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12/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14310

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 juin 2002, 14310


Numéro 14310 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 décembre 2001 Audience publique du 12 juin 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14310 du rôle, déposée le 14 décembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Monsieur …, demeurant à L

-…, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contribution...

Numéro 14310 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 décembre 2001 Audience publique du 12 juin 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt sur le revenu

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14310 du rôle, déposée le 14 décembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 14 septembre 2001 rejetant comme non fondée sa réclamation contre le bulletin de l'impôt sur le revenu de l’année 1999, émis le 27 avril 2000 à son égard;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2002;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 avril 2002 par Monsieur …;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur … en ses explications et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Marie KLEIN en sa plaidoirie à l’audience publique du 15 mai 2002.

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Suivant bulletin de l'impôt sur le revenu de l’année 1999, émis le 27 avril 2000, Monsieur …, préqualifié, se vit refuser la déduction en tant que dépenses spéciales de l’ensemble des cotisations sociales françaises déduites par son employeur des rémunérations lui attribuées en raison de son activité salariée au Grand-Duché au cours de cette année.

Le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », rejeta comme non fondée la réclamation de Monsieur … du 29 mai 2000 contre ledit bulletin d’impôt par décision du 14 septembre 2001 aux motifs suivants :

« Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit dans les forme et délai de la loi, qu'elle est partant recevable;

Considérant que le réclamant fait grief au bureau d'imposition de ne pas avoir déduit des cotisations de sécurité sociale françaises en tant que légalement obligatoires;

Considérant qu'en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, la loi d'impôt étant d'ordre public;

qu'à cet égard le contrôle de la légalité externe de l'acte doit précéder celui du bien-fondé, qu'en l'espèce la forme suivie par le bureau d'imposition ne prête pas à critique;

Considérant qu'il n'est pas clair, d'une part, comment un résident luxembourgeois travaillant au Luxembourg peut être lié par des conventions collectives françaises, ni d'autre part, pourquoi les associations appliquant des régimes conventionnels, auxquels le réclamant cotise, constituent des organismes publics aux fins de l'art. 110 L.I.R.;

Considérant que si des cotisations revêtent un caractère obligatoire dans le cadre de l'entreprise, il n'en reste pas moins qu'il s'agit en toute occurrence d'assurances complémentaires relevant d'un organisme dont le caractère public n'est pas rapporté;

Considérant que des organismes comme l'ARRCO ou l'AGIRC sont constitués dans le cadre conventionnel et paritaire sur base d'accords conclus entre le patronat et les organisations syndicales des salariés, à l'opposé des différentes branches de la sécurité sociale reposant sur un régime légal (cf. Tribunal administratif: 16.06.1999, no 10713; 28.07.1999 nos 10395 et 10396);

Considérant que c'est par une juste application de l'art. 110 L.I.R. que le bureau d'imposition a refusé la déduction en tant que légalement obligatoires des cotisations sociales litigieuses;

Considérant que pour le surplus, l'imposition est conforme à la loi et aux faits de la cause et n'est d'ailleurs pas contestée;

Par ces motifs reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée ».

A l’encontre de cette décision directoriale du 14 septembre 2001, Monsieur … a intenté un recours contentieux par requête déposée le 14 décembre 2001.

Au vœu des dispositions combinées des articles 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif et du paragraphe 228 de la loi générale des impôts, dite « Abgabenordnung », en abrégé « AO », le tribunal administratif est compétent pour statuer comme juge du fond sur les recours contre une décision directoriale ayant vidé une réclamation formée contre un bulletin de l'impôt sur le revenu. Le demandeur, personne privée qui n’est pas un professionnel de la postulation, n’ayant pas autrement précisé la voie de recours qu’il s’est proposé d’exercer, il y a lieu d’admettre qu’il entendait introduire le recours tel que prévu par la loi (trib. adm. 18 janvier 1999, n° 10760, Pas. adm. 2001, v° Impôts, VII. Procédure contentieuse, n° 282, p. 281 et autres références y citées). Le tribunal a partant compétence pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision directoriale précitée du 14 septembre 2001. Ce même recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur critique l’affirmation du directeur suivant laquelle l’ensemble des cotisations sociales françaises par lui payées seraient d’ordre conventionnel et paritaire et ne relèveraient partant pas d’un régime légal à caractère public.

Tout en admettant que les cotisations réglées à l’ARCCO, à l’AGIRC et à l’AGF ne revêtent pas un caractère public, il fait valoir plus particulièrement que ses cotisations à l’organisme d’assurance-vieillesse CFE et ses cotisations d’assurance-chômage à l’APEC, d’un montant global de 71.931 LUF pour l’année 1999, devraient être qualifiées de dépenses spéciales, étant donné qu’elles seraient obligatoires et que les organismes percepteurs revêtiraient un statut public.

Le délégué du Gouvernement rétorque qu’il incomberait au demandeur d’expliquer la raison pour laquelle il serait obligé de payer des cotisations d’assurance-vieillesse et d’assurance-chômage à des organismes de la sécurité sociale française, alors même qu’il est résident luxembourgeois et travaille au Luxembourg « au service d’une société apparemment luxembourgeoise ».

A travers son mémoire en réplique, le demandeur précise qu’il est lié depuis le mois de février 1985 par un contrat de travail de droit français avec l’établissement de crédit Crédit Agricole Indosuez (ex-Banque Indosuez) et qu’il aurait été mis de façon répétée par son employeur, la société-mère établie à Paris, à la disposition de diverses filiales et succursales du groupe sous forme de détachements, lesquels n’auraient jamais entraîné une interruption de son contrat de travail français. Il expose qu’il a ainsi été détaché par son employeur auprès de la filiale luxembourgeoise du Crédit Agricole Indosuez de mars 1994 à septembre 2001 sans avoir été lié à celle-ci par un contrat de travail de droit luxembourgeois, mais en restant soumis à son contrat de travail de droit français, de sorte qu’il n’aurait pas pu se soustraire aux obligations légales du droit français et que son employeur aurait toujours été obligé de continuer à payer la part patronale des cotisations relatives aux couvertures sociales obligatoires et à prélever sur ses rémunérations la part salariale desdites cotisations.

A l’audience, le délégué du Gouvernement a précisé son argumentation en renvoyant au règlement 1408/71/CEE du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés ainsi qu’aux membres de leur famille qui se déplacent dans la Communauté, ci-après désigné par « le règlement 1408/71 », lequel soumettrait un salarié détaché par son employeur sur le territoire d’un autre Etat membre pour y effecteur un travail pour son compte à la seule législation de l’Etat membre de destination au plus tard à l’issue d’une période de 24 mois, de manière à ce que les cotisations ultérieures à un régime de sécurité sociale français ne sauraient plus être qualifiées d’obligatoires.

Conformément à son article 2, 1., le règlement 1408/71 s’applique notamment « aux travailleurs salariés ou non salariés qui sont ou ont été soumis à la législation de l’un ou de plusieurs Etats membres et qui sont des ressortissants de l’un des Etats membres » et il couvre, au vœu de son article 4, 1., entre autres les prestations de vieillesse et de chômage. Ce texte de droit communautaire, obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre conformément à l’article 249 du Traité de Rome, est partant appelé à régir la situation en cause du demandeur qui a été détaché de mars 1994 à septembre 2001 par son employeur français auprès de la filiale luxembourgeoise sans qu’il ne soit devenu employé de cette dernière.

L’article 13 du règlement 1408/71 énonce dans son paragraphe 1er la règle générale que, « sous réserve de l’article 14quater, les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul Etat membre » et le paragraphe 2 du même article pose que « la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat, même si elle réside sur le territoire d’un autre Etat membre ou si l’entreprise ou l’employeur qui l’occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d’un autre Etat membre ». Au vœu de ce texte, hormis l’hypothèse visée à l’article 14quater non pertinente en l’espèce, un salarié se trouve dès lors en principe soumis à la législation sociale de l’Etat membre sur le territoire duquel il exerce son activité professionnelle dépendante.

L’article 14 instaure dans son paragraphe 1er une dérogation au principe érigé par l’article 13, 2 visant précisément les salariés détachés et au vœu de laquelle « a) la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d’un Etat membre au service d’une entreprise dont elle relève normalement et qui est détachée par cette entreprise sur le territoire d’un autre Etat membre afin d’y effectuer un travail pour le compte de celle-

ci, demeure soumise à la législation du premier Etat membre, à condition que la durée prévisible de ce travail n’excède pas douze mois et qu’elle ne soit pas envoyée en remplacement d’une autre personne parvenue au terme de la période de son détachement ;

b) si la durée du travail à effectuer se prolonge en raison de circonstances imprévisibles au-delà de la durée primitivement prévue et vient à excéder douze mois, la législation du premier Etat membre demeure applicable jusqu’à l’achèvement de ce travail, à condition que l’autorité de l’Etat membre sur le territoire duquel l’intéressé est détaché ou l’organisme désigné par cette autorité ait donné son accord ; cet accord doit être sollicité avant la fin de la période initiale de douze mois. Toutefois, cet accord ne peut être donné pour une période excédant douze mois ».

Il ressort de ces dispositions communautaires qu’abstraction même faite de la question de savoir si un accord pour un prolongement de la période de détachement au-delà de douze mois a été donné par l’autorité compétente luxembourgeoise, le demandeur, en détachement au Luxembourg depuis mars 1994, était en tout cas soumis au cours de l’année 1999 exclusivement à la législation sociale luxembourgeoise, de manière que seules les cotisations sociales fixées par la législation luxembourgeoise ont revêtu un caractère obligatoire et qu’au-

delà de toutes dispositions légales ou réglementaires françaises éventuelles en sens contraire, le demandeur ne pouvait plus être tenu à titre obligatoire au paiement de cotisations sociales françaises, lesquelles revêtent dès lors le caractère de cotisations à un régime d’assurance volontaire ou facultative continuée.

Les possibilités de déduction de cotisations sociales tant luxembourgeoises qu’étrangères au titre de dépenses spéciales sont circonscrites par l’article 110 de la loi du 4 décembre 1967 sur l'impôt sur le revenu, en abrégé « LIR », aux termes duquel « sont déductibles les cotisations et primes d’assurances suivantes : 1. les cotisations versées en raison de l’affiliation légalement obligatoire des salariés à un établissement de sécurité sociale luxembourgeois. Ne sont pas déductibles les cotisations relatives à un salaire exempté, à l’exception de celles qui se rapportent aux suppléments de salaires visés à l’article 115, numéro 11. Sont assimilées aux cotisations visées ci-dessus, les cotisations payées à titre obligatoire par des salariés à des organismes publics étrangers de sécurité sociale ». Cette disposition soumet ainsi une déduction de cotisations sociales payées par un salarié à des organismes étrangers à la double condition que le paiement desdites cotisations soit obligatoire dans le pays concerné et que l’organisme percepteur revêt un caractère public (trib. adm. 16 juin 1999, n° 10713, Pas. adm. 2001, v° Impôts, n° 104), de manière que notamment les cotisations versées à titre non obligatoire à un organisme étranger ne sont pas déductibles.

Etant donné que les articles 13 et 14 du règlement 1408/71, directement applicables en France, mettent obstacle à une soumission obligatoire du demandeur aux cotisations françaises à l’organisme d’assurance-vieillesse CFE et à l’organisme d’assurance-chômage APEC, ces mêmes cotisations ne peuvent pas être qualifiées d’obligatoires au sens de l’article 110, 1. LIR et c’est partant à tort que l’employeur du demandeur a opéré les retenues de ces cotisations sur les rémunérations du demandeur en guise de cotisations françaises obligatoires à côté des cotisations luxembourgeoises effectivement redues conformément aux dispositions communautaires et luxembourgeoises afférentes.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que le directeur a rejeté la prétention du demandeur à voir lesdites cotisations qualifiées de dépenses spéciales au sens de l’article 110, 1. LIR et que le recours laisse d’être fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 juin 2002 par:

M. SCHOCKWEILER, vice-président, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT SCHOCKWEILER 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14310
Date de la décision : 12/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-12;14310 ?

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