La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14126

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juin 2002, 14126


Tribunal administratif N° 14126 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 novembre 2001 Audience publique du 10 juin 2002 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14126 du rôle, déposée le 5 novembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à

Novi Pazar (Sandzak/Serbie), et de son épouse, Madame …, née le … à Novi Pazar, agissant t...

Tribunal administratif N° 14126 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 novembre 2001 Audience publique du 10 juin 2002 Recours formé par Monsieur … et son épouse, Madame …, et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14126 du rôle, déposée le 5 novembre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Novi Pazar (Sandzak/Serbie), et de son épouse, Madame …, née le … à Novi Pazar, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice prise en date du 15 mai 2001, notifiée en date du 6 juin 2001, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision implicite de refus du ministre de la Justice, tirée du silence de plus de 3 mois suite à un recours gracieux introduit le 4 juillet 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 février 2002;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

-----------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date respectivement des 22 octobre et 1er décembre 1998, Monsieur … et son épouse, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de leus enfants mineurs …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux …-… furent entendus les mêmes jours par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 9 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux …-… par lettre du 15 mai 2001, notifiée en date du 6 juin 2001, de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Monsieur, vous exposez avoir fait votre service militaire en 1990/91. Vous auriez été emmené à la réserve militaire le 12 septembre 1998. Vous auriez été stationné à Pec au Kosovo. Vous auriez refusé d’exécuter un ordre de vos supérieurs et par conséquent vous auriez été emmené dans une prison militaire. Vous auriez pu vous enfuir le 25 septembre 1998.

Vous expliquez ne pas avoir voulu tuer des gens et combattre sans raison. Vous auriez déjà été condamné par le tribunal militaire.

Vous faites état de votre adhésion au SDA. Vous n’auriez pas eu de problèmes en raison de votre adhérence à ce parti.

Vous n’auriez pas subi de persécutions personnelles. Votre peur serait liée à votre religion.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari. La police civile aurait pris vos passeports après que votre mari ait quitté le pays. Vous expliquez que vous pourriez retourner en Yougoslavie après le départ de Milosevic.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. De même, l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

Par ailleurs, une loi d’amnistie pour les déserteurs et réfractaires a été votée par le parlement yougoslave au mois de février 2001 et est entrée en vigueur en mars 2001. Vous ne risquez par conséquent plus d’être condamné à une peine d’emprisonnement pour avoir déserté.

En outre, une situation de paix s’est installée dans la région et il n’est pas établi que l’accomplissement de la réserve au sein de l’armée fédérale yougoslave imposerait actuellement la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

En plus, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions.

Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

La situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Vous restez en défaut d’établir que votre situation particulière est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Les partis démocratiques ont obtenu la majorité absolue lors des élections législatives en Serbie du 23 décembre 2000. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Le recours gracieux, introduit par le mandataire des consorts …-… en date du 4 juillet 2001, restant sans réponse de la part du ministre, les consorts …-…, par requête déposée en date du 5 novembre 2001, ont fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre de la Justice du 15 mai 2001 ainsi que de la décision implicite de refus du ministre de la Justice, tirée du silence de plus de 3 mois suite au recours gracieux introduit le 4 juillet 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A titre liminaire, il y a lieu de relever qu’à l’audience fixée pour les plaidoiries, les demandeurs ont fait déposer des pièces à l’appui de leur recours après la lecture du rapport d’audience par le juge-rapporteur. Le délégué du gouvernement, lors de ses plaidoiries à l’audience, s’est opposé à ce dépôt de pièces.

Les pièces dont une partie entend se servir dans une instance et qui ont été déposées après la lecture du rapport d’audience sont à écarter. Il s’ensuit qu’en l’espèce les pièces produites seulement après le rapport à l’audience sont à rejeter des débats.

Les demandeurs soulèvent en premier lieu trois moyens d’annulation relatifs à la procédure d’instruction de leur demande d’asile.

Concernant le premier moyen d’annulation basé sur l’insuffisance de la motivation de la décision confirmative, dans la mesure où le ministre de la Justice confirmerait purement et simplement par son silence sa décision initiale du 15 mai 2001 suite au recours gracieux introduit le 4 juillet 2001, et ceci malgré l’invocation d’éléments nouveaux à l’appui de leur recours gracieux ce qui aurait dû entraîner un nouvel examen de leur demande d’asile, force est de retenir que ledit moyen d’annulation est cependant à écarter, étant donné que, même en admettant que le reproche soit justifié, le défaut d’indication des motifs ne constitue pas une cause d’annulation de la décision ministérielle prise à la suite du recours gracieux, pareille omission d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir.

Il s’ensuit que le moyen afférent n’est pas fondé et doit être écarté.

En ce qui concerne le deuxième moyen d’annulation des demandeurs tendant à l’annulation « pure et simple » des décisions ministérielles entreprises « pour l’inobservation du délai raisonnable édicté par des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme », il échet de relever que l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, telle qu’approuvée par la loi du 29 août 1953, auquel les demandeurs font référence, ne s’applique qu’à des contestations portant sur des droits et obligations de caractère civil ainsi que sur le bien-fondé d’accusations en matière pénale. Or, comme les contestations en matière de reconnaissance du statut de réfugié politique ne sont à considérer ni comme des contestations à caractère civil ni comme des contestations à caractère pénal, elles ne tombent partant pas sous le champ d’application de l’article 6 précité qui, pour le surplus, ne vise que des procédures juridictionnelles et non pas des procédures administratives.

Les demandeurs concluent en troisième lieu à l’annulation de la procédure et des décisions déférées, au motif qu’ils n’auraient pas été informés, ni le jour de l’introduction de leur demande d’asile, ni encore lors de leurs auditions respectives du 9 novembre 1999, de leur droit de choisir un avocat ou de s’en faire désigner un par le bâtonnier de l’ordre des avocats, de sorte qu’il y aurait violation de leurs droits de la défense et de l’article 5 de la loi précitée du 3 avril 1996.

L’article 5 de la loi précitée du 3 avril 1996 dispose que « le demandeur d’asile est informé de son droit de se faire assister à titre gratuit d’un interprète et de son droit de choisir un avocat inscrit au tableau de l’un des barreaux établis au Grand-Duché de Luxembourg ou de se faire désigner un avocat par le bâtonnier de l’ordre des avocats. Le fait que ladite information a été donnée au demandeur d’asile devra ressortir du dossier ».

Cette information ne doit pas nécessairement être donnée lors du dépôt de la demande d’asile, étant donné que la loi ne contient pas de précisions quant au stade de la procédure d’instruction de la demande d’asile auquel cette information doit être donnée aux demandeurs d’asile, mais eu égard à la finalité de l’assistance d’un avocat, qui est de mettre le demandeur d’asile en mesure d’assurer ses droits de la défense, il est impératif que cette information lui soit donnée au plus tard lors de la première mesure d’instruction dans le cadre de l’examen du bien-fondé de sa demande d’asile.

En l’espèce, il se dégage des pièces produites en cause que les demandeurs ont été informés de leur droit à l’assistance d’un avocat lors de leur première audition du 9 novembre 1999, qui, en l’espèce, constitue le premier acte d’instruction dans la procédure en obtention du statut de réfugié, de sorte que les dispositions et la finalité de l’article 5 précité ont été respectées. En effet, le rapport d’audition qui contient la déclaration que les demandeurs ont été informés de leur droit d’être assisté par un avocat, et qui a été signé par les demandeurs, l’interprète qui était présent et un agent du ministère de la Justice, fait foi à défaut d’éléments concrets et pertinents permettant de conclure à la fausseté de cette déclaration.

Il résulte des considérations qui précèdent que ce moyen tendant à l’annulation des décisions litigieuses pour une prétendue irrégularité procédurale est également à écarter.

Quant au bien fondé de leurs demandes d’asile, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir commis une erreur d’appréciation de leur situation de fait, étant donné que leur situation spécifique et subjective serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur pays d’origine.

Ils font exposer plus particulièrement qu’ils seraient originaires de la région de Novi Pazar située au Sandzak en Serbie et de confession musulmane, que leur départ de leur pays d’origine serait motivé par le fait que Monsieur … aurait déserté d’une unité spéciale de l’armée yougoslave en raison du fait qu’il n’aurait pas voulu exécuter un ordre de son supérieur qu’il estimait contraire « à l’honneur militaire ». A ce sujet, ils font exposer qu’en date du 12 septembre 1998, Monsieur … aurait été amené à la réserve militaire, qu’en date du 24 septembre 1998, son unité spéciale aurait reçu « l’ordre urgent de l’Etat-major de l’armée Yougoslave d’éliminer une base fortifiée de l’UCK », que la mission aurait consisté en la prise de la propriété de la famille G., que Monsieur … serait entré dans la maison de la famille G. et dans la cave, il aurait découvert des femmes et des enfants qui se seraient cachés, qu’il aurait emmené trois enfants en bas âge à l’extérieur de la maison en les tenant par la main, que son supérieur l’aurait alors insulté en criant qu’il ne faudrait pas traiter de cette manière les ennemis et il lui aurait donné l’ordre de tirer sur les femmes et les enfants. Monsieur … fait valoir qu’il aurait refusé d’exécuter cet ordre contraire à ses convictions et à sa propre conscience, de sorte qu’il aurait été désarmé sur ordre de son commandant et transféré à PEC où il aurait été mis en détention « accusé de l’insoumission à l’ordre du commandant et de l’impétuosité vis à vis d’un supérieur ». Les demandeurs soutiennent que l’insoumission de Monsieur … devrait être admise comme pouvant fonder une crainte légitime de persécution dès lors que son attitude aurait été dictée par des raisons politiques et de conscience et que son comportement aurait été perçu par les autorités comme un acte d’opposition contre le pouvoir en place et donc comme l’expression d’une opinion politique. Dans ce contexte, ils affirment qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, l’insoumission de Monsieur … risquerait d’être sanctionnée moyennant une condamnation pénale militaire de la part des autorités militaires serbes d’une sévérité disproportionnée et l’exposant à un traitement discriminatoire en raison non seulement de son attitude, mais également de sa confession musulmane, de manière à constituer un acte de répression à caractère politique intolérable au sens de la Convention de Genève. A l’appui de ce raisonnement, les demandeurs font état d’un jugement daté du 7 janvier 2000 – non traduit dans une des langues officielles admises au Luxembourg - par lequel Monsieur … aurait été condamné à 12 ans de prison pour désertion et trahison et de deux attestations émises par un avocat qui documenteraient le « degré de persécution » dont Monsieur … aurait à souffrir en cas de retour dans son pays d’origine.

Sur base des faits ainsi soumis, les demandeurs estiment devoir bénéficier de la protection prévue par la Convention de Genève.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux …-… lors de leurs auditions respectives en date du 9 novembre 1999, telle que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que la désertion, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Par ailleurs, les demandeurs restent en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans leur chef en raison de la prétendue désertion.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées. En effet, force est de constater que le jugement par lequel Monsieur … aurait été condamné à 12 ans de prison du fait de désertion et de haute trahison date du 7 janvier 2000, donc antérieurement à la loi d’amnistie, de sorte que cette dernière est, en principe, susceptible de trouver application au cas de Monsieur ….

Les demandeurs font encore contester l’application de la loi d’amnistie au cas d’espèce de Monsieur …, en se référant à deux avis émis par un avocat yougoslave en date respectivement des 30 janvier 2001 et 26 avril 2001 – avocat qui aurait été chargé par Monsieur … en vue de défendre ses intérêts en Yougoslavie, attestant que la loi d’amnistie ne trouverait pas application en cas de condamnation pour haute trahison.

Il y a lieu de relever que s’il est vrai qu’une condamnation pour haute trahison n’est pas visée par la loi d’amnistie, néanmoins les demandeurs ne prouvent à suffisance de droit ni que Monsieur … a effectivement été condamné pour haute trahison ni les motifs retenus à la base de cette prétendue condamnation, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il risque d’être persécuté pour un des motifs prévus à la Convention de Genève à ce titre .

A cet effet, il convient de souligner que Monsieur … a fourni trois versions différentes concernant les faits à la base de sa demande d’asile, dans la mesure où lors de son audition du 9 novembre 1999, il n’a pas fait état d’un refus d’ordre de tirer sur des enfants, ce fait n’étant précisé de façon expresse que par une déclaration - non datée - qui a été déposée à l’appui de son recours gracieux. Par ailleurs, lors des plaidoiries à l’audience, l’avocat des demandeurs soutient que la condamnation pour haute trahison résulterait du fait que Monsieur … aurait tiré sur des soldats lors de son évasion, qu’un des soldats aurait été blessé et que la condamnation pour haute trahison aurait été prononcée en raison de ces faits. Il convient finalement de relever que lors de son audition du 9 novembre 1999, Monsieur … invoquait déjà l’existence d’un jugement de condamnation à son égard - à savoir une décision du tribunal militaire - qui aurait été envoyé à son père - alors que le jugement invoqué à l’appui de son recours - non traduit - date seulement du 7 janvier 2000.

C’est encore à tort que les demandeurs contestent l’application de la loi d’amnistie au fait de désertion de Monsieur …, dans la mesure où le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Concernant en outre les craintes de persécutions des demandeurs en raison de l’appartenance de Monsieur … au parti politique SDA, il y a lieu de retenir que si les activités en tant que membre d’un mouvement d’opposition aux autorités en place peuvent justifier des craintes de persécution au sens de la Convention de Genève, force est toutefois de constater qu’il ressort des déclarations fournies par Monsieur … lors de son audition du 9 novembre 1999 qu’il a été simplement membre du prédit parti et qu’il n’avait jamais eu des problèmes à cause de cette adhésion.

En ce qui concerne par ailleurs les prétendues discriminations, non autrement précisées, dont ils auraient fait l’objet par les autorités serbes en raison de leur appartenance à une minorité ethnique, à les supposer établies, il échet de retenir que ces allégations n’établissent pas un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à l’heure actuelle, intolérable dans leur pays d’origine. Dans ce contexte, il convient encore de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ et de mettre en lumière, qu’il est indéniable que depuis le départ des demandeurs, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que les demandeurs n’ont pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’ils risquent encore de faire l’objet de poursuites, de persécutions ou de discriminations en raison de leur appartenance à la minorité des « bochniaques ».

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, rejette les pièces déposées après la lecture du rapport d’audience ;

reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 10 juin 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14126
Date de la décision : 10/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-10;14126 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award