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03/07/2002 | LUXEMBOURG | N°14558

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 juillet 2002, 14558


Numéro 14558 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2002 Audience publique du 3 juillet 2002 Recours formé par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14558 du rôle et déposée le 12 février 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lu

xembourg, au nom de Madame …, née le…, agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour ...

Numéro 14558 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2002 Audience publique du 3 juillet 2002 Recours formé par Madame … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14558 du rôle et déposée le 12 février 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Yvette NGONO YAH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le…, agissant tant en son nom personnel qu’en nom et pour compte de son enfant mineur …, les deux de nationalité congolaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 27 août 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 29 janvier 2002, portant toutes les deux rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Yvette NGONO YAH et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 juin 2002.

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Le 7 avril 2000, Madame …, préqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, elle fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Madame … fut entendue en dates des 3 janvier et 10 août 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 27 août 2001, notifiée le 7 décembre 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Kinshasa le 7 avril 2000 avec un vol vers Nairobi / Kenya par les lignes Kenya Airways. De là, vous avez pris place dans un autre avion qui, après un arrêt et un nouveau changement d’avion, vous a déposée dans un aérodrome que vous qualifiez d’européen. De là, un taxi vous a conduit à Luxembourg – ville après une course d’une demie heure.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 7 avril 2000.

Vous exposez que le 10 octobre 1999, des militaires seraient passés à votre domicile chercher votre concubin. En l’absence de celui-ci, ils vous auraient emmenée en prison pour vous questionner. Vous expliquez que votre ami aurait été recherché pour avoir hébergé un Tutsi pendant quelques mois. Les militaires vous auraient ensuite relâchée. Le 13 octobre 1999, le scénario se serait renouvelé, mais vous auriez cette fois été emprisonnée pendant trois jours et ensuite, également relâchée. Vous vous seriez alors cachée dans les environs de l’aéroport, mais, sur dénonciation, vous auriez été de nouveau arrêtée le 1er novembre 1999. Vous auriez fini par être relâchée pour raisons de santé. Vous affirmez avoir été violée en prison, alors que vous étiez enceinte. Vous vous seriez alors enfuie de votre pays. Vous auriez fait l’objet de poursuites judiciaires et une ordonnance de mise en liberté provisoire assortie de conditions aurait été prise à votre encontre. Suite à votre fuite, des avis de recherche auraient été envoyés.

Des membres de votre famille auraient aussi été inquiétés.

Vous dites avoir été membre d’un parti appelé JDPS et avoir participé, dans les années 1990, à des manifestations anti-mobutistes. L’adhésion à ce parti ne vous aurait cependant causé aucune difficulté.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je dois d’abord constater quelques contradictions dans votre récit, contradictions qui jettent un doute sur l’authenticité des faits que vous invoquez.

Premièrement, vous dites avoir quitté Kinshasa le 7 avril 2000 alors qu’à cette date-

là, vous vous trouviez déjà au Luxembourg depuis, au minimum, 48 heures.

Il résulte également du rapport des services de police judiciaire que vos déclarations quant à l’itinéraire que vous auriez suivi ne sont pas crédibles.

Dans les auditions au Ministère de la Justice, vous déclarez, dans la première audition, que votre sœur a été arrêtée et, dans la deuxième, qu’elle a seulement pris peur et qu’elle s’est enfuie. Par contre, les policiers seraient passés pour interroger une cousine qui vous aurait hébergée, cousine dont vous ne parlez pas dans la première audition. De même, votre cousin aurait été, dans la première version, poignardé par des partisans du Président Kabila et, dans la seconde, battu, torturé et abattu par balle par des policiers.

Les divergences et les invraisemblances constatées dans vos différents récits sont trop flagrantes pour que l’on puisse y ajouter foi.

Je dois donc en conclure que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution pour une des raisons invoquées par la Convention de Genève, à savoir une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux introduit par Madame … suivant courrier de son mandataire du 6 janvier 2002 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 29 janvier 2002, elle a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des deux décisions ministérielles des 27 août 2001 et 29 janvier 2002 par requête déposée le 12 février 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse reproche au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des faits et d’avoir conclu à tort à l’absence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef et elle affirme qu’une appréciation plus juste des éléments en cause aurait dû le conduire à lui reconnaître le bénéfice du statut de réfugié. Madame … fait exposer qu’elle aurait hébergé, ensemble avec son ami, un rwandais d’origine Tutsi, ce que les autorités administratives congolaises avaient interdit. En effet, les autorités administratives, de peur d’un coup d’état auraient appelé la population à dénoncer tous les Tutsi résidents au Congo, de même que tous ceux qui les hébergeaient. Dans ce contexte, elle et son ami auraient été trahis et elle aurait été arrêtée le 10 octobre 1999 en vue d’un interrogatoire. Elle aurait de nouveau été arrêtée le 13 octobre 1999 et emprisonnée pendant trois jours, puis relâchée. Madame … ajoute qu’elle se serait ensuite cachée dans les environs de l’aéroport de Kinshasa, mais aurait de nouveau été arrêtée le 1er novembre 1999 et emprisonnée pendant une semaine, séjour en prison lors duquel elle aurait été violée. Elle aurait été finalement libérée provisoirement pour raisons de santé et son avocat lui aurait conseillé de quitter le pays. Par la suite elle se serait cachée dans un village reculé près de Kinshasa jusqu’au mois d’avril 2000 avant son départ pour le Luxembourg. Madame … estime qu’en cas de retour dans son pays d’origine elle risquerait d’être tuée, tout comme un de ses cousins.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation de la demanderesse et que le recours sous analyse laisserait d’être fondé au vu des nombreuses incohérences dans son récit qui jetteraient le doute sur l’intégralité des arguments soulevés à l’appui de la demande d’asile.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

Aux termes de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Il ne suffit pas que le demandeur d’asile invoque un des motifs tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, pour que l’administration doit analyser sa demande quant au fond. Il faut encore que les faits invoqués à la base de ces motifs ne soient pas manifestement incrédibles (cf. trib. adm. 11 novembre 1999, n° 11588 du rôle, Pas. adm.

2001, V° Etrangers, n° 61, p. 141).

En l’espèce, le tribunal se doit de relever plusieurs contradictions et incohérences relatives tout d’abord aux circonstances de l’assassinat dont fut apparemment victime le cousin de Madame …, la demanderesse affirmant en premier lieu que son cousin aurait été poignardé et lors de la deuxième audition qu’il aurait été abattu par balles. En effet, il paraît étrange que la demanderesse, lors de ses deux auditions par un agent du ministère de la Justice, donne deux versions différentes sur un événement aussi dramatique, la façon d’après laquelle une personne proche étant assassinée n’étant pas à considérer comme un point de détail.

D’autre part, les déclarations de Madame … ayant trait à l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg sont invraisemblables, étant donné que l’agent du service de police judiciaire, l’ayant entendu sur l’itinéraire suivi, est formel pour affirmer que la demanderesse n’a pas pu rejoindre le Luxembourg selon l’itinéraire indiqué, aucun vol en provenance de Nairobi n’ayant pu atterrir au jour et à l’heure indiqués dans un aéroport proche de Luxembourg. A cela s’ajoute que ni dans son recours gracieux, ni dans son recours contentieux, ni au moment des plaidoiries la demanderesse n’a cherché à clarifier ces incohérences, de sorte que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Par ces motifs, Le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 juillet 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge, en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14558
Date de la décision : 03/07/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-07-03;14558 ?

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