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10/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14303

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juin 2002, 14303


Tribunal administratif N° 14303 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2001 Audience publique du 10 juin 2002

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Recours formé par les époux … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14303 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2001 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des

avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le…, et de son épouse Madame …, née le…, agissant tant ...

Tribunal administratif N° 14303 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 décembre 2001 Audience publique du 10 juin 2002

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Recours formé par les époux … et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 14303 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2001 par Maître Edmond DAUPHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le…, et de son épouse Madame …, née le…, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants … et … …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 31 octobre 2001, notifiée le 21 novembre 2001, portant confirmation d’une décision antérieure du même ministre du 30 avril 2001, notifiée le 6 juin 2001, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mars 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Edmond DAUPHIN et Monsieur le délégué du Gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 mai 2002.

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Le 27 décembre 2000, les époux … … et …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux … furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux … furent entendus en outre séparément en date du 27 mars 2001 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 30 avril 2001, notifiée le 6 juin 2001, le ministre de la Justice informa les consorts … de ce que leur demande avait été rejetée aux motifs qu’il ne ressortirait pas de leurs déclarations que Monsieur …, de par sa place au sein du parti politique « Mouvement populaire national », aurait été dans une position particulièrement exposée, que le fait qu’il soit sans travail découlerait de motifs économiques et ne saurait fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et que, d’une manière générale, il y aurait lieu de constater que leurs dires reflèteraient plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une véritable crainte de persécution au sens de la Convention de Genève, ceci d’autant plus que le régime politique en Yougoslavie aurait changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président démocratiquement élu ainsi qu’avec la mise en place d’un nouveau gouvernement sans la participation des partisans de l’ancien régime.

Par courrier de leur mandataire datant du 3 juillet 2001, les consorts … firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle du 30 avril 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 31 octobre 2001, ils ont fait introduire, par requête déposée en date du 13 décembre 2001, un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle prévisée du 31 octobre 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer que tant le récit que les pièces versées à l’appui de leur demande d’asile laisseraient croire que la crainte de persécution en raison de leur appartenance ethnique et de leur conviction politique invoquée à l’appui de leur demande serait réelle et que la situation existante dans leur pays d’origine serait toujours telle que leur vie y serait intolérable en cas de retour, ceci eu égard aux conditions des droits de l’homme dans ce pays vis-à-vis des minorités albanaises appartenant à des mouvements de tendance indépendantiste dans la partie de Serbie dont ils ressortiraient.

Ils relèvent à cet égard que leur départ de leur pays d’origine aurait été motivé par une crainte permanente de persécution et de traitements discriminatoires dus à leur appartenance à la population musulmane et à la minorité albanaise, ainsi qu’à leurs activités politiques en faveur de la défense des droits de cette minorité en Serbie. Ils signalent que le danger de persécutions afférentes trouverait son origine dans les « mesures de représailles » émanant de personnes se revendiquant des clans serbes soutenus par les autorités en place et par les autorités elles-mêmes et qu’en tant que membres de la minorité ethnique des bochniaques ils seraient considérés comme appartenant à une minorité ethnique « gênantes ».

Le délégué du Gouvernement relève d’abord que contrairement aux affirmations des demandeurs, il ressortirait très clairement du rapport d’audition du 21 décembre 2001 versé au dossier qu’ils auraient menti tant sur leur nom que sur leur origine et dernière résidence lors de leur première audition et qu’ils ne seraient clairement pas originaires de Serbie, mais du Kosovo où ils auraient habité jusqu’au moment de leur départ, de sorte qu’il serait faux d’affirmer qu’ils appartiendraient à une minorité de Serbie. Estimant que les demandeurs seraient ainsi à considérer comme des Albanais du Kosovo, le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de leur situation et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les consorts … lors de leurs auditions respectives en date des 27 mars 2001 et 21 décembre 2001, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de rappeler d’abord que c’est à juste titre que le délégué du Gouvernement a signalé que les demandeurs sont originaires du Kosovo et non de Serbie, étant donné que lors de leur audition par un agent du ministre de la Justice en date du 21 décembre 2001 les époux … ont tous les deux avoué avoir fait de fausses déclarations à ce sujet lors de leurs premières auditions au motif qu’ils auraient eu peur d’être renvoyés au Kosovo, alors que les conditions de vie y seraient mauvaises et qu’au fond ce serait à cause de la situation économique qu’ils seraient venus au Luxembourg.

Force est encore de constater que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a relevé que suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place, de sorte qu’une crainte de persécution de la part des autorités serbes, voire des autorités actuellement en place ne saurait être valablement admise.

En outre, un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant 1998, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence et de persécution à leur encontre, mais ne démontrent point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo. Il convient de rappeler, dans ce contexte, en ce qui concerne la situation des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « Bochniaques », que s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes ou discriminations par des groupes de la population albanaise du Kosovo, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité visée aurait de ce seul chef raison de craindre une persécution au sens de la Convention de Genève, mais il doit faire valoir des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, il risque de subir des traitements discriminatoires, de sorte qu’en l’espèce, en l’absence d’éléments individuels et concrets pertinents, la crainte exprimée par les demandeurs s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Il échet de relever dans ce contexte que les difficultés d’ordre économique invoquées par les demandeurs à l’appui de leur demande d’asile ne sont pas de nature à caractériser l’existence d’un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur chef en cas de retour dans leur pays d’origine.

Il ressort de l’ensemble des développements qui précèdent que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Le recours en réformation est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 juin 2002 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, M. Spielmann, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 14303
Date de la décision : 10/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-10;14303 ?

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