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10/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14472

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juin 2002, 14472


Tribunal administratif N° 14472 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 janvier 2002 Audience publique du 10 juin 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14165 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 novembre 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuel...

Tribunal administratif N° 14472 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 janvier 2002 Audience publique du 10 juin 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14165 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 novembre 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 17 juillet 2001, notifiée en date du 20 août 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 3 octobre 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 avril 2002.

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En date du 10 avril 2000, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entend le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date du 31 août 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 17 juillet 2001, notifiée le 13 août 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur … de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile en avril 2000. Un passeur vous a conduit au Luxembourg sans que vous ne puissiez donner d’indications concernant le trajet. Vous êtes arrivé le 10 avril 2000 et votre demande en obtention du statut de réfugié date du même jour.

Vous exposez qu’en date du 7 avril 2000 des membres de la police serbe vous auraient chassé de votre maison. Les policiers seraient entrés dans votre maison et vous auraient injurié. Votre famille vit dans un centre d’accueil pour réfugiés au Kosovo. Elle attend que la situation se calme dans votre village en Serbie pour y retourner. Vous expliquez que vous auriez peur des Serbes. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Les motifs que vous invoquez (expulsion de votre maison par la police serbe, injures) ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De plus, compte tenu du fait que votre famille a pu se réfugier au Kosovo et qu’elle a l’intention de retourner en Serbie lorsque la situation se calme, vous auriez pu vous aussi profiter d’une fuite interne.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives en Serbie du 23 décembre 2000. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 20 septembre 2001, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 17 juillet 2001.

Par décision du 3 octobre 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 13 novembre 2001, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles précitées des 17 juillet et 3 octobre 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait de confession musulmane et originaire de la Ville de Ternovc, située au Sud de la Serbie, à la frontière entre la Macédoine et le Kosovo et qu’il aurait été contraint de quitter son pays d’origine en raison du fait qu’il aurait été chassé de sa maison ensemble avec sa famille par la police serbe en date du 7 avril 2000.

Le demandeur expose encore que son oncle lui aurait trouvé un passeur pour venir au Luxembourg et qu’à l’heure actuelle il voudrait vivre en sécurité, ce qui ne serait pas possible dans son pays d’origine du fait de la coexistence difficile entre les musulmans et les orthodoxes.

En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition en date du 31 août 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant la situation du demandeur en tant que membre de la minorité musulmane de Serbie, s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visé serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que considérés individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des persécutions.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte qu’une situation de conflit interne violent ou généralisée, ne peut à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécutions, outre de devoir toujours être fondé sur l’un des motifs de l’article 1er , section A, 2. de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce, les craintes exprimées par le demandeur en raison des difficultés de coexistence entre les personnes de confession musulmane et les personnes de confession orthodoxe et de la situation générale tendue dans sa région d’origine s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Concernant ensuite les déclarations du demandeur ayant trait au fait qu’il a été chassé ensemble avec sa famille de sa maison, ce fait, aussi dramatique qu’il a pu être vécu par le demandeur, n’établit pas à l’heure actuelle une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, respectivement est insuffisant pour établir que les nouvelles autorités qui sont au pouvoir en Yougoslavie ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants de la Yougoslavie ou tolèrent, voire encouragent des agressions notamment à l’encontre des musulmans. Dans ce contexte, il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisi d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ, et même antérieurement, et de mettre en lumière, qu’il est indéniable que depuis le départ du demandeur, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée, qu’un processus de démocratisation est en cours et que le demandeur n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il ne puisse pas utilement se réclamer de la protection des nouvelles autorités.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées par le demandeur se cristallisent essentiellement autour de sa région d’origine et que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, notamment au Monténégro ou au Kosovo, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale, et ceci d’autant plus que le restant de sa famille a trouvé refuge dans un centre d’accueil au Kosovo.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 24 avril 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14472
Date de la décision : 10/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-10;14472 ?

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