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24/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14457

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 juin 2002, 14457


Tribunal administratif Numéro 14457 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 janvier 2002 Audience publique du 24 juin 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14457 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2002 par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, assisté de Maître Eric PRALONG, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…,

de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation et sub...

Tribunal administratif Numéro 14457 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 janvier 2002 Audience publique du 24 juin 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14457 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2002 par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, assisté de Maître Eric PRALONG, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 décembre 2001, se dégageant implicitement du silence observé par ledit ministre suite au recours gracieux par lui introduit le 20 septembre 2001 contre une décision du ministre de la Justice du 9 juillet 2001 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2002 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2002 par Maître Michel MOLITOR au nom du demandeur ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en ses plaidoiries à l’audience publique du 3 juin 2002.

Le 25 juin 1999, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 28 juin 1999, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 9 juillet 2001, notifiée le 28 août 2001, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande a été refusée comme non fondée aux motifs que les mauvais traitements et les injures par lui invoqués à l’appui de sa demande, à les supposer établis, ne constitueraient pas une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève, mais que force serait de constater que ces motifs traduiraient plutôt un sentiment général d’insécurité non constitutif d’une crainte justifiée de persécution. Le ministre a relevé en outre que le régime politique en Yougoslavie aurait changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement, ainsi qu’avec la mise en place d’un nouveau Gouvernement en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime.

Le recours gracieux introduit par Monsieur … par l’intermédiaire de son mandataire en date du 20 septembre 2001 à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 9 juillet 2001 n’ayant pas fait l’objet d’une réponse de la part du ministre dans les trois mois, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision implicite du ministre de faire droit à son recours gracieux se dégageant du silence par lui observé pendant plus de trois mois, par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 janvier 2002.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

Quant au fond, Monsieur …, de nationalité yougoslave et de confession musulmane, fait exposer qu’il est originaire de la ville de Niksic dans la province du Sandzak, à cheval entre les deux républiques fédérées formant l’actuelle Yougoslavie. Il conclut à l’annulation de la décision ministérielle déférée pour violation de la loi, défaut de motivation et erreur manifeste d’appréciation des faits en faisant valoir que le ministre aurait fondé sa décision initiale sur un examen superficiel et insuffisant des faits et n’aurait pas pris en considération ses craintes réelles de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa religion et de son appartenance à un groupe social. Il insiste à cet égard sur les très violentes tensions communautaires encore existantes à ce jour au Monténégro entre Serbes, Monténégrins, Albanais et Musulmans de langue serbo-croate, lesquelles seraient basées sur des haines inter-

communautaires particulièrement accentuées par rapport à la minorité musulmane de la région. Il fait état à cet égard de la violence dont ferait preuve l’église orthodoxe à l’encontre de toutes les minorités non-slaves orthodoxes de Yougoslavie, dont plus particulièrement les Musulmans du Sandzak, et soutient que malgré le changement de régime politique allégué par le ministre, les droits des minorités en général et de la minorité musulmane en particulier ne seraient toujours protégés à suffisance. Estimant que les discriminations par lui encourues et invoquées à l’appui de sa demande dépasseraient de loin un simple sentiment de racisme diffus en ce qu’elles se seraient manifestées par des passages à tabac, menaces et intimidations, ainsi que par l’impossibilité de trouver un travail, il conclut partant à la réformation de la décision déférée.

Le demandeur se prévaut en outre du fait qu’il serait toujours susceptible de devoir participer à des opérations militaires auxquelles il refuserait de prendre part pour des raisons de conscience valables et qu’il aurait quitté son pays d’origine par crainte d’être envoyé au front au Kosovo où il aurait été amené à tuer des innocents, de sorte que sa crainte de persécution au sein de l’armée fédérale, ainsi que la crainte de sanctions encourues pour cause d’insoumission serait à considérer comme suffisante pour lui valoir l’octroi du statut de réfugié. Il relève en outre que du fait de la crise intervenant actuellement en Macédoine, des opérations militaires impliquant l’armée fédérale yougoslave se dérouleraient dans le sud de la Serbie et que le risque d’une guerre civile dans le but de créer une « grande Albanie » regroupant le Kosovo, une portion de la Serbie et du Monténégro, une grande partie de la Macédoine et même certaines parties de la Grèce autour de l’Albanie actuelle serait bien réel.

Quant à l’incidence de la loi d’amnistie adoptée au mois de février 2001 par le Parlement de la République fédérale yougoslave, le demandeur fait valoir qu’il serait courant d’entendre des récits affirmant que cette loi ne serait pas appliquée à l’égard des déserteurs ayant quitté le pays, de sorte qu’il pourrait légitimement douter de l’application de cette loi à son égard.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition du 28 juin 1999, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures contentieuse et gracieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif invoqué de l’insoumission, il convient de rappeler que celle-ci n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. Le tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait qu ‘il n’est pas établi Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient par ailleurs de relever que Monsieur … n’établit pas à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave au mois de février 2001 et entrée en vigueur au mois de mars 2001, en vertu de laquelle les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit d’éloignement arbitraire et de désertion des unités de l’armée yougoslave, sont amnistiées.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que la loi d’amnistie ne s’appliquerait pas aux personnes ayant quitté le pays en temps de guerre, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis réfugié à l’étranger ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm. 18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié). Par ailleurs il y a lieu de relever qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qu’il n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Concernant ensuite les menaces et agressions émanant de voisins serbes et monténégrins du demandeur, ainsi que de bandes mafieuses, force est de constater que même à les supposer établies, elles ne sauraient pas non plus valoir comme motif suffisant d’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. En effet une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. trib. adm. 22 mars 2000, n° du rôle 11659, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, n° 32, p. 134).

Or, en l’espèce, le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance que le gouvernement yougoslave ne serait pas en mesure de lui offrir une protection appropriée.

Il ressort de l’ensemble des développements qui précèdent que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Le recours en réformation est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 juin 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14457
Date de la décision : 24/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-24;14457 ?

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