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20/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14111

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juin 2002, 14111


Tribunal administratif N° 14111 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 octobre 2001 Audience publique du 20 juin 2002

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Recours formé par la société anonyme … contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, un avis commun émis par la commission du commerce de détail de la Chambre de Commerce et de la Confédération luxembourgeoise du Commerce et un avis de la commission d’équipement commercial en matière d'autorisation d'établissement

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 30 octobre 2001 au greffe du tribunal adm...

Tribunal administratif N° 14111 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 octobre 2001 Audience publique du 20 juin 2002

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Recours formé par la société anonyme … contre une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, un avis commun émis par la commission du commerce de détail de la Chambre de Commerce et de la Confédération luxembourgeoise du Commerce et un avis de la commission d’équipement commercial en matière d'autorisation d'établissement

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 30 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Elisabeth ALEX, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme de droit luxembourgeois …, établie et ayant son siège social à L-… tendant à la réformation sinon à l’annulation 1) d’une décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 31 juillet 2001 portant rejet d’une demande d'autorisation en vue de l’ouverture à … d’un centre commercial de 9.999 m2 de surface réservée à la vente d’articles et de produits de la branche commerciale principale « ameublement », 2) d’un avis commun émis par la commission du commerce de détail de la Chambre de Commerce et de la Confédération luxembourgeoise du Commerce du 24 avril 2001 ainsi que 3) d’un avis de la commission d’équipement commercial du 10 mai 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif 29 janvier 2002;

Vu le mémoire en réplique déposé le 28 février 2002 au greffe du tribunal administratif au nom de la demanderesse;

Vu les pièces versées et notamment les actes critiqués;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Elisabeth ALEX ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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2 Le 10 mars 2000, la société anonyme … introduisit une demande en obtention d’une autorisation auprès du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement, ci-après dénommé « le ministre », en vue de l’ouverture à …, zone industrielle « … », d’un magasin de 9.999 m2 dans la branche commerciale principale « ameublement ».

Le 31 juillet 2000, le ministre refusa de faire droit à cette demande, au motif qu’elle impliquerait un déséquilibre dans la branche commerciale de l’ameublement.

La société anonyme … présenta une nouvelle demande d’autorisation auprès du ministre en date du 18 août 2000, demande qu’elle compléta le 12 mars 2001 suite à l’invitation par le ministre d’élargir l’étude du marché en ce qui concerne la surface de l’équipement commercial existant et de réévaluer certaines surfaces de vente. La société anonyme … précisa encore dans sa demande du 12 mars 2001 que le ministre, s’il estimait que la surface demandée de 9.999 m2 dépasserait la quantité que la zone de chalandise, telle que définie dans sa demande, pouvait supporter, pourrait réduire sa demande dans les limites qu’il jugerait adoptées. Le ministre l’informa le 26 mars 2001 que son dossier serait complet et que la commission d’équipement commercial en serait saisie pour avis.

Se basant sur l'avis négatif de la commission d’équipement commercial prévue par l'article 12 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 réglementant l'accès aux professions d'artisan, de commerçant, d'industriel ainsi qu'à certaines professions libérales, en abrégé « la loi d'établissement », datant du 10 mai 2001, après examen de l'étude de marché réalisée par la société … S.A., le ministre, par décision du 31 juillet 2001, refusa l'implantation projetée. Pour ce faire, il estima que « (…) La S.A. …, qui est par ailleurs entre les mains des mêmes actionnaires que la surface de la même branche … adjacente, a fourni une étude de marché dont la zone de chalandise comprend l’ensemble du territoire du Grand-Duché. La zone de chalandise de l’étude de marché fournie par la S.A. … a donc été réduite par rapport au dossier du magasin adjacent …. Ces deux dossiers concernent la branche commerciale principale « ameublement » et ont été introduits par Monsieur ….

La commission d’équipement commercial a relevé la proximité immédiate du projet envisagé et le magasin existant … précité. Cette concentration apparaît insolite, d’autant qu’elle est entre des mains identiques.

En effet, en limitant la surface de vente globale des centres commerciaux à 10.000 m2 au maximum, étant également à considérer comme centre commercial l’ensemble des magasins adjacents à une même aire de stationnement, le législateur a souhaité limiter toute concentration excessive de surfaces commerciales (cf. exposé des motifs de la loi du 4 novembre 1997 portant modification des articles 2, 12, 22 et 26 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 concernant le droit d’établissement).

Dans le cas d’espèce, cette concentration est d’autant plus importante qu’elle concerne une seule branche commerciale sur à peu près 20.000 m2 au total, les deux commerces concernés étant séparés par une rue et distants d’une cinquantaine de mètres seulement.

En outre, l’avis de la commission retient que malgré les corrections opérées dans la nouvelle étude de marché et sans même inclure l’offre de la partie transfrontalière (belge et allemande) de la zone de chalandise, qui capte pourtant une partie non négligeable du 3 pouvoir d’achat des ménages luxembourgeois dans la branche, le projet envisagé, qui porte sur 9.999 m2, absorberait à court terme la quasi-intégralité de la surface encore disponible dans la branche en question, qui plus est à proximité d’une autre surface commerciale de la même branche et de taille similaire.

La majorité des membres de cette commission ont retenu de cette analyse un risque réel de déséquilibre dans la branche « ameublement » justifiant un avis négatif ». Le ministre conclut que « dans ces conditions, je suis au regret de devoir refuser votre projet d’implantation faisant l’objet de la demande d’autorisation particulière dans son ensemble, en me basant sur les dispositions de l’article 1er, 2°, (4) de la loi du 4 novembre 1997 ».

Par requête déposée le 30 octobre 2001, la société anonyme … a introduit un recours tendant à la réformation, sinon à l'annulation de la décision ministérielle de refus précitée du 31 juillet 2001. Elle dirige son recours encore contre l’avis commun de la commission du commerce de détail de la Chambre de Commerce et de la Confédération luxembourgeoise du commerce datant du 24 avril 2001 et contre l’avis de la commission d’équipement commercial datant du 10 mai 2001.

La demanderesse conclut en premier lieu à la compétence du tribunal administratif pour statuer en tant que juge du fond, même en présence de la disposition claire et expresse de l’article 2 (6) de la loi d’établissement prévoyant uniquement un recours en annulation en la matière.

A ce titre, elle soutient que la matière du droit d’établissement toucherait de « très près » à la liberté de faire le commerce, garantie par l’article 11 (6) de la Constitution et que dans ce cas, lorsqu’une telle liberté fondamentale est en cause, l’administré devrait pouvoir bénéficier d’un recours en réformation, surtout en considération du fait que la loi d’établissement, fixant les critères pour l’octroi des autorisations requises, serait très vague et incomplète, laissant ainsi à l’administration un pouvoir d’appréciation discrétionnaire. Elle fait encore préciser que le Conseil d’Etat, dans son avis du 18 mars 1997 sur le projet de la loi ayant abouti à la loi du 4 novembre 1997 portant modification des articles 2, 12, 22 et 26 de la loi modifiée du 28 décembre 1988 concernant le droit d’établissement, s’est formellement opposé à l’institution d’un recours en annulation à la place du recours en réformation. Le Conseil d’Etat aurait en effet été d’avis qu’il devrait y avoir une corrélation étroite entre la précision d’une loi devant être appliquée par le pouvoir administratif et la nature du recours à prévoir et que pour toutes les matières ayant trait à des libertés fondamentales, les droits des administrés devraient de toute façon être garantis par un recours en réformation.

La demanderesse en tire la conclusion qu’il serait nécessaire de poser « une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle quant à la constitutionnalité des articles 1er sub 1 et 12 (4) de la loi précitée du 4 novembre 1997 par rapport à l’article 11 (6) de la Constitution ».

Aux termes de l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction, celle-ci est en principe tenue de saisir la Cour Constitutionnelle, sauf si elle estime qu’une décision sur la question soulevée n’est pas nécessaire pour rendre son jugement ou que la question de constitutionnalité est dénuée de 4 tout fondement ou que la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet.

La demanderesse en se basant sur le principe de la liberté du commerce tend à imposer en la matière un recours en réformation non prévu par la loi en soulevant une question de constitutionnalité des articles 2, alinéa 6 de la loi d’établissement (article 1er sub. 1 de la loi précitée du 4 novembre 1997) et 12 (4) de la loi d’établissement.

L’article 11 (6) de la Constitution dispose que « la loi garantit la liberté de commerce et de l’industrie, l’exercice de la profession libérale et du travail agricole, sauf les restrictions à établir par le pouvoir législatif ».

Ainsi, il est permis au pouvoir législatif d’établir des restrictions aux libertés fondamentales, de sorte que l’article 12 (4), qui dispose que « l’autorisation particulière peut être refusée si le projet risque de compromettre l’équilibre dans la ou les branches commerciales principales concernées sur le plan national, régional ou communal » n’est pas contraire à la disposition constitutionnelle précitée.

Concernant la question de constitutionnalité tenant à la conformité de l’article 2 alinéa (6) de la loi d’établissement, article ayant la teneur suivante : « les décisions ministérielles concernant l’octroi, le refus ou la révocation des autorisations prévues par la présente loi, peuvent faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif. Le tribunal administratif statue comme juge d’annulation », force est de retenir que la question préjudicielle proposée par la demanderesse est dénuée de tout fondement, dans la mesure où il ne ressort pas du moyen ainsi exposé en quoi l’instauration d’un recours en annulation serait contraire à la liberté du commerce, de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande en renvoi devant la Cour Constitutionnelle.

Ainsi, concernant l’instauration du recours en annulation par la loi du 4 novembre 1997 modifiant la loi du 28 décembre 1988, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement fait valoir que le législateur a manifesté de manière expresse sa volonté de limiter les recours en matière d’autorisations d’établissement au recours en annulation. Cette volonté du législateur est sans équivoque dans la mesure où elle intervient après opposition formelle du Conseil d’Etat, pour les motifs tels que décrits par la demanderesse ci-avant.

Le tribunal est dès lors incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Concernant la recevabilité du recours en annulation, il y a lieu de relever que le recours est dirigé à la fois contre la décision ministérielle litigieuse du 31 juillet 2001 et contre les avis de la commission d’équipement commercial et de la commission du commerce de détail de la Chambre de Commerce et de la Confédération luxembourgeoise du commerce, auxquels le ministre fait expressément référence dans sa décision de refus.

Or, les avis émis par des organes consultatifs préalablement à une décision administrative ne constituent pas des actes finaux dans la procédure, mais ne sont que de simples mesures d’instruction destinées à recueillir des éléments d’information, afin de mettre l’auteur de la décision en mesure de prendre celle-ci. Ces avis ne peuvent donc pas, en eux-

5 mêmes, faire l’objet d’un recours, de sorte que le recours introduit à leur encontre est irrecevable.

Le recours en annulation, dans la mesure où il a été dirigé contre la décision ministérielle du 31 juillet 2001, est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les délai et formes de la loi.

La demanderesse fait valoir que la décision ministérielle ne ferait que reprendre de manière abstraite les motifs prévus par la loi, sans analyser en détail les véritables raisons qui permettraient de justifier la crainte d’un déséquilibre du marché dans la branche de l’ameublement et sans prendre position par rapport à l’étude de marché qu’elle aurait fournie, de sorte que la décision litigieuse devrait encourir l’annulation pour défaut de motivation.

Il y a lieu de retenir que le reproche tiré d’une insuffisance de motivation, n’est pas fondé, étant donné qu’il se dégage du libellé susénoncé de la décision ministérielle du 31 juillet 2001 que le ministre a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance de la demanderesse.

A l'appui de son recours, la demanderesse fait exposer que l’étude qu’elle a fait réaliser démontrerait sur base de données recueillies auprès du STATEC que la surface de vente dans la branche de « l’ameublement » actuellement disponible au Grand-Duché de Luxembourg s’élèverait à 13.705 m2 et serait donc suffisante pour recueillir son projet d’implantation. Elle se réfère en outre à l’avis de la commission d’équipement commercial et notamment aux données fournies par le représentant du ministère des Classes moyennes, qui documenteraient également l’existence d’une surface de vente disponible d’au moins 11.000 m2. Elle estime que l’équilibre du marché de l’ameublement ne serait donc pas susceptible d’être ébranlé par l’installation de son projet, étant donné que les calculs effectués dans son étude tiendraient compte des facteurs offre, demande, pouvoir d’achat, population et saturation du marché.

Elle se réfère encore à une étude de marché établie par la société DELOITTE & TOUCHE CONSULTING pour compte du ministère des Classes moyennes pour soutenir qu’il existe une sur-offre dans le haut de gamme de la branche « ameublement », que la majorité des commerçants luxembourgeois se ferait concurrence sur des types de produits similaires et sur les mêmes gammes, créant ainsi un déséquilibre de l’offre et favorisant ainsi l’évasion commerciale vers les pays limitrophes et que son projet viserait cette « niche inoccupée » consistant à drainer les demandes de produits de basse ou moyenne gamme actuellement satisfaites par des chaînes étrangères comme Möbel H., Möbel W., I. et Möbel M., installées aux abords de la frontière luxembourgeoise, à l’intérieur du pays. Dans la mesure où son projet ne viserait pas le marché du meuble haut de gamme, mais un marché « inconnu » au Luxembourg, le critère subjectif du risque de déséquilibre ne saurait trouver application et ceci surtout en considération du fait que la surface encore actuellement disponible serait largement suffisante pour son projet.

Elle entend réfuter l’argument du ministre de ce que son projet entraînerait une concentration excessive de surfaces commerciales, le magasin « … » n’étant distant que d’une cinquantaine de mètres du projet litigieux, en se référant à la loi d’établissement qui n’interdirait pas une telle concentration.

6 Elle fait finalement valoir qu’elle aurait sollicité une autorisation pour une surface de 9.999 m2 ou « toute autre surface inférieure disponible ». Cependant, le ministre n’aurait pas examiné cette demande subsidiaire et il n’aurait examiné que « l’équilibre » au regard du projet de 9.999 m2. Elle considère que le ministre aurait commis un excès de pouvoir en ne se prononçant pas sur cette demande subsidiaire.

Le délégué du gouvernement relève en premier lieu que la proximité immédiate du projet avec la surface de la même branche commerciale « … » adjacente entraînerait une « concentration insolite et inopportune » qui formerait au sens des dispositions de l’article 12 de la loi d’établissement, ainsi qu’en conformité avec la ratio legis, un centre commercial dépassant la limite de 10.000 m2 fixée par le législateur. Cette concentration serait d’autant plus déséquilibrante dans la mesure où elle ne concernerait qu’une seule branche commerciale déjà largement saturée.

Il fait ensuite valoir que l’étude de marché complémentaire fournie par la société … S.A. à l’appui de sa demande du 18 août 2000, serait critiquable étant donné qu’il apparaîtrait qu’une surface significative de vente dans la branche de l’ameublement aurait été oubliée. Il estime en outre qu’il faudrait ajouter les « commerces de tailles plus modestes non répertoriés ainsi que les surfaces non répertoriées ou non prises en compte de l’offre de la partie transfrontalière (belge et allemande) de la zone de chalandise qui capte pourtant une partie non négligeable du pouvoir d’achat des ménages luxembourgeois dans la branche ».

Il soutient également que le calcul de la demande potentielle effectué par l’étude de marché porterait seulement sur l’ensemble de la branche commerciale principale « ameublement », laquelle comprendrait, outres les meubles, une panoplie d’autres articles assez divers. Or, il serait plus que probable que les seuls articles proposés à la vente par la demanderesse seraient des meubles, « ou en tous cas pas l’ensemble de ces articles », de sorte qu’il en résulterait une appréciation surévaluée de la demande.

Il conclut que dans ces conditions, même en retenant les données avancées par la demanderesse quant au chiffre d’affaire moyen réalisé au mètre carré dans la branche pour déterminer l’offre existante ainsi que le budget moyen par personne pour déterminer le marché potentiel, l’existence d’une surface disponible de 13.705 m2 avancée dans l’étude de marché serait « sans fondement, le marché étant davantage saturé dans la branche envisagée que ce qui est avancé par l’étude de marché » et que ce serait dès lors à bon droit que le ministre a estimé que la réalisation du projet risque de créer un déséquilibre dans la branche principale « ameublement ».

Dans son mémoire en réplique, la demanderesse conteste que son étude de marché n’aurait pas été complète et qu’une surface significative n’aurait pas été inventoriée.

Elle conteste encore l’affirmation du représentant étatique selon laquelle elle vendrait uniquement des meubles, étant donné qu’elle vendrait également des accessoires tels que des cuisines, du luminaire, des bibelots etc.

Il est constant que, saisie d’un recours en annulation, la juridiction administrative a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision critiquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision critiquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité 7 pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés.

En l’espèce, il convient plus particulièrement de rechercher si les faits sur lesquels le ministre s’est fondé pour rejeter la demande de la société … S.A. sont de nature à justifier la décision au regard des conditions posées par l’article 12 de la loi d’établissement.

Le délégué du gouvernement, reprenant ainsi l’argumentation contenue dans la décision de refus du ministre, relève en premier lieu une violation de l’article 12 de la loi d’établissement dans la mesure où la proximité immédiate du projet envisagé avec la surface de la même branche commerciale « … » entraînerait une concentration insolite et inopportune qui formerait au sens des dispositions de l’article 12 de la loi d’établissement, ainsi qu’en conformité avec la ratio legis, un centre commercial dépassant la limite de 10.000 m2 fixée par le législateur. Il soutient que cette situation à elle seule s’opposerait à l’octroi de l’autorisation particulière.

S’il est vrai que les deux commerces ne sont séparés que par une rue, qu’ils sont distants l’un de l’autre de seulement cinquante mètres et que Monsieur H. est le gérant de ces deux centres commerciaux, force est de relever que les deux entités ne forment pas, au sens des dispositions de l’article 12 de la loi d’établissement, un centre commercial dépassant la limite de 10.000 m2 fixée par le législateur à l’article 2 de la loi précitée du 4 novembre 1997.

En effet, l’article 12 précité dispose expressément qu’il faut entendre par centre commercial, tout ensemble de magasins spécialisés ou non, conçu comme un tout. Est également à considérer comme centre commercial l’ensemble des magasins adjacents à une même aire de stationnement.

En l’espèce, le projet, ensemble le commerce préexistant, précité, ne correspond pas à la définition d’un centre commercial telle qu’énoncée par la loi, dans la mesure où il est constant en cause que les deux entités en question ne forment ni un ensemble de magasins ni sont-ils adjacents à une même aire de stationnement. En ce qui concerne la référence à la ratio legis pour en solliciter néanmoins l’application, il y a lieu de relever qu’eu égard au caractère formel et non équivoque du libellé de cet article, il n’appartient pas à la juridiction saisie de construire sur sa base une interprétation qui heurterait de front la lettre de la loi, de sorte que le motif n’est pas de nature à justifier légalement la décision ministérielle litigieuse.

Il convient ensuite d’analyser le deuxième motif à la base de la décision de refus, à savoir celui basé sur ce que le projet présenterait des éléments de nature à entraîner un risque de déséquilibre dans la branche de l’ameublement.

L’article 12 (4) de la loi d’établissement dispose que « l’autorisation particulière peut être refusée si le projet risque de compromettre l’équilibre dans la ou les branches commerciales principales concernées sur le plan national, régional ou communal ».

Il se dégage de cet article qu’une autorisation particulière ne peut être refusée que si le projet risque de compromettre l’équilibre global, régional ou communal de la branche commerciale principale de l’ameublement. Il se dégage de cette disposition que l’autorité administrative doit, pour justifier sa décision de refus, établir l’existence de pareil risque dans le chef du projet qui lui est soumis pour examen. En effet, l’article 11 (6) de la Constitution 8 garantit la liberté du commerce, sauf les restrictions établies par la loi. Ces restrictions étant l’exception, elles sont donc d’interprétation stricte.

Il s’agit donc d’apprécier l’ensemble des informations, notamment les rapports, soumis au ministre et d’examiner si les éléments de fait qui sont à la base de la décision litigieuse sont de nature à établir l’existence d’un risque de déséquilibre dans la branche concernée.

Il convient en premier lieu d’écarter l’argument du délégué du gouvernement que l’étude fournie par la société … S.A. ne serait pas complète, étant donné qu’il se dégage du dossier administratif à disposition du tribunal, qu’après l’introduction de la demande de la société … S.A., le ministère des Classes moyennes a encore demandé à la société … S.A. de compléter son étude de marché par l’ajout de certaines surfaces commerciales énumérées limitativement et de réévaluer les surfaces de ventes de magasins également énumérés limitativement. Après avoir fourni ces informations particulières, le ministère des Classes moyennes a informé la société … S.A. de ce que son dossier serait complet.

Il ressort par ailleurs des déclarations du représentant du ministère des Classes moyennes, reprises dans l’avis de la commission d’équipement commercial, que la société … S.A. a fourni une étude de marché exhaustive se référant à une zone de chalandise comprenant l’ensemble du territoire du Grand-Duché, et qu’en prenant « des chiffres peu favorables à la requérante sur base de données retenues pour cette branche dans d’autres dossiers », il s’avérerait que la surface disponible serait au minimum de 11.151 m2. Par ailleurs, il convient de retenir que l’étude de marché fournie par la société … S.A. tient compte du pouvoir d’achat des résidents luxembourgeois, qui est consommé auprès de fournisseurs étrangers, ce qui ressort par ailleurs de l’avis commun émis par la commission du commerce de détail de la Chambre de Commerce et de la Confédération luxembourgeoise du commerce, quoi que les auteurs de cet avis « croient sous-estimé » les chiffres avancées par l’étude, sans cependant fournir un élément concret à l’appui de leur allégation.

Le tribunal constate qu’il ressort de l’étude de marché effectuée à la demande de la société … S.A., étude qui est documentée par des chiffres et données qui ont été confectionnées par des organismes officiels, tel que le STATEC, que la demande théorique dépasse l’offre existante dans le secteur d’activité de l’ameublement et que l’équipement commercial de la zone de chalandise définie n’est pas à même, ni du point de vue qualitatif, ni du point de vue quantitatif, de satisfaire les besoins de la population y établie. L’étude relève sur base des chiffres d’affaires moyens dans le secteur de l’ameublement, qu’il existerait un déséquilibre de plus de 26 millions euros correspondant à une surface équivalente à 13.705 m2 et elle relève encore un accroissement de la demande de 5,7% dans le futur et moyen terme (d’ici 5 ans), ce qui équivaudrait à l’équivalent d’une surface de vente supplémentaire de 10.952 m2. Elle retient en guise de conclusion que la surface de vente de 9.999 m2 projetée par la société … S.A. correspond seulement à une partie de la carence en surface de vente décelée dans la zone de chalandise en cause. L’étude retient par ailleurs que la société … S.A.

se positionnerait dans une « niche milieu-bas de gamme » et proposerait un service et un rapport qualité / prix qui n’existerait pas encore au Luxembourg. L’étude insiste sur l’aspect que la société … S.A. souhaite répondre à une demande, sans empiéter sur l’offre existante, en récupérant un marché « délaissé par celle-ci ».

Il se dégage en outre d’un rapport établi par la société DELOITTE & TOUCHE CONSULTING, intitulé « la compétitivité du commerce de détail luxembourgeois et du 9 commerce urbain, rapport final, décembre 1998 », établi à la demande du ministère des Classes moyennes, qu’il existe une fuite importante du pouvoir d’achat luxembourgeois vers les pôles commerciaux limitrophes de la Grande Région, qui pénalise fortement le commerce national. Les auteurs dudit rapport font référence à une « sous-performance » du commerce luxembourgeois et considèrent que le défi consistera à faire cohabiter les canaux de distribution les plus modernes et les plus efficients à côté de canaux de distribution plus classiques et liés aux centres-villes. Ils relèvent que cette cohabitation ne pourra se faire que si les efforts du secteur et des autorités visent le développement des complémentarités et des spécificités, au lieu d’essayer « de prolonger l’existence de rentes de situation et retarder l’évolution du secteur par une réglementation trop stricte ». Le rapport se réfère à cet égard aux conclusions retenues par une étude élaborée par l’OCDE (GD/(97) 145) qui sont libellées comme suit :

1) « Dans les pays ayant mis en application des réglementations restrictives à l’égard de la grande distribution, certains changements structurels ont été retardés et la compétitivité des enseignes qui ont réussi à s’installer a été bridée.

2) Le fait de limiter l’établissement de grandes enseignes a conduit à la création de rentes de situation pour les enseignes établies.

3) Les restrictions à l’égard des grands formats du type hypermarché ont empêché le consommateur de profiter des gains potentiels que le secteur est capable de fournir et ont limité le choix de produits disponibles pour le consommateur.

4) Les réglementations restrictives ont freiné l’innovation et le développement des canaux de distribution les plus modernes ».

En ce qui concerne l’offre dans la branche principale de l’ameublement au Luxembourg, le rapport fait état d’une « certaine sur-offre » qui découlerait du fait que les commerçants luxembourgeois favoriseraient le haut de gamme et que tous les types de produits et tous les modes de distribution ne sont pas représentés au Luxembourg. Il retient que le déséquilibre de l’offre dans la branche de l’ameublement reviendrait à faire abstraction des besoins d’une partie importante de la clientèle potentielle au Luxembourg. Il serait indéniable que tous les ménages n’auraient pas les moyens d’acheter des produits dans le moyen-haut et dans le haut de gamme. Ces clients potentiels trouveraient une offre très limitée au Luxembourg et seraient donc poussés à acheter auprès de la concurrence étrangère. Le rapport relève aussi que des ménages aisés n’achèteraient pas tous leurs produits dans le moyen-haut et haut de gamme et que ces ménages effectueraient donc également leurs achats à l’étranger, de sorte que « l’évasion commerciale » dans la branche de l’ameublement risquerait de s’intensifier. Les rédacteurs du rapport estiment nécessaire d’étoffer l’offre dans la branche d’ameublement afin d’enrayer « l’évasion commerciale ». Ils estiment également qu’il serait nécessaire de concentrer l’offre en un point, en soutenant que la dispersion des exploitations luxembourgeoises serait un désavantage compétitif face à la concurrence étrangère, dans la mesure où, à l’étranger, les exploitations seraient regroupées dans des pôles commerciaux de l’ameublement.

Les auteurs de ce rapport concluent que « si le Luxembourg n’arrive pas à se hisser au niveau de pôle commercial d’envergure à vocation transfrontalière, les grandes enseignes s’arrangeront pour exploiter ce marché à partir d’établissements à proximité immédiate des frontières. Les consommateurs étant de plus en plus mobiles, ne se laissant d’ores et déjà pas déranger par un passage de frontière ».

10 En l’espèce, il se dégage des conclusions ci-avant dégagées qu’il existe un besoin d’étoffer l’offre dans le bas et moyen-bas de gamme dans la branche de l’ameublement et que le projet tel que conçu par la société … S.A. correspond à ce besoin réel qui n’est actuellement pas satisfait à l’intérieur de notre pays. L’étude de marché réalisée à la demande de la société … S.A. ainsi que l’étude de marché réalisée par le ministère des Classes moyennes, non contredites par un quelconque élément de preuve tangible, démontrent que l’équilibre ne risque pas d’être compromis par l’implantation projetée, étant donné que la société … S.A.

vise à se positionner dans la « niche milieu-bas de gamme » et à proposer ainsi un service et un rapport qualité / prix n’existant pas au Luxembourg et ainsi à capter au Luxembourg la fuite importante du pouvoir d’achat luxembourgeois vers les pôles commerciaux limitrophes de la Grande Région.

Il ressort par ailleurs de l’étude de marché effectuée à la demande de la société … S.A., ainsi que de l’avis du représentant du ministère des Classes moyennes, avis repris dans le libellé de l’avis de la commission d’équipement commercial du 10 mai 2001, qu’il existe encore, sur base du chiffre d’affaires moyen dans le secteur du meuble, une surface de vente disponible d’au moins 11.152 m2, ce chiffre tenant compte des facteurs offre, demande, pouvoir d’achat, population et saturation du marché.

Ainsi, un risque réel de déséquilibre dans la branche principale « ameublement » n’est pas établi à suffisance de droit, de sorte qu’il convient d’annuler la décision ministérielle précitée du 31 juillet 2001 pour erreur manifeste d’appréciation des circonstances de fait.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;

déclare le recours en annulation irrecevable dans la mesure où il est dirigé contre l’avis commun émis par la commission du commerce de détail de la Chambre de Commerce et de la Confédération luxembourgeoise du Commerce datant du 24 avril 2001 et contre l’avis de la commission d’équipement commercial datant du 10 mai 2001 ;

reçoit le recours en annulation pour le surplus;

au fond, le déclare justifié et partant annule la décision du ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement du 31 juillet 2001;

renvoie l’affaire devant le ministre des Classes moyennes, du Tourisme et du Logement ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par:

11 M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 20 juin 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14111
Date de la décision : 20/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-20;14111 ?

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