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08/07/2002 | LUXEMBOURG | N°14635

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 juillet 2002, 14635


Numéro 14635 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2002 Audience publique du 8 juillet 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14635 du rôle et déposée le 1er mars 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain GROSS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no

m de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant ...

Numéro 14635 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er mars 2002 Audience publique du 8 juillet 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14635 du rôle et déposée le 1er mars 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Alain GROSS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 30 août 2001, notifiée le 8 novembre 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 mai 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Rachel JAZBINSEK, en remplacement de Maître Alain GROSS et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er juillet 2002.

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Le 28 décembre 1999, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et sur son identité.

Monsieur … fut entendu en date du 22 février 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 30 août 2001, notifiée le 8 novembre 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur … que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile au Monténégro le 24 décembre 1999 pour aller à Subotica. De là, vous avez trouvé un passeur, et vous avez alors pris place dans une camionnette immatriculée en Yougoslavie. Vous avez traversé la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne, et ceci en changeant une fois de véhicule. Vous êtes arrivé au Luxembourg le 26 décembre 1999.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 28 décembre 1999.

Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire au Kosovo, comme conducteur de chars en 1998/1999. Vous auriez été convoqué par la suite à la réserve de la police mais vous ne vous y seriez pas rendu car vous dites craindre la situation conflictuelle au Monténégro. Vous pensez risquer un emprisonnement car vous auriez été recherché.

Vous n’auriez pas été membre d’un parti politique.

Je vous informe d’abord que la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. De même, l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République Fédérale de Yougoslavie au mois de février 2001.

De plus, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Il ressort de vos déclarations que vous avez surtout un sentiment d’insécurité, ce qui ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er, A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’une régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux introduit par Monsieur … suivant courrier de son mandataire du 30 novembre 2001 n’ayant pas fait l’objet d’une réponse de la part du ministre dans les trois mois, le demandeur a fait introduire un recours en réformation par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er mars 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose avoir effectué son service militaire de septembre 1998 à septembre 1999 au Kosovo où il aurait dû participer à des combats en tant que chauffeur de chars, que lors de son service militaire il aurait été témoin de carnages, de meurtres et de viols, de sorte qu’il serait en mesure de reconnaître certains criminels de guerre et témoigner des atrocités vécues. Monsieur … expose pour le surplus qu’il aurait été appelé à faire la réserve de police après la guerre du Kosovo, mais qu’il n’aurait plus voulu faire cette réserve, de sorte qu’il aurait dû se résigner à quitter son pays d’origine. Dans son recours contentieux, le demandeur admet qu’au vu de la loi d’amnistie votée au mois de février 2001, la crainte d’être condamnée pour ne pas s’être présenté à la réserve de police n’a « plus lieu d’être aujourd’hui ». Monsieur … considère cependant que la situation politique actuelle au Monténégro ne serait pas encore suffisamment stable et qu’il existerait des tensions importantes entre les différents partis politiques. A cela s’ajouterait que l’opposition conservatrice du Monténégro favorable à Belgrade, de même que l’armée yougoslave seraient toujours présentes et qu’actuellement sa crainte de persécution résiderait dans le fait qu’il pourrait apporter des témoignages particulièrement précis à l’encontre de Serbes responsables d’avoir commis des atrocités pendant la guerre.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 22 février 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif de persécution du demandeur tiré de son insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

A cela s’ajoute que le demandeur a expressément reconnu dans son recours contentieux qu’au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement au vu de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, la crainte d’être condamné pour ne pas s’être présenté lors de la formation de la réserve de police n’existe plus.

Concernant les craintes de persécution du demandeur en raison des tensions entre les différents groupes de la population et des témoignages précis qu’il pourrait apporter sur des atrocités commises pendant la guerre au Kosovo, le demandeur n’établit pas un état de persécution personnel vécu ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. Ses déclarations afférentes sont en effet insuffisantes pour établir que les nouvelles autorités en Yougoslavie ne seraient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent, voir encouragent des agressions à son encontre.

Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière qu’il est indéniable que depuis le départ du demandeur, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours, illustré, comme le relève à juste titre le représentant étatique, par la signature toute récente d’un accord serbo-monténégrin prévoyant l’adoption d’une nouvelle Constitution et l’organisation d’élections permettant de donner plus d’autonomie au Monténégro, de sorte que le demandeur n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 8 juillet 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

s. SCHMIT S. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14635
Date de la décision : 08/07/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-07-08;14635 ?

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