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10/07/2002 | LUXEMBOURG | N°14614

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juillet 2002, 14614


Tribunal administratif N° 14614 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 février 2002 Audience publique du 10 juillet 2002

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Recours formé par Monsieur … et son épouse Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14614 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 février 2002 par Maître Aloyse MAY, avocat à la Cour, assi

sté de Maître Patricia FERRANTE, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembour...

Tribunal administratif N° 14614 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 février 2002 Audience publique du 10 juillet 2002

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Recours formé par Monsieur … et son épouse Madame …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14614 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 février 2002 par Maître Aloyse MAY, avocat à la Cour, assisté de Maître Patricia FERRANTE, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, et de son épouse Madame …, née le …, tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 août 2001, notifiée en date du 4 décembre 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Patricia FERRANTE et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 juin 2002.

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En date du 11 janvier 1999, Monsieur … et son épouse Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants …, … et …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Ils furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent ensuite entendus séparément en date du 16 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 20 août 2001, notifiée le 4 décembre 2001, le ministre de la Justice informa les époux …-… que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que quatre jours avant votre arrivée au Luxembourg, vous avez quitté Novi Pazar, en bus, pour vous rendre à Sarajevo. Là, vous avez été pris en charge par un passeur. Vous avez transité par la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France pour arriver au Luxembourg le 11 janvier 1999.

Vous avez déposé vos demandes en obtention de statut de réfugié politique le jour de votre arrivée.

Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous auriez été recherché par la police militaire vers la fin du mois de septembre 1998. Vous auriez refusé d’aller vous battre contre les Albanais au Kosovo. Vous ne savez pas exactement quelle sanction vous attendrait, mais vous risqueriez d’être condamné à une peine d’emprisonnement. Vous avez peur de la guerre.

Votre peur des Serbes serait motivée par votre religion. Vous précisez que les musulmans n’auraient pas les mêmes droits que les Serbes. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique.

Madame, vous dites que les musulmans n’auraient pas de droits dans votre pays d’origine. Vous auriez été inscrite pendant plusieurs années à l’Administration de l’Emploi sans pour autant trouver un travail . Vous ajoutez que votre maison serait dans un mauvais état à cause des bombardements. Vous relevez également que vous n’auriez pas eu de liberté dans votre pays d’origine. Votre peur serait motivée par votre religion. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique et vous n’avez pas été personnellement persécutée.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Les autres motifs que vous relevez (différence de traitement des musulmans) ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Madame, les motifs que vous invoquez (impossibilité de trouver un travail, maison dans un mauvais état) ne sauraient à eux seuls vous valoir le bénéfice de la reconnaissance du statut de réfugié.

Force est de constater que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives en Serbie du 23 décembre 2000. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » A l’encontre de la décision prévisée du 20 août 2001, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux par courrier de leur mandataire du 4 janvier 2002. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 29 janvier 2002, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 30 août 2001 par requête déposée en date du 27 février 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient de confession musulmane, que Monsieur … serait né en Macédoine à Skopje, mais qu’ils auraient vécu ensemble à Novi Pazar en Serbie. Ils exposent plus particulièrement que leur départ de leur pays d’origine serait motivé par le fait que Monsieur … aurait été recherché par la police militaire vers la fin du mois de septembre 1998 en vu de son enrôlement dans l’armée serbe pour participer à la guerre du Kosovo, mais qu’ils auraient réussi à se cacher chez des membres de leur famille jusqu’au moment de leur départ pour l’étranger début janvier 1999.

Monsieur … expose qu’il risquerait une peine d’emprisonnement disproportionnée entre 1 et 20 ans en raison de son insoumission. Les époux …-… ajoutent que leur fuite serait encore motivée par les discriminations subies dans leur pays d’origine en raison de leur religion musulmane et qu’un retour à l’heure actuelle serait impossible en raison du fait que leur maison aurait été détruite lors de bombardements. Finalement dans leur recours contentieux, les demandeurs estiment encore que la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur au mois de mars 2001 ne serait pas appliquée effectivement et qu’en cas d’obtention du statut de réfugié politique dans le chef de Monsieur …, Madame … devrait également bénéficier de ce même statut, de même que les autres membres de la famille et ceci conformément aux dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre le droit à la vie de famille. Sur ce, ils estiment qu’ils feraient valoir des craintes justifiées de persécutions et ils demandent à se voir reconnaître le statut de réfugié politique, de sorte que la décision attaquée devrait être réformée pour erreur de fait sinon erreur de droit.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux …-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives en date du 16 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal moyen basé sur l’insoumission de Monsieur …, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné, qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Concernant l’allégation relative à une non-application généralisée de ladite loi d’amnistie, illustrée par les demandeurs par référence notamment à un extrait du journal « VESTI » du 19 mars 2001 et par référence à un écrit du dénommé Sefer Mededovic du 22 juin 2001, il convient en premier lieu de relever qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Concernant ensuite les craintes de persécution des demandeurs en raison de la situation générale en Yougoslavie et en raison de leur religion musulmane, force est de constater que ces craintes sont insuffisantes pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que les demandeurs, considérés individuellement et concrètement, risquent de subir des traitements discriminatoires pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève ou que de tels traitements leur auraient été infligés dans le passé.

La prétendue destruction de la maison des demandeurs suite à des bombardements, aussi dramatique que cet événement ait pu avoir été, n’est pas de nature à rendre la vie intolérable et à constituer un élément suffisant duquel il se dégagerait que les autorités en place ne soient pas capables d’assurer actuellement un niveau de protection suffisant, d’autant plus que les demandeurs n’ont même pas précisé les circonstances exactes de cette prétendue destruction.

A supposer encore que la famille …-… doive retourner un jour en Macédoine, pays dont Monsieur … est originaire, il convient de retenir que la situation politique s’est normalisée dans cette région, de sorte que les demandeurs peuvent également regagner ce pays sans risque ni crainte pour l’une des raisons mentionnées à la Convention de Genève.

Concernant finalement le moyen invoqué par Madame … basé sur l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, à savoir le droit à la vie de famille, il échet de constater que sa demande se greffe sur la demande de son époux, de sorte que le rejet de la demande en obtention du statut de réfugié politique dans le chef de Monsieur … doit entraîner de même le rejet de la demande afférente de Madame ….

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 juillet 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14614
Date de la décision : 10/07/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-07-10;14614 ?

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