La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14487

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 juin 2002, 14487


Numéro 14487 du rôle Tribunal administratif Inscrit le 23 janvier 2002 du Grand-Duché de Luxembourg Audience publique du 26 juin 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice et du ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14487 du rôle, déposée le 23 janvier 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATH

OLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au n...

Numéro 14487 du rôle Tribunal administratif Inscrit le 23 janvier 2002 du Grand-Duché de Luxembourg Audience publique du 26 juin 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice et du ministre du Travail et de l’Emploi en matière d’autorisation de séjour

----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14487 du rôle, déposée le 23 janvier 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né … à …, de nationalité capverdienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du 20 juillet 2001 cosignée par le ministre de la Justice et le ministre du Travail et de l’Emploi refusant la délivrance d’une autorisation de séjour en sa faveur, ainsi que d’une décision confirmative des mêmes ministres du 25 octobre 2001 prise sur recours gracieux;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 février 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 mai 2002.

Suite à la demande de Madame … en délivrance d’une autorisation de séjour d’un mois en faveur de son frère, Monsieur … , préqualifié, déposée le 8 octobre 1993, ce dernier se vit octroyer un visa valable jusqu’au 25 novembre 1993. Monsieur … fit l’objet d’un rapport du commissariat central de la police du 26 novembre 1993 dont il ressort notamment qu’il fut contrôlé le 26 novembre 1993 par les agents de la police, que son visa avait expiré à ce moment de manière qu’il se trouvait en séjour illégal, qu’il devait être refoulé vers les Pays-Bas le 27 novembre 1993, mais qu’il ne s’est pas présenté à cette date comme promis et enfin que son passeport avait été retenu par le ministère de la Justice.

Monsieur … présenta le 10 décembre 1997 au commissariat de police de … une déclaration d’arrivée en se légitimant moyennant un passeport portugais référencé sous le numéro E-857202 émis le 16 avril 1997 et indiquant dans son chef la nationalité portugaise.

Il ressort du procès-verbal n° 1106/99 du 10 mars 1999 du commissariat de police de … que Monsieur … avait quitté son domicile déclaré à …, plusieurs mois auparavant sans procéder à une déclaration de départ auprès de l’administration communale locale et qu’il a été rayé d’office du registre de la population.

D’après un rapport n° 65026 du service protection de la jeunesse de la circonscription régionale de Luxembourg de la police grand-ducale du 19 janvier 2001, Monsieur … fit l’objet d’un procès-verbal n° 60065 du 15 janvier 2001 pour acquisition, détention et usage d’un passeport portugais falsifié n° E-857202 en vue de s’établir au pays, de manière qu’il se trouverait en séjour illégal au Luxembourg et que des mesures de police des étrangers s’imposeraient à son encontre.

Monsieur … fit l’objet d’un arrêté du ministre de la Justice du 1er février 2001 lui refusant l’entrée et le séjour et lui enjoignant de quitter le pays dès notification dudit arrêté.

En date du 18 mai 2001, Monsieur … introduisit une demande de régularisation auprès du service commun du ministère du Travail et de l’Emploi, du ministère de la Justice et du ministère de la Famille, établi à Luxembourg, zone d’activité Cloche d’or, 5, rue G. Kroll.

Cette demande fut rejetée par décision du 20 juillet 2001 signée conjointement par le ministre du Travail et de l’Emploi et le ministre de la Justice au motif que « selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle médical des étrangers, 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour peut être refusée à l’étranger qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics.

Comme il a été constaté sur base de votre dossier administratif que cette disposition est applicable dans votre cas, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée.

En conséquence, vous êtes invité à quitter le Luxembourg endéans un délai d’un mois.

A défaut de départ volontaire, la police sera chargée de vous éloigner du territoire luxembourgeois ».

Le recours gracieux contre la décision prévisée du 20 juillet 2001, formé par courrier de son mandataire du 16 octobre 2001, s’étant soldé par une décision confirmative du 25 octobre 2001 portant les signatures conjointes du ministre du Travail et de l’Emploi et du ministre de la Justice, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre des décisions prévisées des 20 juillet et 16 octobre 2001 par requête déposée le 23 janvier 2002.

Dans la mesure où ni la loi prévisée du 28 mars 1972, ni aucune autre disposition légale n’instaurent un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, le recours en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur soulève en premier lieu le moyen de nullité des décisions attaquées pour défaut de qualité dans le chef de leurs auteurs en arguant qu’étant donné qu’il aurait déposé sa demande de régularisation auprès du service commun du ministère du Travail et de l’Emploi, du ministère de la Justice et du ministère de la Famille, donc « collégialement composé par les différents ministères », l’autorité décisionnelle ne saurait être autrement composée que ledit service commun, entraînant que les décisions déférées, signées par les seuls ministres du Travail et de l’Emploi ainsi que de la Justice, ne sauraient engager l’autorité collégiale du service commun à défaut de la signature du ministre de la Famille.

En l’état actuel de la législation, une décision relative à l’entrée et au séjour d’un étranger au Grand-Duché de Luxembourg au sens de la loi modifiée du 28 mars 1972 précitée, relève de la seule compétence du ministre de la Justice, ceci conformément aux dispositions de l’article 11 de ladite loi et sous les restrictions y énoncées tenant notamment au fait que les décisions afférentes sont prises sur proposition du ministre de la Santé lorsqu’elles sont motivées par des raisons de la santé publique.

Force est dès lors de constater que ni l’apposition de la signature du ministre du Travail et de l’Emploi à côté de celle du ministre de la Justice n’est de nature à mettre en échec cette dernière, voire de relativiser la compétence en la matière du ministre de la Justice qui, à travers sa signature, a pleinement exercé son pouvoir de décision en la matière, ni encore l’absence de la signature du troisième ministre composant le service commun, non compétent en cette matière, ne saurait énerver la régularité de la décision déférée. Partant le moyen basé sur le défaut de qualité dans le chef de l’auteur de la décision laisse d’être fondé.

Le demandeur reproche encore à « l’autorité collégiale » auteur des décisions attaquées de ne pas l’avoir informé qu’elle envisagerait de prendre la décision initiale déférée du 20 juillet 2001 et de ne pas lui avoir relaissé la possibilité de prendre position ou de fournir des explications complémentaires quant à sa situation de famille.

Il n'existe aucune disposition légale ou réglementaire qui exige, dans le cadre d'une demande en obtention d'une autorisation de séjour, que l'administration procède à l'audition du demandeur. Pour le surplus, même à supposer que ce dernier n'ait pas été en mesure de fournir au ministre tous les renseignements et pièces concernant sa situation particulière, il peut soumettre ces informations et documents, non inclus dans sa demande d'autorisation de séjour adressée au service commun, au cours de la procédure gracieuse, voire contentieuse (trib. adm. 8 mai 1998, n° 10472, Kozar, Pas. adm. 2001, v° Etrangers, n° 83). Le moyen afférent est partant à rejeter.

Le demandeur fait encore valoir qu’une décision administrative dans un domaine où l’administration dispose d’une liberté d’appréciation doit être fondée sur des motifs se dégageant du moins du dossier et qui sont conformes aux exigences d’une conduite raisonnable. Il relève plus particulièrement que son casier judiciaire serait vierge de toute inscription et que le dossier administratif ne renseignerait aucune condamnation à des peines privatives de liberté prononcée par une juridiction luxembourgeoise, pour conclure que les décisions attaquées, en ce qu’elles seraient basées sur les faits relatés dans le procès-verbal prévisé du 15 janvier 2001, violeraient l’article 6.2 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qu’il aurait été traité comme coupable d’infractions avant qu’un tribunal compétent n’ait établi sa culpabilité selon la loi et ce en contrariété à la présomption d’innocence consacrée par cette disposition.

Si c’est certes à juste titre qu’un étranger, qui a fait l’objet d’un procès-verbal lui imputant des faits constitutifs d’infractions, insiste sur son droit de bénéficier à ce stade de la procédure pénale de la présomption d’innocence, il n’en demeure cependant pas moins que le ministre de la Justice, appelé à apprécier dans le cadre de sa propre sphère de compétence le comportement global dans le chef de l’étranger, peut valablement se référer à des faits à la base d’une instruction pénale, ceci au titre d’indices permettant d’apprécier son comportement global, étant donné qu’une telle décision ne porte pas sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale, même si elle se fonde sur des faits qui sont susceptibles d’être poursuivis pénalement. Ainsi, lorsqu’un étranger est en séjour irrégulier au Luxembourg et si des accusations suffisamment graves sont portées à son encontre, le ministre de la Justice peut valablement considérer, dans le cadre et conformément aux conditions posées par la loi prévisée du 28 mars 1972, que l’étranger en question est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics. Dans la mesure où le demandeur ne conteste pas la matérialité des faits relatés dans les rapports et procès-verbaux prévisés, le moyen afférent du demandeur est à écarter.

Le demandeur affirme enfin que les décisions litigieuses constitueraient une ingérence dans sa vie privée et familiale en ce qu’elles entraîneraient la rupture du lien familial entre lui-

même et son fils demeurant au Luxembourg, avec toutes les conséquence psychologiques en découlant sur le développement de l’enfant et pour ses possibilités d’exercer son rôle de père.

Dans la mesure où les décisions attaquées ne tiendraient ainsi pas non plus compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, elles violeraient également la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant.

L’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ;

2. il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont fait état le demandeur pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 prérelaté de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

Le tribunal est amené à constater qu’au-delà de la reconnaissance par le demandeur de sa fille Tatyana NASCIMENTO SILVA – intervenue plus d’un an après sa naissance et postérieurement à la décision déférée du 20 juillet 2001 - et du fait que la résidence déclarée de celle-ci est à l’adresse officielle du demandeur, ce dernier reste en défaut d’étayer concrètement l’existence d’une vie familiale effective entre lui-même et son descendant ayant existé préalablement aux décisions déférées, de manière que le ministre a valablement pu lui refuser l’autorisation de séjour sollicitée sans méconnaître la protection accordée par ledit article 8.

Quant au moyen du demandeur tiré de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l’enfant, il y a lieu de relever que le principe de la non-séparation des enfants de leurs parents contre leur gré n’est pas énoncé de façon absolue. L’article 9.1. de cette convention autorise la séparation, décidée par les autorités compétentes, nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant et l’article 9.4. reconnaît les séparations résultant des mesures étatiques telles que la détention, l’emprisonnement, l’exile, l’expulsion ou la mort des parents ou de l’un d’eux, voire de l’enfant lui-même. Dès lors, une mesure d’expulsion ou de refus d’autorisation de séjour légalement prise par un Etat partie ne saurait constituer une séparation prohibée au titre de l’article 9 de ladite Convention (trib. adm. 21 avril 1997, n° 9459, Grès, confirmé par arrêt du 23 octobre 1997, n° 10040C, Pas. adm. 2001, v° Droits de l’homme, n° 27).

Il résulte des développements qui précèdent que les décisions attaquées sont justifiées sur le fondement du motif tiré de ce que le demandeur est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, de manière que le recours sous analyse est à rejeter sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les autres moyens soulevés par le demandeur.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 juin 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14487
Date de la décision : 26/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-26;14487 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award