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17/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14962

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juin 2002, 14962


Tribunal administratif N° 14962 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 mai 2002 Audience publique du 17 juin 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14962 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2002 par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, assisté de Maître David YURTMAN, avocat, les deux inscrits au tableau de l’

Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Rozaje/Monténégro (Yougoslavie), de nat...

Tribunal administratif N° 14962 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 mai 2002 Audience publique du 17 juin 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14962 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2002 par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, assisté de Maître David YURTMAN, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Rozaje/Monténégro (Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 février 2002, notifiée le 8 mars 2002, par laquelle il a déclaré manifestement infondée une demande en obtention du statut de réfugié introduite par le demandeur et d’une décision confirmative prise par ledit ministre le 16 avril 2002 suite à un recours gracieux du demandeur ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 juin 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en ses plaidoiries.

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Le 27 mai 1998, Monsieur … introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Par décision du 27 mars 2000, le ministre de la Justice l’informa que cette demande était rejetée.

Suite à un recours gracieux formulé par lettre du 17 mai 2000 à l’encontre de cette décision ministérielle, le ministre de la Justice confirma sa décision initiale le 19 mai 2000.

Il se dégage d’une lettre du 27 juillet 2000 émanant du ministère de la Famille que, par la suite, Monsieur … « décida de rentrer définitivement et volontairement dans son pays d’origine », son rapatriement ayant été organisé pour le 2 août 2000.

Le 16 janvier 2002, Monsieur … se représenta devant les autorités luxembourgeoises pour introduire une nouvelle demande d’asile.

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Il se dégage du rapport dressé à cette occasion que Monsieur … a déclaré que « da ich freiwillig in mein Heimatland zurückkehren wollte, verzichtete ich auf meinen Asylantrag. Hierfür erhielt ich eine finanzielle Unterstützung (etwa 48.000.- Franken sowie einen Flugschein). Es war vermutlich am 03.08.2000, wo ich Luxemburg verlassen habe. Die Rückreise führte auf dem Luftwege von Luxemburg via Zürich nach Sarajevo.

Nachdem ich in Jugoslawien eingetroffen war beantragte ich neue Dokumente (Pass und Ausweis).

Im August 2001 beantragte ich einen Kredit von 7.500.- DEM beim luxemburger Büro der Caritas in Berane. Dieses Geld wurde mir auch ausbezahlt, da ich ein Fahrzeug erwerben wollte, dies um meinen Lebensunterhalt als Taxifahrer zu verdienen. Da ich jedoch kein Fahrzeug kaufte, behielt ich das Geld trotzdem.

Als ich im November 2001 zur Polizei bestellt wurde, beschloss ich Jugoslawien zu verlassen um erneut nach Luxemburg zu reisen.

Am 13.01.2002 habe ich dann Rozaje verlassen und ein Bekannter (B. D.) brachte mich dann in einem VW Golf, tragend jugoslawische Erkennungstafeln nach Luxemburg.

Die Reise führte durch Ungarn, Österreich und Deutschland. (…) ».

Le 7 février 2002, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa nouvelle demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur …, par lettre du 28 février 2002, notifiée en date du 8 mars 2002, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants : « (…) Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre pays dans la camionnette d’un passeur le 13 janvier 2002. Vous avez traversé la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne et vous êtes arrivé au Luxembourg le 16 janvier 2002.

Vous avez déposé votre demande en obtention du statut de réfugié le 16 janvier 2002.

Il résulte de votre dossier que vous avez déposé une première demande d’asile au Luxembourg le 27 mai 1998, demande qui a été refusée par décision du 27 mars 2000. Ce refus a été confirmé, après recours gracieux, par courrier du 19 mai 2000.

Vous exposez que vous êtes retourné volontairement dans votre pays en août 2000, mais avec l’intention de revenir le plus vite possible au Luxembourg. Votre mère, malade et vos faibles moyens financiers vous en auraient empêché. Par la suite, vous auriez obtenu un prêt de 7.500.-DM de la Caritas établie en Yougoslavie. Ce prêt aurait été contracté pour l’achat d’une camionnette avec laquelle vous auriez pu exercer le métier de chauffeur de taxi. Vous expliquez que ceci n’aurait pas été possible car les voitures disponibles dans votre pays seraient essentiellement des voitures volées. Vous auriez alors profité de l’argent du prêt pour payer un passeur et revenir au Luxembourg.

Vous ajoutez que vous désirerez travailler au Luxembourg.

En ce qui concerne les persécutions que vous auriez subies dans votre pays de août 2000 à janvier 2002, vous faites état de deux convocations à la police l’une datant de septembre 2000 et l’autre de décembre de la même année. Ces convocations auraient eu pour but de savoir pourquoi vous aviez quitté le pays en mai 1998. Lors de la première audition, le policier qui vous interrogeait vous aurait donné une claque sur la tête, vous soupçonnant de mentir quant à votre première demande d’asile au Luxembourg. Vous n’auriez plus été convoqué à la police après décembre 2000.

Vous ajoutez qu’en général, les musulmans seraient maltraités.

Je constate d’abord que vous avez détourné de leur objectif les fonds que la Caritas vous avait accordés. Ceux-ci, en effet étaient destinés à vous permettre de commencer une nouvelle vie professionnelle dans votre pays et non à revenir au Luxembourg.

Je vous informe ensuite que l’article 9, alinéa 1 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

Je constate que, mis à part les deux convocations à la police, vous reconnaissez n’avoir fait l’objet d’aucune persécution caractérisée. En effet, le fait d’avoir reçu une claque sur la tête alors que vous répondiez faussement « Non » à la question de savoir si vous aviez ou non déposé une demande d’asile au Luxembourg en 1998, ne saurait constituer un mauvais traitement au sens de la Convention de Genève.

De plus, il résulte de vos dires que votre demande d’asile est basée sur votre désir de travailler au Luxembourg. Ceci ne saurait, en aucun cas, constituer une crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A. 2 de la Convention précitée, mais constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est donc refusée comme manifestement infondée au sens de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Le recours gracieux formé par le mandataire de Monsieur … à l'encontre de la décision ministérielle précitée à travers un courrier datant du 5 avril 2002 ayant été rencontré par une décision ministérielle confirmative du 16 avril 2002, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 28 février et 16 avril 2002 par requête déposée le 29 mai 2002.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours au motif que la loi prévoirait expressément et exclusivement un recours en annulation en matière de demandes d’asile refusées comme étant manifestement infondées.

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours (trib. adm. 28 mai 1997, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 6 et autres références y citées).

L’article 10 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit expressément qu’en matière de demandes d’asile déclarées manifestement infondées au sens de l’article 9 de la loi précitée de 1996, seul un recours en annulation est ouvert devant les juridictions administratives.

S’il est vrai que le demandeur s’est borné à former un recours en réformation en l’espèce, il n’en reste pas moins que dans une matière dans laquelle seul un recours en annulation est prévu, le recours introduit sous forme de recours en réformation est néanmoins recevable dans la mesure des moyens de légalité invoqués, à condition d’observer les règles de procédure et les délais sous lesquels le recours en annulation doit être introduit.

Etant donné que le recours sous discussion a été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est partant recevable comme recours en annulation dans la mesure des moyens de légalité y contenus.

A l’appui de son recours, le demandeur soutient en substance que les décisions ministérielles seraient basées sur une erreur manifeste d’appréciation des circonstances de droit et de fait.

En effet, le demandeur expose avoir quitté son pays d’origine en raison des « persécutions et intimidations par les forces de police » subies entre août 2000 et janvier 2002 et il soutient que bien que la situation politique ait évolué favorablement, la situation des musulmans resterait précaire et qu’ils seraient toujours la proie à des exactions par les Serbes et qu’un retour de sa part au Monténégro serait « totalement inconcevable ».

Le délégué du gouvernement estime que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur qui abuserait sciemment de la procédure d’asile dans le but de s’installer au Luxembourg.

Aux termes de l’article 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève, si la crainte du demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement ou si la demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures en matière d’asile ».

En vertu de l’article 3, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi précitée du 3 avril 1996 « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande.

Lorsque le demandeur invoque la crainte d’être persécuté dans son propre pays, mais qu’il résulte des éléments et renseignements fournis que le demandeur n’a aucune raison objective de craindre des persécutions, sa demande peut être considérée comme manifestement infondée ».

Il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile invoque un ou des critères tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève, il faut encore que les faits invoqués à la base de ces cas d’ouverture ne soient pas manifestement incrédibles ou, eu égard aux pièces et renseignements fournis, manifestement dénués de fondement. Ainsi, il ne suffit pas d’invoquer une crainte de persécution pour une des raisons prévues par la Convention de Genève, il faut encore que le demandeur d’asile soumette aux autorités compétentes des éléments suffisamment précis permettant à celles-ci d’apprécier la réalité de cette crainte.

L’absence de production de tels éléments a pour conséquence que la demande d’asile doit être déclarée manifestement infondée.

Le tribunal doit partant examiner, sur base de l’ensemble des pièces du dossier et des renseignements qui lui ont été fournis, si les faits peuvent être qualifiés de manifestement incrédibles ou la crainte manifestement dénuée de fondement.

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande d’asile amène le tribunal à conclure qu’il n’a manifestement pas établi, ni même allégué, des raisons personnelles suffisamment précises de nature à établir dans son chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, à savoir la Yougoslavie.

En effet, les faits relativement aux deux convocations par la police et la « claque » qu’il prétend avoir reçue, même à les supposer établis, sont, en l’absence de tout autre élément, manifestement insuffisants pour établir que le demandeur ait raisonnablement pu craindre faire l’objet de persécutions au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance.

Par ailleurs, lors de son audition du 7 février 2002, le demandeur a déclaré que « dès que j’ai quitté Luxembourg, je voulais revenir, mais ma mère était très malade, elle est paralysée. Mais je n’avais plus d’argent pour revenir. (…) » et questionné sur ce qu’il attendait des autorités luxembourgeoises, il a répondu qu’il voudrait travailler au Luxembourg.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le demandeur reste en défaut de faire état d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, tout portant à croire que le recours à la procédure d’asile ne tend qu’à permettre au demandeur de s’installer au Luxembourg.

La demande d’asile ne repose dès lors sur aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le demandeur a abusivement recouru à ladite procédure pour parvenir à une autre fin que celle visée par ladite convention.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande d’asile de Monsieur … comme étant manifestement infondée, de sorte que le recours formé par lui est à rejeter comme n’étant pas fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme le demandeur a pris position par écrit par le fait de déposer sa requête introductive d’instance, le jugement est rendu contradictoirement entre parties.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 17 juin 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14962
Date de la décision : 17/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-17;14962 ?

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