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10/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14408

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juin 2002, 14408


Tribunal administratif N° 14408 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 janvier 2002 Audience publique du 10 juin 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14408 et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2002 par Maître Marleen WATTE-BOLLEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb

ourg, au nom de M. …, né le … à Koindu (Sierra Leone), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réfo...

Tribunal administratif N° 14408 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 janvier 2002 Audience publique du 10 juin 2002

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Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 14408 et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2002 par Maître Marleen WATTE-BOLLEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. …, né le … à Koindu (Sierra Leone), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 24 juillet 2001, notifiée le 30 août 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 3 décembre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Philippe ONIMUS, en remplacement de Maître Luc SCHAACK, qui déclare occuper en lieu et place de Maître Marleen WATTE-

BOLLEN, en ses plaidoiries.

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En date du 8 juillet 1998, M. … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. … fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu les 7 avril et 30 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 24 juillet 2001, notifiée le 30 août 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Vous exposez qu’en 1998, vous auriez été emprisonné et condamné en Sierra Leone pour avoir participé à un coup d’Etat. Cette condamnation aurait été prononcée par le président Kabbah en personne, mais vous ne pouvez pas donner d’autres indications. Vous maintenez que vous n’auriez pas pris part audit coup d’Etat. Un dénommé Gibori Tamba vous aurait libéré ensemble avec Paul John KOROMA, qui est par la suite devenu le président de la Sierra Leone. En juin 1998, vous auriez quitté votre pays lorsque Kabbah serait revenu au pouvoir et aurait fait emprisonner voire tuer les collaborateurs de Koroma. Vous auriez passé quelque temps en Guinée, mais vous seriez parti de peur d’être découvert par l’ECOMOG.

Vous auriez peur d’être tué par les soldats de l’armée sierra-léonaise. Par ailleurs, un inconnu aurait essayé de vous tuer en Italie. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater qu’il existe de sérieux doutes quant à la véracité de votre récit.

Ainsi, il ressort des rapports devant l’agent du Ministère de la Justice que vous ne connaissiez pas les notions d’ISO et d’ASA, tout en prétendant avoir exercé pendant plusieurs années la profession de photographe. Il est par conséquent tout à fait invraisemblable que vous ne connaissiez pas les termes en cause. Vous dites par ailleurs ignorer le nom du chef du journal où vous avez travaillé, ce qui est également peu crédible.

De même, vous ne savez pas quand exactement en 1998 vous auriez été condamné pour avoir participé à un coup d’Etat, ni combien de temps vous auriez passé en prison (vous estimez que vous auriez été emprisonné environ 2 ou trois semaines).

A cela s’ajoute que la chronologie des événements que vous présentez ne correspond pas à la réalité. Ainsi, KOROMA était au pouvoir du 25 mai 1997 juqu’au 12 février 1998 et il n’est pas revenu au pouvoir depuis lors. De plus, il n’y a pas eu de coup d’Etat en mai 1998. Au contraire, le Président KABBAH, élu démocratiquement, est de nouveau au pouvoir depuis le 10 mars 1998. Par conséquent, votre récit selon lequel KOROMA serait devenu président après un coup d’Etat en mai 1998 pour être de nouveau écarté du pouvoir en mai ou juin 1998 ne saurait convaincre.

En outre, votre emprisonnement, même à le supposer établi, ne saurait, à lui seul, fonder une crainte justifiée de persécution. En effet, vous auriez été emprisonné en raison d’un prétendu coup d’Etat tout en précisant que vous n’avez été actif politiquement. Vous n’invoquez pas non plus d’autre raison pour votre emprisonnement. Il n’est par conséquent pas établi que l’emprisonnement serait dû à une persécution dans votre pays d’origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un certain groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, § 2 de la Convention de Genève.

L’attaque en Italie que vous invoquez, même à la supposer établie, ne saurait pas non plus vous faire bénéficier de la reconnaissance du statut de réfugié. Il n’est en effet pas exclu qu’il s’agit d’une infraction de droit commun, étrangère à toute idée de crainte de persécution au sens de la prédite Convention.

Enfin, il ne faut pas oublier que la situation en Sierra Leone s’est améliorée depuis le mois d’août 2000. En date du 15 août 2000, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté unanimement une résolution tendant à l’instauration d’un tribunal international dans le but de condamner les auteurs des crimes (en particulier les crimes contre l’humanité) commis à partir de 1991 en Sierra Leone. De plus, un accord de paix entre le gouvernement sierra-

léonais et les rebelles du RUF a été signé le 13 novembre 2000 dans lequel le RUF se dit entre autres d’accord de désarmer ses troupes.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 28 septembre 2001, M. … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 24 juillet 2001.

Par décision du 3 décembre 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 9 janvier 2002, M. … a fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 24 juillet et 3 décembre 2001.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire d’un village appelé Koindu situé dans la région de Kailahun en Sierra Leone, qu’il aurait fréquenté les mêmes écoles que l’ancien président M. KOROMA et son ministre de la défense M. TAMBA et qu’il aurait exercé la profession de journaliste auprès d’un journal étatique. Il soutient que dans le cadre de son appartenance au même groupe ethnique que M. KOROMA, il aurait été « victime de la part des opposants de « KOROMA » de vexations multiples, violences morales et même physiques, et d’un emprisonnement », qu’il aurait été libéré par M. Gibori TAMBA, ensemble avec M. KOROMA de la prison et qu’ensuite M. KOROMA serait devenu le président du Sierra Leone. Néanmoins, les soldats de l’ECOMOG et des soldats nigériens auraient forcé M.

KOROMA à quitter le pays. Ce serait à ce moment qu’il aurait également pris la fuite par peur d’être tué par des soldats de l’armée sierra-léonaise, compte tenu de son « appartenance prétendue au clan de KOROMA et de lynchage de son père par les soldats de ECOMOG ». Il soutient que son emprisonnement aurait eu lieu en raison de son appartenance à un groupe social ou politique, à savoir celui de M. KOROMA, de sorte qu’il s’agirait d’une persécution en raison d’un des motifs énoncés à la Convention de Genève. Il fait encore préciser qu’un ami de son père l’aurait aidé à quitter son pays et que par ailleurs sa mère et ses frères et sœurs auraient également quitté le pays. Il fait en outre valoir qu’en Italie un inconnu aurait essayé de le tuer, raison pour laquelle il aurait quitté ce pays pour demander le statut de réfugié politique au Luxembourg.

M. … se réfère encore à la situation générale instable régnant dans son pays d’origine, en soutenant que les droits de l’homme n’y seraient pas respectés, que les troupes gouvernementales seraient responsables d’exécutions extrajudiciaires, d’actes de torture et de mauvais traitements, que les accords de paix y seraient violés, que les rebelles et les CDS (Civil Defense Forces) y continueraient à assassiner les civils et à se rendre coupable d’enlèvements, de viols, de pillages et de destructions de villages, et que cette situation catastrophique serait confirmée par des rapports émanant du Haut Commissariat pour les Réfugiés.

Il fait valoir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il devrait craindre de faire l’objet d’une condamnation sévère en raison de son métier de journaliste et de sa prétendue appartenance au groupe de M. KOROMA. Cette condamnation devrait être analysée comme un traitement discriminatoire, respectivement un acte de répression à caractère politique intolérable entrant dans le champ d’application de la Convention de Genève.

Il convient de relever que l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, quoi que valablement informé par une notification par la voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance du demandeur, n’a pas fait déposer de mémoire en réponse.

Nonobstant ce fait, l’affaire est néanmoins réputée jugée contradictoirement en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Concernant le fond de l’affaire, il convient encore de rappeler que, bien que le demandeur ne se trouve pas confronté à un contradicteur, il n’en reste pas moins que le tribunal doit examiner les mérites des différents moyens soulevés, cet examen comportant entre autres, le cas échéant, un contrôle de l’applicabilité de la disposition légale invoquée par le ministre aux données factuelles apparentes de l’espèce, c’est-à-dire que le tribunal doit qualifier la situation de fait telle qu’elle apparaît à travers les informations qui lui ont été soumises par rapport à la règle légale applicable.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. ….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. … lors de son audition en date des 7 avril et 30 septembre 1999 telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord l’argument basé sur les prétendues persécutions subies par lui en raison d’un coup d’Etat qui se serait déroulé en 1998 et en raison du fait de sa prétendue appartenance au « clan de KOROMA », il convient en premier lieu de retenir que le ministre de la Justice a relevé à cet égard un certain nombre de contradictions, telles qu’inventoriées dans sa décision du 24 juillet 2001 ci-avant libellée, qui ébranlent la crédibilité du récit du demandeur.

Par ailleurs, même en faisant abstraction des contradictions relevées par le ministre dans sa décision de refus, il y a lieu de relever que les affirmations du demandeur restent à l’état de simples allégations faute par lui de produire le moindre élément de preuve objectif les concernant et le récit du demandeur est extrêmement vague et non autrement circonstancié et il a répondu de manière évasive aux questions pourtant posées de façon très précises par l’agent du ministère de la Justice lors de ses auditions respectives, de sorte que le tribunal arrive à la conclusion que le demandeur n’a pas établi à suffisance de droit d’avoir fait l’objet de persécutions pour un des motifs énoncés à l’article 1er, section A, § 2 de la Convention de Genève.

Enfin, les craintes de persécutions en raison de la situation générale tendue dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait actuellement, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Concernant le « lynchage » de son père, le demandeur n’a pas fourni le moindre détail ou la moindre explication pour établir les circonstances exactes et les raisons de ce lynchage, de sorte que le demandeur ne saurait invoquer ce fait pour établir une persécution au sens de la Convention de Genève à son égard.

Finalement, concernant la prétendue « attaque en Italie », c’est à bon droit que le ministre de la Justice a retenu dans sa décision qu’il s’agit d’un délit de droit commun, « étranger à toute idée de crainte de persécution au sens de la prédite Convention », en l’absence d’un quelconque élément soumis par le demandeur au tribunal administratif permettant de considérer ce fait comme tombant sous le champ d’application de la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 10 juin 2002, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14408
Date de la décision : 10/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-10;14408 ?

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