Tribunal administratif N° 14196 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 novembre 2001 Audience publique du 10 juillet 2002
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Recours formé par Monsieur … et Madame … et consorts, Rédange/Attert contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 14196 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 novembre 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … , et de Madame …, née le …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 14 août 2001, notifiée le 30 août 2001 portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée, ainsi que d’une décision du même ministre du 12 octobre 2001 déclarant leur recours gracieux du 4 octobre 2001 irrecevable pour cause de tardiveté ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 février 2002 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Louis TINTI ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 juillet 2002.
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Le 26 août 1998, Monsieur … et Madame …, agissant tant en leur nom personnel ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
En date du même jour, ils furent entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Monsieur … et Madame … furent ensuite entendus séparément en dates des 3 décembre 1999 et 6 janvier 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.
Par décision du 14 août 2001, notifiée le 30 août 2001, le ministre de la Justice informa les consorts …-… que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:
« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté le Kosovo à pied le 12 août 1998 pour aller à Rozaje/Monténégro. Vous êtes restés deux jours à Rozaje et, de là , vous avez pris le bus jusqu’à Budapest/Hongrie. Ensuite, un taxi vous a emmené jusqu’à Level/Hongrie où vous avez attendu un passeur pour pouvoir continuer votre voyage. Vous avez alors traversé l’Autriche, l’Allemagne et vous êtes arrivés au Luxembourg le 26 août 1998.
Vous avez déposé vos demandes en obtention du statut de réfugié politique le 26 août 1998.
Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous seriez membre du parti LDK depuis 1990, parti dont vous auriez été le trésorier de 1992 à 1993. Vous précisez que des policiers seraient venus chez vous en avril 1998, avec un mandat de perquisition, pour chercher des armes. Vous auriez été arrêté et, ensuite, incarcéré pendant deux jours au cours desquels vous auriez été interrogé et frappé. Après votre libération, vous auriez dû vous présenter tous les trois jours au poste de police. Cette perquisition s’expliquerait, d’un côté par vos activités politiques et d’autre part, par le fait que vous ayez été gardien de prison et que les autorités craignaient une attaque contre les prisons qui abritaient des prisonniers politiques. La méfiance des autorités à votre égard s’expliquait aussi par le fait que votre épouse était la cousine du leader Ibrahim ….
Vous ajoutez que, en effet, l’UCK vous avait demandé, ainsi qu’à d’autres gardiens de pison, de les aider dans leur attaque d’un établissement pénitentiaire d’intérêt stratégique, ce que vous auriez refusé. Vous dites donc craindre aussi des représailles de la part de vos anciens collègues du fait de ce refus.
Finalement, vous dites que votre maison a été détruite.
Vous, Madame, vous auriez été simple membre du parti LDK et, pour le surplus, vous confirmez les dires de votre mari. Vous ajoutez avoir fait l’objet de menaces lors des visites de la police.
Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.
La simple appartenance à un parti politique ne saurait suffire pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez pas d’activités politiques.
Force est également de constater qu’à la fin du conflit armé au Kosovo, les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des exactions et des répressions commises au Kosovo, ont quitté le territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo afin de permettre la cohabitation pacifique des différentes communautés et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. Les personnes qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie ou ailleurs ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales.
Quant aux autres motifs gisant à la base de vos demandes en obtention du statut de réfugié, ils traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution.
Je dois donc constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.
Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Le recours gracieux introduit par les consorts …-… suivant courrier de leur mandataire du 4 octobre 2001 s’étant soldé par une décision de rejet du 12 octobre 2001 pour avoir été introduit tardivement, ils ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles prévisées des 30 août et 12 octobre 2001 par requête déposée le 16 novembre 2001.
Dans son mémoire en réponse déposé le 18 février 2002 le délégué du Gouvernement se rapporte à prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité du recours, eu égard au fait que le recours gracieux à l’encontre de la décision de rejet initiale du 14 août 2001 doit, aux termes de l’article 13 (2) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, être introduit dans le délai du recours contentieux.
D’après les demandeurs le recours gracieux, déposé en date du 4 octobre 2001, aurait été introduit endéans le délai légal d’un mois, eu égard au fait que la décision administrative de rejet du 14 août 2001 bien que notifiée aux demandeurs en date du 30 août 2001 n’aurait été notifiée à leur conseil qu’en date du 4 septembre 2001.
Aux termes de l’article 10 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes : « Toute partie à une procédure administrative a le droit de se faire assister par un avocat ou, dans des affaires de nature technique, d’un conseil technique. Elle pourra également se faire représenter sous les mêmes distinctions, sous réserve des cas où sa présence personnelle est requise.
En cas de désignation d’un mandataire, l’autorité adresse ses communications à celui-ci. Toutefois, la décision finale est en outre notifiée à la partie elle-même ».
Force est de constater en l’espèce que la décision de rejet du 14 août 2001 a été envoyée par courrier simple aux intéressés en date du 30 août 2001 avec copie à l’avocat. Le représentant étatique n’a dès lors pas rapporté la preuve que la décision de rejet du 14 août 2001 a été portée à la connaissance du mandataire des demandeurs, qui les a assisté dès le premier interrogatoire en date du 3 décembre 1999 devant l’agent du ministère de la Justice, avant le 4 septembre 2001, de sorte que la tardiveté du recours gracieux notifié en date du 4 octobre 2001 invoquée à l’appui de la décision déférée n’est pas établie en fait et n’a dès lors pas pu être utilement invoquée pour motiver cette décision de rejet.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Kosovo, de confession musulmane et qu’ils auraient quitté leur région natale en raison des graves problèmes de coexistence avec la population de confession orthodoxe. Les demandeurs signalent en outre qu’ils auraient été membres du parti politique LDK et qu’en raison de cette appartenance politique, de même qu’en raison de l’ancienne activité professionnelle de Monsieur …, à savoir gardien de prison, des policiers serbes, qui craignaient une attaque de la prison, auraient perquisitionné leur maison au courant du mois d’avril 1998 et qu’ils auraient emmené Monsieur … au poste de police pour un interrogatoire pendant deux jours. Monsieur … fait ajouter qu’il aurait été effectivement contacté par les membres de l’UCK pour participer à l’attaque de la prison d’Istok, transformée par les Serbes en un point stratégique important, mais qu’il aurait refusé, de sorte qu’il serait considéré à l’heure actuelle comme traître par les membres de l’UCK. Finalement les demandeurs font encore ajouter qu’ils n’auraient pas d’avenir au Kosovo en raison du fait que leur maison aurait été complètement détruite et en raison du fait que la situation politique ne se serait pas encore stabilisée.
Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des consorts …-….
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les consorts …-… lors de leurs auditions respectives en date des 3 décembre 1999 et 6 janvier 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les trois comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité de la décision querellée à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place. Il suit du constat qui précède que, dans la région du Kosovo, les demandeurs n’ont pas, à l’heure actuelle, de raisons de craindre une persécution de la part des autorités serbes.
Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).
Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.
Or, en l’espèce les craintes exprimées par les demandeurs en raison de la prétendue hostilité d’anciens membres de l’UCK à leur égard, dues au refus de Monsieur … de participer à l’attaque de la prison d’Istok, de la situation générale tendue dans leur région d’origine et des graves problèmes de coexistence avec la population de confession orthodoxe, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.
En effet, dans leur recours contentieux, les demandeurs font essentiellement état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre, à savoir des représailles ou mauvais traitements de la part de membres de la population albanaise, mais ils ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, aucun fait concret et circonstancié de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place n’ayant été allégué ni, a fortiori, établi en cause.
Dans ce contexte le seul fait concret et circonstancié allégué, à le supposer établi, à savoir la destruction de leur maison, aussi dramatique que cet événement a pu être vécu par les demandeurs, n’est pas de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place.
Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme;
au fond, le déclare non justifié et en déboute;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 juillet 2002 par :
Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
Schmit Lenert 6