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17/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14415

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 juin 2002, 14415


Tribunal administratif N° 14415 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 janvier 2002 Audience publique du 17 juin 2002

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Recours formé par Monsieur …et son épouse, Madame …, et consorts, Luxembourg, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14415 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2002 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à l

a Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bije...

Tribunal administratif N° 14415 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 janvier 2002 Audience publique du 17 juin 2002

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Recours formé par Monsieur …et son épouse, Madame …, et consorts, Luxembourg, contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14415 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 janvier 2002 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame …, née le … à Kukulje (Monténégro/Yougoslavie), agissant tant en leur nom propre qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 28 août 2001, notifiée en date le 4 septembre 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 3 décembre 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 mars 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Martine LAUER, en remplacement de Maître Edmond DAUPHIN, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 30 juillet 1999, Madame …-…, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants …, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame …-… fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue en date du 2 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

En date du 12 octobre 1999, l’époux de Madame …-…, Monsieur …introduisit également auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié et il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 8 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 28 août 2001, notifiée le 4 septembre 2001, le ministre de la Justice informa les époux …-… que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous auriez été convoqué pour la réserve en avril 1999, mais que vous vous seriez enfui le jour même. Après une interpellation dans la rue, vous auriez été emmené à Pec. Vous auriez réussi à prendre la fuite, mais vous auriez de nouveau été intercepté. Les policiers auraient été au courant de vos deux désertions et vous auriez été incarcéré pendant une vingtaine de jours. Vous auriez été mis en liberté provisoire après avoir payé 1.200.-DM. Vous risqueriez à présent d’être condamné par le tribunal militaire à une peine d’emprisonnement pour désertion. Vous auriez aussi été simple membre du parti SDA avant la guerre de Bosnie. Vous auriez par ailleurs peur de la vengeance des Serbes. Vous auriez été giflé par des Serbes lorsque vous étiez au Kosovo et traité de Turc.

Vous auriez peur du régime, des citoyens serbes et de vos voisins qui vous auraient dit de quitter le pays, menacé et insulté. Votre peur s’expliquerait par le fait que vous êtes musulman. Enfin, vous n’auriez pas quitté le Monténégro pour des raisons économiques.

Madame, vous exposez que la police militaire serait venue le 1er avril 1999 pour emmener votre mari. Vous vous seriez expatriée le lendemain pour vous rendre en Bosnie.

Déjà avant des voisins serbes et des policiers serbes vous auraient dit de quitter le pays. Vous expliquez que vous auriez été membre du SDA avant votre départ pour l’Allemagne en 1992, mais que vous auriez eu trop peur après votre retour pour y adhérer de nouveau. Vous soulignez que les musulmans ne seraient pas les bienvenus au Monténégro et que les Serbes feraient tout pour les expulser. Votre peur des mauvais traitements et des provocations serait motivée par votre religion. Enfin, vous n’avez pas été personnellement persécutée.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionné par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, la désertion est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef de désertion ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Les mauvais traitements, les menaces et les insultes ne constituent pas une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la prédite Convention.

Le simple fait d’avoir été à un moment donné membre du parti SDA ne suffit pas pour bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique. A noter que vous admettez ne pas avoir eu de problèmes à cause de votre adhésion au SDA.

Madame, vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

A l’encontre de la décision prévisée du 28 août 2001, les consorts …-… firent introduire un recours gracieux par courrier de leur mandataire du 4 octobre 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 3 décembre 2001, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 28 août et 3 décembre 2001 par requête déposée en date du 10 janvier 2002.

Etant donné que l’article 12 de la loi précitée du 3 avril 1996 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires de Bijelo Polje au Monténégro et de confession musulmane, qu’ils appartiendraient à la minorité des « bochniaques » et que leur départ de leur pays d’origine serait motivé par le fait que Monsieur …aurait déserté après avoir été enrôlé dans les forces militaires yougoslaves pour participer à la guerre du Kosovo. Monsieur …expose plus particulièrement qu’il aurait été convoqué pour la réserve le 1er avril 1999, mais qu’il aurait réussi à s’enfuir le jour même.

Après avoir été interpellé par la suite dans la rue, il aurait été emmené à Pec au Kosovo et envoyé au front après avoir reçu des gifles. Il aurait néanmoins réussi ensuite à déserter du front, mais aurait été arrêté quelque temps par après à Bérane et emprisonné pendant vingt jours avant d’être mis en liberté provisoire. Il aurait alors décidé de rejoindre son épouse et ses deux enfants qui avaient déjà rejoint le Luxembourg après son enrôlement. Monsieur …expose qu’il risquerait une peine d’emprisonnement disproportionnée de l’ordre de vingt ans en raison de sa désertion. Les époux …-… ajoutent que leur fuite serait encore motivée par des discriminations subies dans leur pays d’origine à cause de leur appartenance au parti politique SDA. Finalement dans leur recours contentieux, les demandeurs mettent encore en doute que la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur au mois de mars 2001 serait appliquée effectivement.

Sur ce, ils estiment qu’ils feraient valoir des craintes justifiées de persécution et ils demandent à se voir reconnaître le statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. – Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001 v° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux …-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives en date des 2 août et 8 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal moyen basé sur la désertion de Monsieur …, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la désertion n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné, qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur …risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Concernant l’allégation relative à une non application généralisée de ladite loi d’amnistie, illustrée par les demandeurs par référence notamment à un extrait du journal « VESTI » du 13 mars 2001, se rapportant au cas du sous-officier D. M., qui lors de son retour en Yougoslavie, aurait été arrêté et emprisonné en raison de sa désertion, il convient en premier lieu de relever qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Concernant ensuite les craintes de persécution des demandeurs en raison de leur appartenance au parti d’opposition « SDA », il y a lieu de retenir que si des activités en tant que membre d’un mouvement d’opposition aux autorités en place peuvent justifier des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève, force est toutefois de constater que les demandeurs étaient simples membres non-actifs et que leur adhésion au dit parti d’opposition a cessé en 1997.

Finalement, les craintes de persécution des demandeurs en raison de la situation générale en Yougoslavie, et plus particulièrement, au Monténégro et les craintes de discriminations non autrement spécifiées en raison de leur religion musulmane et de leur appartenance à la minorité dite « bochniaque », sont insuffisantes pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que les demandeurs, considérés individuellement et concrètement, risquent de subir des traitements discriminatoires pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève ou que de tels traitements leur auraient été infligés dans le passé.

Il suit de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 17 juin 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14415
Date de la décision : 17/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-17;14415 ?

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