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19/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14492

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 juin 2002, 14492


Numéro 14492 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 janvier 2002 Audience publique du 19 juin 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14492 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2002 par Maître Christina LAPLUME, avocat à la Cour, assistée de

Maître Julien DIF, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Lu...

Numéro 14492 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 janvier 2002 Audience publique du 19 juin 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14492 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2002 par Maître Christina LAPLUME, avocat à la Cour, assistée de Maître Julien DIF, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 16 août 2001, notifiée le 29 août 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, confirmée par une décision implicite de rejet sur recours gracieux introduit en date du 26 septembre 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Julien DIF et Monsieur le délégué du Gouvernement Marc MATHEKOWITSCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 10 juin 2002.

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En date du 29 mai 2001, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date du 6 juin 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 16 août 2001, notifiée le 29 août 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile de Ruma / Serbie pour prendre place d’abord dans un camion et, ensuite, dans le camion frigorifique d’un transporteur de fruits qui vous a caché jusqu’à Luxembourg. Vous ne pouvez donner aucune autre précision concernant votre voyage.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 29 mai 2001.

Vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1987/1988 en Croatie et que vous avez été convoqué une fois à la réserve, à laquelle vous vous seriez rendu.

Vous auriez quitté votre pays au moment de la guerre de Bosnie en 1992 et vous vous seriez enfui en Serbie où vous auriez vécu jusqu’à votre départ pour le Luxembourg. Vous auriez obtenu le statut de réfugié en Serbie en 1996. Au moment de la guerre du Kosovo, vous auriez été envoyé au front, ce qui, d’après vous, serait contraire à votre statut de réfugié.

Vous auriez donc quitté votre poste et vous auriez alors fait l’objet de nombreuses arrestations et de mauvais traitements. Vous dites être accusé à tort d’avoir volé un fusil à l’armée serbe et avoir peur d’une condamnation par le Tribunal militaire.

Vous dites ne plus vouloir vivre en Serbie avec le statut de réfugié et craindre toujours une guerre en Bosnie.

Vous dites aussi n’avoir été membre d’aucun parti politique.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

En ce qui concerne la situation en Bosnie-Herzégovine, pays dont vous avez la nationalité, il faut remarquer que ce pays est sous le contrôle des forces de stabilisation de l’OTAN qui veillent au respect mutuel des différentes communautés ethniques. Vous n’alléguez aucun argument crédible qui empêcherait votre retour en Bosnie-Herzégovine.

Je vous rends attentif, en outre, au fait que le régime politique en Yougoslavie, pays qui vous a accueilli, a changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un Président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui ce traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE. Une loi d’amnistie a été votée par le Parlement de la République Fédérale de Yougoslavie au mois de février 2001.

Je constate donc que les faits que vous invoquez, à les supposés établis, invoquent surtout un sentiment d’insécurité générale qui ne peut entrer dans le cadre de l’article 1er A.2 de ladite Convention. En effet, vous restez en défaut d’invoquer une crainte justifiée de persécution en raison de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.

Par conséquent, votre demande en obtention du statut de réfugié est refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 26 septembre 2001, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 16 août 2001, recours gracieux qui ne fit pas l’objet d’une nouvelle décision.

Par requête déposée en date du 24 janvier 2002, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 16 août 2001, confirmée par la décision implicite de refus, suite à son recours gracieux du 26 septembre 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait de nationalité bosniaque, d’origine serbe ayant vécu en Bosnie et qu’il aurait quitté au courant de l’année 1992 la Bosnie pour la Serbie de peur de devoir participer à la guerre de Bosnie. Par la suite, il se serait caché en Serbie pendant 5 ans et à la fin de la guerre de Bosnie il aurait réussi à obtenir le statut de réfugié en Serbie. Au moment de la guerre du Kosovo, il aurait de nouveau été enrôlé malgré son statut de réfugié et envoyé aux avant-postes à la frontière du Kosovo. Le demandeur précise qu’il aurait réussi à déserter mais qu’il aurait été rattrapé et mis en prison pendant trois mois, avant d’avoir été libéré provisoirement. Lors de son séjour dans une prison militaire, il aurait été frappé et il garderait encore comme séquelles actuelles un tympan éclaté.

Finalement le demandeur exprime encore ses doutes quant à l’application effective de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et il affirme avoir été pour le surplus accusé à tort d’avoir volé un fusil de l’armée au moment de sa désertion, de sorte qu’il risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire serbe dès son retour sur le territoire yougoslave et d’être mis dans un établissement pénitentiaire.

En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, v° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 6 juin 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Etant donné que le demandeur, de nationalité bosniaque, affirme avoir obtenu le statut de réfugié politique en Serbie, suite à son départ de Bosnie-Herzégovine, il convient d’analyser la situation personnelle du demandeur d’asile à la fois par rapport au critère de rattachement de sa « nationalité » et par rapport aux critère de rattachement de sa « résidence habituelle ».

Concernant tout d’abord les craintes de persécution du demandeur en relation avec la situation en Bosnie-Herzégovine, force est de constater que le motif tiré de la crainte d’être enrôlé au moment de la guerre de Bosnie n’existe plus du fait du changement de la situation politique en Bosnie-Herzégovine, documenté notamment par la récente admission de ce pays au Conseil de l’Europe, tout comme par l’agencement structurel de la Bosnie-Herzégovine dans laquelle a été créée la Fédération de Bosnie-Herzégovine avec dominance musulmane et la Républika Srpska à majorité chrétienne-orthodoxe, situation actuelle qui permet au demandeur de regagner ce pays sans risque ni crainte pour l’une des raisons mentionnées à la Convention de Genève.

A considérer comme critère de rattachement la résidence habituelle du demandeur en Serbie, il convient de rappeler que la désertion n’est pas, en elle-même un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisse qu’elle ne saurait, à elle seule fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur … risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique ou et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, tout en incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Il y a par ailleurs lieu de relever dans ce contexte que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Concernant la prétendue fausse accusation de vol d’un fusil militaire, à la supposer établie, force est de constater que cette infraction n’est pas fondée sur la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un certain groupe social ou l’opinion politique du demandeur, de sorte qu’elle tombe en dehors du champ de protection instauré par la Convention de Genève.

Pour le surplus les autres craintes exprimées par le demandeur en raison de la situation générale dans son pays d’origine et des difficultés de coexistence entre les personnes de confession musulmane et les personnes de confession orthodoxe s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 juin 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14492
Date de la décision : 19/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-19;14492 ?

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