La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14490

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juin 2002, 14490


Tribunal administratif N° 14490 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 janvier 2002 Audience publique du 17 juin 2002

===============================

Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14490 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2002 par Maître Jean-Paul WILTZIUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des

avocats à Diekirch, au nom de Madame …, née le … à Tutin (Serbie), de nationalité yougoslave, demeura...

Tribunal administratif N° 14490 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 janvier 2002 Audience publique du 17 juin 2002

===============================

Recours formé par Madame …, …, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14490 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 janvier 2002 par Maître Jean-Paul WILTZIUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Madame …, née le … à Tutin (Serbie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 25 juillet 2001, notifiée en date du 6 décembre 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 8 janvier 2002 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-

Paul REITER en ses plaidoiries ;

------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 22 mai 2000, Madame … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame … fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue en date des 21 juin 2000 et 4 avril 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 25 juillet 2001, notifiée le 6 décembre 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre pays en mai 2000. Un passeur vous a conduite au Luxembourg en passant par la Hongrie, l’Autriche et l’Allemagne. Vous êtes arrivée le 22 mai 2000 et votre demande en obtention du statut de réfugié date du même jour.

Vous exposez que vous auriez quitté votre pays pour des raisons politiques sans que vous ne donniez d’autres explications. Vous n’auriez pas pu supporter psychiquement la situation qui aurait régné dans votre pays d’origine. Vous vous seriez sentie comme une citoyenne de deuxième classe. Vous auriez par ailleurs dû vous séparer de votre fiancé albanais en raison des provocations que vous auriez subies. Votre peur de la violence serait motivée par votre religion. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater que les motifs que vous invoquez traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives en Serbie du 23 décembre 2000. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 20 décembre 2001, Madame … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 25 juillet 2001.

Par décision du 8 janvier 2002, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 24 janvier 2002, Madame … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 25 juillet 2001 et 8 janvier 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarés non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (l) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose être originaire de Serbie et de religion musulmane et avoir vécu dans la ville de Novi Pazar où elle aurait exercé la profession d’ingénieur agronome. Elle expose plus particulièrement qu’après la guerre, elle aurait dû adhérer au parti politique « SPS » de M. MILOSEVIC pour garder son emploi et qu’une atmosphère de haine régnerait partout, de sorte qu’elle n’aurait plus pu supporter psychiquement cette situation se sentant traitée comme une citoyenne de deuxième classe.

Madame … fait encore état du fait qu’elle aurait subi au travail des attaques psychiques et que son état de santé précaire, dû à une brûlure au courant de son enfance, se serait détérioré à partir du mois de mars 2000, mais, au vu de ses origines musulmanes, son médecin lui aurait fait savoir qu’il n’y aurait pas de place pour elle dans la clinique en vue d’une opération.

Finalement la demanderesse précise encore qu’elle aurait dû se séparer de son fiancé albanais, étant donné qu’elle aurait été considérée comme traître par ses collègues de travail.

En substance, elle reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’elle a mise en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame … et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner » La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. – Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001 V° Recours en réformation, no 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Madame ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faite par Madame … lors de ses auditions en date des 21 juin 2000 et 4 avril 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes-

rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle et justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, s’il est vrai que la situation générale des musulmans en Serbie est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

En l’espèce, mis à part des craintes de persécution de la demanderesse en raison de sa confession musulmane et de la situation générale tendue dans sa région d’origine, formulées en des termes très vagues et non circonstanciés, de sorte qu’ils ne constituent en substance que l’expression d’un sentiment général de peur insuffisant pour justifier une crainte légitime de persécution, la demanderesse n’a fait état que de deux faits concrets qui l’auraient poussée à quitter son pays, à savoir, d’une part, le fait d’avoir dû adhérer au parti politique « SPS », et, d’autre part, le fait qu’elle aurait été contrainte de se séparer de son fiancé. S’il est vrai que de telles circonstances constituent certainement, à les supposer vraies, des pratiques condamnables, qui pour le surplus sont d’une gravité certaine, il n’en reste pas moins qu’elles ne dénotent pas une gravité telle qu’elles établissent, à l’heure actuelle, une crainte justifiée de persécution dans le pays d’origine de la demanderesse, étant entendu qu’il est indéniable que depuis le départ de la demanderesse, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que la demanderesse n’a pas établi qu’elle ne peut pas se réclamer de la protection des autorités nouvellement en place en Yougoslavie ou que celles-ci ne soient pas capables de lui assurer un niveau de protection suffisant.

Enfin, en ce qui concerne les problèmes de santé de la demanderesse et le manque de soins dans son pays d’origine, ils ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’ils ne sont pas de nature à justifier une crainte de persécution au sens de ladite Convention et qu’il n’est par ailleurs pas établi qu’un suivi médical lui soit refusé dans son pays d’origine pour une des raisons prévues à ladite Convention.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Partant, le recours en réformation est non fondé et la demanderesse est à en débouter.

Malgré l’absence du mandataire de la demanderesse à l’audience fixée pour les plaidoiries, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties, la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite et partant contradictoire à l’égard d’une partie dès le dépôt d’un mémoire par celle-ci.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 17 juin 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14490
Date de la décision : 17/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-17;14490 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award