Numéro 14088 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2001 Audience publique du 10 juillet 2002 Recours formé par Madame …, … contre un arrêté du ministre des Transports en matière de permis de conduire
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 14088 du rôle, déposée le 26 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles KAUFHOLD, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’un arrêté du ministre des Transports du 21 septembre 2001 portant retrait pur et simple de son permis de conduire un véhicule automoteur et un cyclomoteur, ainsi que de ses permis de conduire internationaux correspondants;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 décembre 2001;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 30 janvier 2002 par Maître Charles KAUFHOLD pour compte de Madame …;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en sa plaidoirie à l’audience publique du 4 mars 2002;
Vu le courrier du délégué du Gouvernement du 12 mars 2002 informant le tribunal de l’émission, en date du 6 février 2002, d’un nouvel arrêté par le ministre des Transports portant restitution à Madame … de son permis de conduire des catégories A sous 2), 3), B et F avec la restriction de la validité aux trajets les plus courts menant de son domicile à son lieu de travail et pour le retour, aux trajets entre son domicile et le domicile de ses enfants, ainsi qu’aux trajets effectués le mercredi de 19.00 à 23.00 heures en vue de participer à son groupe thérapeutique à …;
Vu la rupture du délibéré prononcée par le tribunal le 22 avril 2002 afin de permettre aux parties de prendre position quant à l’incidence au fond de l’arrêté ministériel du 6 février 2002;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 mai 2002;
Vu le mémoire supplémentaire déposé le 27 mai 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Charles KAUFHOLD pour compte de Madame …;
Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté attaqué;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Charles KAUFHOLD et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 mai 2002.
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Par courrier du 8 février 2001, le ministre des Transports, se référant à une interdiction de conduire prononcée le 11 mars 1992 par le tribunal correctionnel de Luxembourg, requit l’avis du procureur général d’Etat au sujet d’un retrait administratif éventuel du permis de conduire de Madame …, préqualifiée. A la suite d’un rapport de l’unité de … de la police grand-ducale du 22 mars 2001, le procureur général d’Etat émit le 30 mars 2001 l’avis « qu’il y a lieu à retrait administratif du permis de conduire ».
Après avoir été entendue en date du 23 juillet 2001 dans ses explications et moyens de défense par la commission spéciale prévue à l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, Madame … se vit retirer son permis national de conduire un véhicule automoteur et un cyclomoteur de catégorie B, ainsi que les permis de conduire internationaux lui délivrés sur base dudit permis national par arrêté du ministre des Transports du 21 septembre 2001.
Contre cette décision de retrait administratif de son permis de conduire, Madame … a fait introduire un recours en annulation par requête déposée le 26 octobre 2001.
Par requête séparée déposée le même jour et inscrite sous le numéro 14087 du rôle, Madame … demanda principalement à voir ordonner le sursis à exécution de l’arrêté ministériel du 21 septembre 2001 et subsidiairement la suspension dudit arrêté ministériel à concurrence des trajets professionnels et autres tels que définis dans l’ordonnance rendue le 11 mai 2001 par la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg portant mainlevée partielle de l’interdiction de conduire provisoire prononcée le 30 mars 2001 par ordonnance du juge d’instruction de Luxembourg. Par ordonnance du 2 novembre 2001, le premier vice-président du tribunal administratif, en remplacement du président légitimement empêché, déclara ce recours en sursis à exécution partiellement fondé et ordonna le sursis à exécution de l’arrêté ministériel du 21 septembre 2001 à concurrence du trajet le plus court menant du domicile de Madame …, situé à …, à son lieu de travail et pour le retour, des trajets effectués entre son domicile et le domicile de ses enfants, ainsi que des trajets effectués le mercredi de 19.00 à 23.00 heures en vue de participer à son groupe thérapeutique à …, en attendant la solution du litige au fond.
Le délégué du Gouvernement informa le tribunal, par courrier du 12 mars 2002, de l’émission, en date du 6 février 2002, d’un nouvel arrêté par le ministre des Transports portant restitution à Madame … de son permis de conduire des catégories A sous 2), 3), B et F avec la restriction de la validité aux trajets les plus courts menant de son domicile à son lieu de travail et pour le retour, aux trajets entre son domicile et le domicile de ses enfants, ainsi qu’aux trajets effectués le mercredi de 19.00 à 23.00 heures en vue de participer à son groupe thérapeutique à ….
Ainsi que la demanderesse a fait préciser à travers son mémoire complémentaire sur question afférente soulevée par le tribunal, l’intervention de ce nouvel arrêté ministériel du 6 février 2002 ne rend pas le recours sous analyse sans objet, étant donné que celui-ci tend à l’annulation pure et simple de l’arrêté attaqué du 21 septembre 2001 tandis que l’arrêté du 6 février 2002 n’opère qu’une restitution partielle du permis de conduire.
Aucune disposition légale ou réglementaire n’instaurant un recours au fond en matière de retrait de permis de conduire, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, la demanderesse affirme que le but assigné au retrait administratif d’un permis de conduire serait de protéger, pour l’avenir, la sécurité des autres usagers de la route contre les personnes représentant un danger potentiel à leur égard et non pas de sanctionner les personnes concernées pour des faits commis dans le passé, de manière que les mesures à prendre par le ministre devraient être proportionnées à la gravité de la situation telle qu’elle se présente au moment où il statue. En plus, le ministre serait tenu d’examiner le comportement global de la personne visée et d’asseoir sa décision sur les éléments suffisamment récents pour être susceptibles de renseigner sur l’attitude actuelle de l’intéressé. La demanderesse admet avoir eu dans le passé des problèmes d’alcoolisme, mais renvoie à la cure de désintoxication à la Fachklinik Bad Tönisstein qu’elle a suivi avec succès pendant la période du 25 juillet au 11 septembre 2001, donc dès après son audition par la commission spéciale. Elle relève qu’elle n’aurait fait l’objet que d’une seule condamnation dans le passé et que, dans le cadre d’une procédure correctionnelle en cours, la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg a ordonné le 11 mai 2001 la main-levée partielle de l’interdiction de conduire provisoire prononcée par le juge d’instruction, tout comme le parquet aurait déclaré à l’audience lors des plaidoiries au fond ne pas s’opposer à une limitation de l’interdiction de conduire à prononcer. Elle affirme ne pas avoir commis la moindre infraction au code de la route depuis le 15 janvier 2001 et insiste sur la gravité des conséquences du retrait ministériel, vu qu’elle aurait trouvé un emploi comme infirmière auprès de la … à partir du 1er novembre 2001, qu’elle aurait besoin de sa voiture pour assister aux séances de son groupe thérapeutique et qu’elle pourrait difficilement maintenir le contact avec ses enfants sans voiture. Au vu de l’ensemble de ces éléments, la demanderesse estime que le retrait pur et simple, constituant la mesure la plus grave, ne serait pas proportionné à la gravité des éléments de son dossier, de sorte à devoir encourir l’annulation pour erreur manifeste d’appréciation.
Le délégué du Gouvernement rétorque que la demanderesse, titulaire d’un permis de conduire de la catégorie B depuis le 15 octobre 1980, aurait causé entre octobre 1986 et mars 1997 un total de 20 accidents de circulation et qu’elle aurait été à l’origine de quatre accidents entre janvier 2000 et janvier 2001. Il ajoute que la demanderesse aurait fait l’objet d’un arrêté ministériel du 21 novembre 1991 ayant restreint la validité de son permis de conduire à 12 mois suite à ses abus d’alcool, une décision ministérielle du 30 octobre 1992 ayant prorogé cet arrêté pour un terme de 18 mois et une itérative décision ministérielle du 9 juin 1994 ayant renouvelé ce même permis pour la durée légale. Le représentant étatique ajoute qu’il ressortirait du rapport d’enquête du 22 mars 2001 de la police grand-ducale que la demanderesse s’adonnerait régulièrement à la consommation abusive d’alcool et de médicaments et qu’elle aurait admis une consommation abusive d’alcool devant la commission spéciale. Le délégué du Gouvernement rappelle que la finalité d’une mesure de retrait administratif du permis de conduire serait celle de protéger pour le futur la sécurité des autres usagers de la route et non pas celle de sanctionner les personnes concernées pour des faits passés et que l’appréciation à cet égard devrait reposer sur le comportement global de la personne visée, pour lequel les infractions antérieurement constatées constitueraient un élément essentiel. Au vu du nombre élevé d’accidents causés par la demanderesse et de ses problèmes d’alcool, le représentant étatique estime que l’arrêté attaqué serait justifié, sans que le certificat de la Fachklinik Bad Tönisstein, ne se prononçant pas sur l’état de santé de la demanderesse, ou celui de la Fachklinik Am Hardberg ne puissent ébranler cette conclusion.
Il soutient que l’ordonnance de la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement du 11 mai 2001 aurait fait partie du dossier de la commission spéciale et du ministre et que la perspective pour la demanderesse d’obtenir un emploi à partir du 1er novembre 2001 n’apporterait aucun élément nouveau au dossier, étant donné que le ministre devrait apprécier la situation au moment où il prend sa décision.
La demanderesse fait répliquer que le certificat de la Fachklinik Bad Tönisstein documenterait un succès thérapeutique affirmé quant à la cure de désintoxication suivie par elle durant l’été 2001, donc après avoir été entendue par la commission spéciale et avant la prise de l’arrêté attaqué. Elle ajoute que la chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg aurait ordonné, par jugement du 20 novembre 2001, le sursis à l’exécution de l’interdiction de conduire prononcée à son égard.
A travers son mémoire complémentaire, le délégué du Gouvernement relève qu’une interdiction de conduire provisoire aurait été prononcée à l’encontre de la demanderesse par ordonnance du juge d’instruction de Luxembourg du 18 mars 2002 notamment pour conduite en état d’ivresse et sans permis de conduire valable et qu’une nouvelle procédure administrative en vue du retrait du permis de conduire aurait été engagée.
Aux termes de l’article 2 paragraphe 1er de la loi du 14 février 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, « le ministre des Transports ou son délégué délivre les permis de conduire civils; il peut refuser leur octroi, restreindre leur emploi ou leur validité, les suspendre et les retirer, refuser leur restitution, leur renouvellement ou leur transcription et même refuser l’admission aux épreuves si l’intéressé: … 3) est dépourvu du sens des responsabilités requis, dans l’intérêt de la sécurité routière, pour la conduite d’un véhicule ».
Le but assigné à la mesure prévue par cette disposition légale est celui d’écarter de la circulation publique des personnes ne présentant plus, en raison des circonstances énumérées audit article, les garanties nécessaires pour pouvoir admettre dans leur chef une participation à cette même circulation publique dans des conditions satisfaisantes de sécurité. La finalité primordiale d’une telle mesure est ainsi celle de protéger pour le futur la sécurité des autres usagers de la route contre des personnes représentant un danger potentiel à leur égard et non celle de sanctionner les personnes concernées pour des faits passés. Les mesures visées ne tendent en effet pas à dissuader la personne visée de récidiver par la menace d’une sanction, mais la mettent dans l’impossibilité légale de récidiver dans le futur en vertu d’un but de sécurité publique. L’appréciation si une personne présente encore les garanties susvisées doit nécessairement reposer sur son comportement global, pour lequel les infractions antérieurement constatées constituent un élément essentiel.
S’il est certes vrai qu’il résulte des pièces du dossier que la demanderesse s’était soumise depuis le 29 mars 2001 à un traitement psychothérapique stationnaire dans la Fachklinik Am Hardberg, et que lors de son audition devant la commission spéciale en date du 23 juillet 2001 elle a annoncé sa participation à une cure de désintoxication dans la Fachklinik Bad Tönisstein « pour être guérie de mes problèmes d’alcool », de même que suivant ses propres déclarations, non autrement mises en cause, elle a participé depuis son retour de la cure de désintoxication tous les mercredis à un groupe thérapeutique afin de faire le suivi de cette cure, il n’est pas moins constant en cause qu’en dépit des efforts thérapeutiques ainsi déployés, la demanderesse a fait l’objet d’une nouvelle interdiction de conduire provisoire pour conduite en état d’ivresse et sans permis de conduire valable, prononcée par ordonnance du juge d’instruction du Luxembourg du 18 mars 2002.
Encore que le retrait pur et simple du permis de conduire constitue la mesure administrative la plus grave instaurée par l’article 2 paragraphe 1er de la loi prévisée du 14 février 1955, il ne peut pas être considéré en l’espèce comme ayant été manifestement disproportionné par rapport aux faits établis en cause qui sont d’une gravité certaine et mettent en exergue le danger que la demanderesse représente pour les autres usagers de la route. En effet, la participation de la demanderesse à un traitement psychothérapeutique stationnaire dans la Fachklinik Am Hardberg et à une cure de désintoxication dans la Fachklinik Bad Tönisstein en vue d’être guérie de ses problèmes d’alcool, ne constituent pas des éléments suffisants pour énerver la légalité de l’arrêté ministériel litigieux, vu que le succès thérapeutique demeurait incertain au jour de la prise de la décision déférée et ne se trouvait pas établi à suffisance de droit, cette incertitude se trouvant par ailleurs confirmée ex post par le comportement de la demanderesse à travers le fait non contesté en cause qu’elle a de nouveau, et malgré les efforts prérelatés, conduit une voiture en état d’ivresse et sans permis de conduire valable.
Il se dégage des considérations qui précèdent que le ministre a légalement pu estimer au jour de la prise de la décision déférée qu’il y avait lieu d’interdire à la demanderesse toute participation à la circulation publique et qu’il n’y avait pas lieu d’excepter certains trajets au vu du danger potentiel que la demanderesse représenterait même sur ces trajets.
Au bénéfice des développements qui précèdent, le recours sous analyse est à rejeter comme n’étant pas fondé.
PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge, et lu à l’audience publique du 15 juillet 2002 par le premier juge, en présence de M.
SCHMIT, greffier en chef.
SCHMIT LENERT 6