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10/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14545

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juin 2002, 14545


Numéro 14545 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 février 2002 Audience publique du 10 juin 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14545 du rôle, déposée le 7 février 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent HARGARTEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau d

e l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, de nationalité yougoslave, de...

Numéro 14545 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 février 2002 Audience publique du 10 juin 2002 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière d’autorisation de séjour

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14545 du rôle, déposée le 7 février 2002 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent HARGARTEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, …, de nationalité yougoslave, demeurant à L-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 6 septembre 2001 portant refus d’une autorisation de séjour dans son chef, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 5 décembre 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRUCK en sa plaidoirie à l’audience publique du 13 mai 2002.

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Suivant décision datant du 24 janvier 1994, le ministre de la Justice accorda l’autorisation de résider au Grand-Duché à Monsieur …, préqualifié, cette décision ayant été adressée et faisant droit à une demande afférente de son épouse, Madame … …-….

Après avoir été incarcéré de 1996 jusqu’au mois d’avril 1998 au Centre Pénitentiaire à Schrassig sur base d’une condamnation par la Cour d’appel du Grand-Duché de Luxembourg à une peine de prison de deux ans du chef de coups et blessures volontaires ayant causé une incapacité de travail et de détention illégale d’une personne, il se vit délivrer une nouvelle autorisation de séjour le 30 juin 1998 pour une durée de trois mois.

En date du 30 mars 1999, sa belle-sœur, Madame … a introduit auprès du ministre de la Justice une déclaration de prise en charge en sa faveur. Par décision du 13 juillet 1999, ledit ministre refusa de délivrer une autorisation de séjour à Monsieur …. Le recours contentieux intenté par ce dernier fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 23 février 2000 (n° 11584 du rôle), l’appel contre ce jugement ayant été déclaré irrecevable par arrêt de la Cour administrative du 27 juin 2000 (n° 11912C du rôle).

En date du 13 juin 2001, Monsieur … introduisit une demande de régularisation auprès du service commun du ministère du Travail et de l’Emploi, du ministère de la Justice et du ministère de la Famille, établi à Luxembourg, zone d’activité Cloche d’or, 5, rue G. Kroll.

Cette demande fut rejetée par décision du 6 septembre 2001 signée conjointement par le ministre du Travail et de l’Emploi et le ministre de la Justice au motif que « selon l’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle médical des étrangers, 3. l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, la délivrance d’une autorisation de séjour peut être refusée à l’étranger qui est susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics. Comme il a été constaté sur base de votre dossier administratif que cette disposition est applicable dans votre cas, une autorisation de séjour ne saurait vous être délivrée ».

Monsieur … fit l’objet d’un arrêté de refus d’entrée et de séjour du ministre de la Justice du 12 octobre 2001 lui enjoignant de quitter le pays dès notification dudit arrêté, lequel fut motivé par le séjour irrégulier au pays de Monsieur … et le défaut de moyens d’existence personnels dans son chef.

Le recours gracieux contre la décision prévisée du 6 septembre 2001, formé par courrier de son mandataire du 20 novembre 2001, s’étant soldé par une décision confirmative du 5 décembre 2001 portant les signatures conjointes du ministre du Travail et de l’Emploi et du ministre de la Justice, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation à l’encontre des décisions prévisées des 6 septembre et 5 décembre 2001 par requête déposée le 7 février 2002.

Encore que le demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement seulement un recours en réformation, le tribunal doit examiner en premier lieu l’existence éventuelle d’un recours au fond en la matière, étant donné que l’admissibilité de cette voie de recours emporte l’irrecevabilité du recours en annulation introduit à titre principal.

Dans la mesure où ni la loi prévisée du 28 mars 1972, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus d’autorisation de séjour, le tribunal est incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation. Le recours principal en annulation est par contre recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que l’article 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972, en disposant que l’entrée et le séjour peuvent être refusés à l’étranger susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre ou la santé publics, aurait réservé à l’autorité compétente un pouvoir d’appréciation individuelle de chaque dossier, mais n’impliquerait pas une obligation de refuser systématiquement l’autorisation de séjour à tout étranger ayant fait l’objet d’une condamnation pénale au Luxembourg, étant donné qu’on ne saurait présumer d’une manière générale que tout individu ayant fait l’objet d’une condamnation pénale serait forcément susceptible de compromettre la sécurité, la tranquillité, l’ordre et la santé publics. Il estime qu’il découlerait de la formulation de la décision déférée du 6 septembre 2001 que le ministre n’aurait pas vérifié l’opportunité d’un refus de délivrance d’une autorisation de séjour dans son chef, mais se serait contenté de constater sur base de son dossier administratif l’existence d’une condamnation pénale à son encontre et de rejeter automatiquement sa demande sans préciser les raisons l’ayant amené à faire usage de la faculté lui conférée par l’article 2 de la loi du 28 mars 1972 de refuser le droit de séjourner dans son chef. Le demandeur affirme qu’il aurait par ailleurs satisfait à toutes les conditions pour bénéficier de la régularisation. Il soutient que le refus d’une autorisation de séjour porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, consacré par la Convention européenne des droits de l’homme en renvoyant à la grossesse de sa concubine, l’accouchement étant prévu pour le 22 février 2002, au défaut de famille à l’étranger, alors qu’il habiterait sous un même toit au Luxembourg avec sa mère et son frère, son père étant décédé, et à son séjour au pays depuis plus de 7 ans.

Le délégué du Gouvernement rétorque que l’examen de l’opportunité d’une décision administrative échapperait au domaine de contrôle du juge d’annulation. Il relève que les décisions critiquées seraient fondées d’abord sur le motif tiré du défaut de moyens d’existence personnels, prévu par l’article 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972, alors qu’il ne ressortirait pas des éléments du dossier que le demandeur disposait de moyens de subsistance suffisants au moment de la prise des décisions déférées. Le représentant étatique relève ensuite que le dossier révélerait que le demandeur a été condamné par arrêt de la Cour d’Appel du 19 mars 1996 à 2 ans de prison ferme du chef de coups et blessures volontaires sur son épouse et qu’il n’aurait pas donné suite à plusieurs invitations à quitter le pays et prolongé son séjour irrégulier au Luxembourg. Dans la mesure où le demandeur aurait ainsi déjà compromis l’ordre public luxembourgeois, il devrait être considéré comme étant susceptible de compromettre à nouveau l’ordre public. Quant au moyen du demandeur tiré de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, le délégué du Gouvernement estime qu’il ressortirait du dossier que le demandeur vivrait séparé de son épouse depuis plusieurs années.

Encore que la décision critiquée du 6 septembre 2001 est fondée sur le seul motif que le demandeur serait susceptible de compromettre l’ordre public, le délégué du Gouvernement a utilement complété cette motivation par la considération du défaut de moyens personnels suffisants énoncée comme premier motif justifiant les décisions litigieuses.

L’article 2 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, dispose que : « l’entrée et le séjour au Grand-Duché pourront être refusés à l’étranger :

(…) - qui ne dispose pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour ». Une autorisation de séjour peut donc être refusée lorsque l’étranger ne rapporte pas la preuve de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour. A cet égard, ne sont pas considérés comme moyens personnels une prise en charge signée par un membre de la famille du demandeur, ainsi qu’une aide financière apportée au demandeur par celui-ci (trib. adm. 9 juin 1997, n° 9781 du rôle, Pas.

adm. 2001, v° Etrangers, n° 101, p. 150, et autres références y citées).

La légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise. Dans le cadre de l’exercice de ce pouvoir de contrôle de la légalité de la décision déférée, le juge peut vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner si la mesure prise est proportionnelle par rapport aux faits établis, étant entendu que cette dernière faculté est limitée au cas où une flagrante disproportion des moyens laisse entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision, voire un détournement du même pouvoir par cette autorité (cf. Cour adm. 21.3.2001, n° 14261C du rôle, non encore publié).

L’examen de l’opportunité d’une décision échappe par contre au domaine de contrôle du juge d’annulation.

En l’espèce, le demandeur n’a pas rapporté la preuve qu’au moment où les décisions incriminées ont été prises, il disposait de moyens de subsistance propres et légalement acquis lui permettant de supporter les frais de voyage et de séjour, une telle preuve n’ayant d’ailleurs pas non plus été rapportée en cours d’instance.

Il s’ensuit que face au défaut de moyens personnels légalement acquis non autrement énervé par le demandeur, le ministre pouvait valablement refuser la délivrance d’une autorisation de séjour en faveur du demandeur sur le fondement de ce motif formellement inscrit dans l’article 2 de la loi prévisée du 28 mars 1972 sans que le tribunal ne puisse étendre son contrôle à des considérations d’opportunité tenant à l’exercice d’un pouvoir d’appréciatrion prétendument conféré au ministre par ladite disposition légale.

Les décisions litigieuses se trouvent ainsi justifiées en principe sur pied du motif tiré du défaut de moyens personnels suffisants.

Pour conclure à la non-applicabilité dudit article 2 dans son chef, le demandeur soutient encore qu’il satisferait aux conditions fixées par le gouvernement dans le cadre de la campagne de régularisation des sans-papiers.

Abstraction même faite que le demandeur reste en défaut d’étayer concrètement à quel cas de figure visé par ladite campagne de régularisation sa situation personnelle pourrait correspondre et de préciser l’incidence de cette circonstance sur la légalité des décisions critiquées, force est de retenir que, d’un côté, la loi permet au ministre de refuser une autorisation de séjour au motif tiré du défaut de moyens personnels suffisants légalement acquis et que, d’un autre côté, aucun texte légalement obligatoire n’a opéré une restriction par rapport à cette possibilité légale de refus dans le chef de l’autorité compétente, de sorte que les critères retenus et publiquement annoncés par le gouvernement dans le cadre de la campagne de régularisation, lesquels doivent nécessairement s’inscrire dans le cadre légal en la matière et en préciser simplement le contenu, relèvent du champ de considérations de pure opportunité dépourvues de base légale, fussent-elles énoncées dans un document rendu public, ayant abouti à l’octroi d’une autorisation de séjour à d’autres étrangers en situation similaire lorsque la décision de refus déférée n’excède pas par ailleurs le cadre légal tracé en la matière (trib. adm. 29 mai 2002, Muhovic, n° 14089, non encore publié). Le moyen afférent du demandeur est partant à écarter.

Le demandeur s’empare ensuite des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme pour soutenir que le refus ministériel d’un autorisation de séjour en sa faveur ne serait pas légal.

Ledit article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ;

2. il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont fait état le demandeur pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 prérelaté de la Convention européenne des droits de l’homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

Le tribunal est amené à constater qu’au-delà de ses allégations non autrement étayées quant à la grossesse de sa concubine et de sa cohabitation avec ses mère et frère, le demandeur reste en défaut d’établir concrètement l’existence d’une vie familiale effective avec sa concubine ou avec ses mère et frère, de manière qu’il ne saurait rentrer dans le champ de la protection accordée par ledit article 8.

Il résulte des développements qui précèdent que c’est à juste titre que le ministre a refusé au demandeur la délivrance d’une autorisation de séjour et que le recours sous analyse laisse d’être fondé.

Nonobstant le fait que le demandeur n’était pas représenté à l’audience publique à laquelle l’affaire avait été fixée pour les débats oraux, l’affaire est jugée contradictoirement à l’égard de toutes les parties, la procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 juin 2002 par:

Mme LENERT, premier juge, M. SCHROEDER, juge, M. SPIELMANN, juge en présence de M. SCHMIT, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14545
Date de la décision : 10/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-10;14545 ?

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