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17/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14472

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juin 2002, 14472


Tribunal administratif N° 14472 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 janvier 2002 Audience publique du 17 juin 2002

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Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14472 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2002 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des a

vocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Fier (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant...

Tribunal administratif N° 14472 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 janvier 2002 Audience publique du 17 juin 2002

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Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14472 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2002 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à Fier (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 janvier 2002, notifiée en date le 11 janvier 2002, confirmant sur recours gracieux une première décision prise par ledit ministre le 28 novembre 2001 refusant de faire droit à sa demande d’asile ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 avril 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Martine LAUER, en remplacement de Maître François GENGLER, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 24 novembre 2000, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur … fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 16 mars 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 28 novembre 2001, notifiée le 11 décembre 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur … que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivé au Luxembourg le 24 novembre 2000 vers 4 :00 heures.

Vous exposez être membre du parti démocratique depuis l’année 1995. Vous auriez travaillé comme activiste pour la présidence du Forum de Jeunesse du parti démocratique de la région de Fier.

Vous déclarez avoir eu des problèmes à partir de 1997. Vous faites état d’une lettre anonyme, que vous auriez reçue en octobre 1997, lettre par laquelle on vous aurait incité à « laisser tomber la politique ». En plus on vous demandait de payer une rançon de 5 millions de Lek.

Vous indiquez avoir été retenu et maltraité par la police serbe après les élections du 1er octobre 2000 que vous avez surveillées pour le parti démocratique. La police vous aurait incité à signer un document certifiant que le parti socialiste aurait gagné les élections. Vous auriez refusé de signer ce document.

Vous faites état de 160 personnes du parti démocratique qui auraient été arrêtées.

Vous auriez reçu des coups de téléphone anonymes. Un mois après l’assassinat du député Azem HAJDARI deux jeunes auraient essayé de vous tirer dessus.

Vous expliquez avoir peur des bandes des socialistes.

Or, les faits allégués par vous ne sont toutefois pas d’une gravité suffisante pour justifier une crainte de persécution pour un des motifs prévus par la Convention de Genève.

La lettre anonyme et les coups de téléphone anonymes s’inscrivent dans un cadre de criminalité de droit commun tout comme les coups de feu qu’on aurait tirés sur vous.

Force est cependant de constater que la vie politique s’est stabilisée dans toute l’Albanie, qu’il y a notamment eu un rapprochement entre le parti démocratique et le parti socialiste au courant de l’année 1999. Une persécution systématique de membres de l’opposition de la part du régime actuellement en place est à exclure.

De même la police albanaise s’efforce actuellement avec succès de combattre la criminalité qui avait étranglé le pays depuis les émeutes de l’année 1997. Ce combat s’effectue dans un cadre de stricte neutralité politique.

Enfin, les élections d’octobre 2000 étaient suivies de près par des observateurs de l’OSCE. Ces élections se sont déroulées dans le calme et sans incidents majeurs. Rien n’indique que le gouvernement socialiste aurait manipulé les élections en procédant à des arrestations de membres de l’opposition.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi la crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de la décision prévisée du 28 novembre 2001, Monsieur … fit introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire du 17 décembre 2001. Celui s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 8 janvier 2002, il a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 8 janvier 2002 par requête déposée en date du 18 janvier 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire d’Albanie et qu’il aurait quitté son pays en raison des pressions qui auraient été exercées sur lui par des « bandes des socialistes ». Il fait exposer plus particulièrement qu’il serait membre du parti démocratique depuis 1995 et qu’il aurait travaillé pour la présidence du Forum de Jeunesse du parti démocratique de sa région. En raison de cet engagement politique, il aurait eu des problèmes à partir de 1997. Ainsi, il aurait reçu une lettre anonyme lui enjoignant à « laisser tomber la politique » et il aurait été victime de coups de téléphone anonymes et d’une demande de rançon de 5 millions de Lek. Le demandeur fait encore ajouter que vers la fin du mois d’octobre 1997, deux jeunes personnes armées lui auraient tiré dessus et une balle aurait touché la terrasse de sa maison. Suite aux élections du 1er octobre 2000, des policiers en civil seraient venus dans le local électoral dont il était en charge et lui auraient demandé de signer un document certifiant que le parti socialiste aurait gagné les élections dans ce centre de vote.

Etant donné qu’il aurait refusé de signer pareil document, il aurait été arrêté et emmené au poste de police pendant 24 heures, arrestation au cours de laquelle il aurait été menacé et frappé.

Au vu de ces faits, le demandeur estime avoir fait valoir des craintes justifiées de persécutions et il demande à se voir reconnaître le statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur … et que son recours laisserait d’être fondé.

Dans son recours contentieux, le demandeur conteste encore la décision ministérielle « pour ne pas être suffisamment motivée en fait et en droit, du moins sur les motifs suffisamment clairs et précis ».

Concernant ce reproche tiré d’un défaut d’indication suffisante des motifs à la base de la décision ministérielle du 8 janvier 2002, force est cependant de retenir qu’aucun élément nouveau n’a été soumis par le demandeur au ministre dans le cadre de son recours gracieux, de sorte que le ministre a pu se référer, dans sa décision confirmative, à la motivation exhaustive contenue dans sa décision initiale du 28 novembre 2001.

Il s’ensuit que le moyen afférent n’est pas fondé et doit être écarté.

Aux termes de l’article 1er , section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. – Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, no 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition du 16 mars 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de relever qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées par l’article 1er de la Convention de Genève, émanant de groupes de la population en l’espèce des « bandes des socialistes », ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violences commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est ce qu’un réfugié ?, page 113, no 73-s.).

En l’espèce, le demandeur fait seulement état d’une lettre anonyme et de coups de téléphone anonymes, d’une demande de rançon, ainsi que d’un fait isolé remontant à 1997 lors duquel deux jeunes auraient tiré sur sa maison, mais il ne démontre point que les autorités chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place encourageraient d’éventuelles exactions ou ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de l’Albanie.

Pour le surplus, les craintes de persécutions du demandeur en raison de son appartenance au parti démocratique et son engagement au sein du Forum de Jeunesse du parti démocratique et les événements relatés en relation avec le déroulement des élections du 1er octobre 2000, à les supposer établies, sont insuffisantes pour établir à suffisance de droit que Monsieur … encourt, à l’heure actuelle, un risque de persécution en raison de son rôle actif au sein du parti démocratique, de sorte que ces craintes constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, insuffisant pour établir une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge et lu à l’audience publique du 17 juin 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14472
Date de la décision : 17/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-17;14472 ?

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