Tribunal administratif N° 14060 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2001 Audience publique du 10 juillet 2002
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Recours formé par la société à responsabilité limitée …, …, contre une décision du collège échevinal de la commune de Bertrange, en matière de marchés publics
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JUGEMENT
Vu la requête déposée le 19 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Alex KRIEPS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée …, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à la réformation sinon à l’annulation de la « décision de l’Administration Communale de Bertrange du 18 juillet 2001 » et de la décision du collège échevinal de la commune de Bertrange du 18 juillet 2001 portant adjudication d’un marché de travaux de ferblanterie à exécuter dans le cadre de la construction d’un bâtiment scolaire pour l’éducation précoce à Bertrange à l’entreprise S. F.
établie à … ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Jean-Lou THILL, demeurant à Luxembourg, du 26 octobre 2001 portant signification de ce recours à l’administration communale de Bertrange ;
Vu la lettre datée du 31 octobre 2001 de Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2001, informant le tribunal de ce qu’il a mandat d’occuper pour l’administration communale de Bertrange ;
Vu le mémoire en réponse déposé le 22 janvier 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Roger NOTHAR pour le compte de l'administration communale de Bertrange ;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Pierre KREMMER, demeurant à Luxembourg, du 23 janvier 2002, portant signification dudit mémoire à l’avocat constitué de la partie demanderesse ;
2 Vu le mémoire en réplique déposé le 21 février 2002 pour le compte de la partie demanderesse ;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Jean-Lou THILL du 22 février 2002, portant signification dudit mémoire en réplique à l’avocat constitué de l’administration communale de Bertrange ;
Vu le mémoire en duplique déposé le 20 mars 2002 pour le compte de l'administration communale de Bertrange ;
Vu l'exploit de l'huissier de justice Pierre KREMMER du 21 mars 2002 portant signification dudit mémoire en duplique à l’avocat constitué de la partie demanderesse ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge rapporteur en son rapport et Maîtres Tom KRIEPS, en remplacement de Maître Alex KRIEPS, et Linda SCHUMACHER, en remplacement de Maître Roger NOTHAR, en leurs plaidoiries respectives.
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Il fut procédé le 22 juin 2001 à 14.00 heures dans les locaux de l’administration communale de Bertrange à l’ouverture d’une soumission publique relative à un marché de travaux de ferblanterie à laquelle ladite administration communale avait décidé de procéder dans le cadre de la construction d’un bâtiment scolaire pour l’éducation précoce à Bertrange.
D’après le résultat non vérifié de cette soumission, à laquelle dix adjudicataires avaient participé, la société à responsabilité limitée …, a été classée en première position, avec une offre de 2.683.822.- francs (TTC), devant l’entreprise de toitures F.S., qui avait offert la réalisation des travaux pour 2.687.085.- francs (TTC), suivie des huit autres soumissionnaires.
Suite à la vérification arithmétique et l’analyse technique des offres par la société à responsabilité limitée . H. - Architectes et Urbanistes, un tableau comparatif définitif fut dressé le 2 juillet 2001. Il se dégage dudit tableau que le classement des offres a été redressé et que l’offre la moins-disante devint celle de l’entreprise S. (2.314.596.- francs (hors taxes) – 2.661.785.- francs (TTC)) devant celle de la société … (2.333.758.- francs (hors taxes) – 2.683.822.- francs (TTC)).
Lors de sa réunion du 18 juillet 2001, le collège échevinal de Bertrange attribua le marché à l’entreprise S..
Par lettres du 19 juillet 2001, ledit collège échevinal informa la société … ainsi que les autres soumissionnaires dont les offres n’avaient pas été retenues de la décision d’adjudication en faveur d’une entreprise concurrente. Lesdites lettres ne mentionnent pas le nom de l’adjudicataire, mais elles précisent que la décision d’attribution du marché et son corollaire, à savoir le fait que leurs offres respectives n’avaient pas été retenues, étaient motivés par l’existence d’une offre jugée être économiquement plus avantageuse.
3 Par requête du 19 octobre 2001, la société …. a introduit un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la « décision de l’Administration Communale de Bertrange du 18 juillet 2001 » et de la décision d’adjudication précitée du 18 juillet 2001.
Etant donné que l’administration communale de Bertrange a fait préciser par son mandataire qu’en dehors de la décision d’adjudication prise par son collège échevinal le 18 juillet 2001, aucune autre décision n’avait été prise relativement à ladite soumission publique et que la partie demanderesse, d’après le dernier état de ses conclusions, précise que son recours ne vise que la seule décision d’adjudication prise par le collège échevinal de la commune de Bertrange le 18 juillet 2001, il convient d’analyser la compétence du tribunal saisi, ainsi que respectivement la recevabilité et le bien-fondé du recours sous ce seul rapport.
Quant au recours en réformation L’administration communale de Bertrange conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation au motif qu’aucune disposition légale ne prévoirait un recours au fond en la matière.
Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 6).
En l’espèce, aucune disposition légale ne prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.
Quant au recours en annulation Le recours subsidiaire en annulation est recevable dans la mesure prétracée, c’est-à-
dire en ce qu’il est dirigé contre la décision d’adjudication précitée du collège échevinal de Bertrange du 18 juillet 2001 pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Au fond, la société … expose qu’elle aurait été informée de ce que, suite au redressement d’une erreur arithmétique par le commettant, l’offre de son concurrent, l’entreprise S., serait devenue l’offre économiquement la plus avantageuse et que ladite entreprise aurait obtenu l’adjudication du marché convoité.
Or, selon la demanderesse, il se serait révélé par la suite que les bordereaux de soumission n’avaient pas été marqués à titre de pièces comme l’exigerait l’article 42 (8) du règlement grand-ducal du 10 janvier 1989 portant exécution du chapitre 2 de la loi du 4 avril 1974 concernant le régime des marchés publics de travaux et de fournitures, de sorte qu’elle serait dans l’impossibilité de vérifier si effectivement une erreur de calcul s’était glissée dans le dossier de soumission de l’adjudicataire. Selon la demanderesse, le non-respect de pareille formalité substantielle devrait entraîner l’annulation de la décision litigieuse.
En ce qui concerne les faits, l’administration communale admet que « lors de la séance d’ouverture aucun bordereau de soumission n’a été marqué à titre de pièces de soumission, alors que la perforeuse dont la commune se sert habituellement avait été momentanément égarée ».
4 Elle expose encore que lors de la vérification des offres, le bureau d’architectes et d’urbanistes chargé à cette fin aurait découvert et redressé une erreur de calcul que l’entreprise S. aurait commise à la position 1.36 du bordereau, étant précisé que « pour cette position, qui comporte 10 unités, S. a proposé un prix unitaire de 1.100.- LUF. Mais au lieu de multiplier par 10 et arriver au prix correct de 11.000.- Luf, S. a multiplié par 30, ce qui lui a fait commettre l’erreur d’inscrire un prix de 33.000.- LUF ».
Relevant que la demanderesse ne conteste ni la nécessité du redressement de l’erreur arithmétique, ni la justesse du calcul rectificatif, ni encore le fait que par l’effet du redressement l’offre de l’entreprise S. passerait de la seconde à la première position et serait devenue l’offre économiquement la plus avantageuse, la commune de Bertrange fait soutenir que la demanderesse aurait tort d’estimer que la formalité du marquage des feuilles, telle qu’énoncée par l’article 42 (8) du règlement grand-ducal précité du 10 janvier 1989, constituerait une formalité substantielle dont le non-respect devrait emporter ipso facto l’annulation de la décision d’attribution du marché, au motif que cette formalité, contrairement à beaucoup d’autres formalités prévues en la matière, ne serait pas prévue sous peine de nullité, que son omission ne porterait pas atteinte aux principes fondamentaux en matière de marchés publics et que la demanderesse ne pourrait se prévaloir d’un quelconque grief du chef de l’omission de la formalité du marquage des feuilles, étant relevé plus particulièrement que contrairement à ses allégations, la demanderesse avait la possibilité de contrôler l’erreur de calcul dans la soumission déposée par l’entreprise S. « alors que cette erreur de calcul a été rectifiée par le Bureau R. H. sur l’original même », de sorte qu’elle a facilement pu se convaincre de la réalité de l’erreur et du bien-fondé des opérations de redressement.
Dans sa réplique, la demanderesse réitère son analyse du caractère substantiel du non-
respect de la formalité de marquage des feuilles des bordereaux de soumission et elle insiste plus particulièrement sur l’impossibilité actuelle de vérifier si effectivement une erreur de calcul « est réelle ou imaginaire alors que les documents consultés par l’architecte R. H. ne peuvent pas être identifiés comme ceux inclus dans la soumission » et elle estime qu’à défaut de marquage des pièces, le cours normal de la procédure n’est plus garanti et que « l’argument de l’absence de grief ne saurait également pas être retenu alors [qu’elle] (…) a certainement un grief à faire valoir à savoir qu’elle avait remporté l’offre publique devant l’entreprise F.S. ».
Dans sa duplique, l’administration communale reprend et développe son argumentation ci-avant retracée. Dans ce cadre, elle fait encore état de ce que la partie demanderesse ne rapporterait aucun indice laissant présumer une fraude, mais qu’elle se bornerait « à affirmer gratuitement que les principes fondamentaux des marchés publics ne seraient pas garantis ».
L’article 42 (8) du règlement grand-ducal précité du 10 janvier 1989 dispose que « lors de la séance d’ouverture, toutes les feuilles du bordereau de soumission et des variantes sont marquées à titre de pièces de soumission ».
La formalité du marquage des feuilles des bordereaux de soumission et des variantes lors de la séance d’ouverture a, comme l’a fait relever à juste titre l’administration communale de Bertrange, pour vocation d’écarter le danger de fraudes consistant en l’altération ultérieure 5 des offres soumises et que le non-respect de cette formalité n’est pas expressément assorti de la sanction de la nullité de la procédure d’adjudication et qu’elle ne tient pas à l’existence ou à la substance même de l’acte.
Cette obligation du marquage des feuilles du bordereau de soumission constitue une prescription supplémentaire tendant à garantir la régularité de la procédure d’adjudication et le principe de l’égalité des chances entre les soumissionnaires. L’inobservation de l’obligation du marquage n’affecte cependant la légalité de la procédure d’adjudication que s’il ressort en outre des éléments du dossier que le jeu de la concurrence a été faussé, c’est-à-dire que les intérêts du maître de l’ouvrage ou des soumissionnaires ont été lésés.
Or, en l’espèce, étant relevé que l’ensemble des soumissions comportait le même défaut, c’est-à-dire que non seulement le bordereau de l’adjudicataire n’avait pas été marqué, mais que suite à une impossibilité matérielle, aucune feuille remise par un quelconque participant n’avait pu être marquée, force est de constater que le simple fait que l’offre de l’entreprise S. ait été préférée à celle de la demanderesse n’est pas suffisant pour établir une lésion de ses intérêts légitimes, dès lors qu’il se dégage des éléments d’appréciation soumis au tribunal que l’offre de l’adjudicataire était économiquement la plus favorable et qu’il n’est pas allégué par la demanderesse et qu’il n’appert d’aucun des éléments d’information soumis au tribunal que l’offre de l’entreprise S. aurait été manipulée postérieurement à sa remise, c’est-
à-dire qu’il y ait eu des manœuvres de particuliers voire un abus d’autorité afin de fausser la concurrence ou de porter atteinte à l’égalité de traitement des soumissionnaires.
Il s’ensuit qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, l’inobservation de la formalité du marquage des feuilles des bordereaux de soumission n’a été préjudiciable ni pour l’administration communale ni pour la demanderesse ni encore pour un autre soumissionnaire, de sorte qu’elle n’est pas de nature à entraîner l’annulation de l’adjudication litigieuse.
Il s’ensuit que l’unique moyen d’annulation soulevé par la partie demanderesse laisse d’être fondé. Le recours en annulation n’est partant pas fondé et la demanderesse doit en être déboutée.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;
reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant le rejette, condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
6 M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 10 juillet 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.
s. Legille s. Schockweiler