraîne pas non plus la conviction du tribunal, eu égard au fait que la date du jugement du tribunal à Bijelo Polje est antérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi d’amnistie en Yougoslavie.

Finalement, les craintes de persécution du demandeur en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane et la situation politique générale dans son pays d’origine constituent l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établit un état de persécution personnel vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 juillet 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14622
Date de la décision : 10/07/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-07-10;14622 ?

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