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06/06/2002 | LUXEMBOURG | N°14090

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 juin 2002, 14090


Tribunal administratif N° 14090 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2001 Audience publique du 6 juin 2002 Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14090 du rôle, déposée le 26 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …

à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à ...

Tribunal administratif N° 14090 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 octobre 2001 Audience publique du 6 juin 2002 Recours formé par Monsieur … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 14090 du rôle, déposée le 26 octobre 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 juillet 2001, notifiée le 8 août 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 24 septembre 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2002 ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives en date du 8 avril 2002 ;

Vu la prise de position, déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2002 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, suite à une question posée par le tribunal lors des plaidoiries ;

Vu la rupture du délibéré prononcée le 10 avril 2002 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives en date du 29 avril 2002 ;

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Le 30 avril 1999, Monsieur … introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 13 septembre 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur …, par lettre du 24 juillet 2001, notifiée le 8 août 2001, de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous voudriez rester au Luxembourg jusqu’à ce que le pouvoir ait changé dans votre pays d’origine. Vous n’auriez pas encore fait le service militaire, mais en avril 1999 la police militaire aurait appelé tous les jeunes de votre âge pour s’inscrire, ce qui vous aurait incité à fuir. En mai 1999, vous auriez reçu un appel alors que vous étiez déjà au Luxembourg. Une deuxième convocation vous aurait été adressée le 2 avril 2000. Vous risqueriez à présent d’être condamné à une peine d’emprisonnement. Vous expliquez aussi que vous auriez été insulté et tracassé par des Serbes et provoqué ainsi que giflé par un policier. Enfin, vous n’êtes pas membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte de persécution au sens de la prédite Convention. En outre, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Enfin, rappelons qu’une loi d’amnistie a été adoptée par le Parlement de la République fédérale yougoslave au mois de février 2001.

Les autres motifs invoqués (tracasseries, insultes, provocations, maltraitance) ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Force est de constater que vos motifs traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer en octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 11 septembre 2001, Monsieur … introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 24 juillet 2001.

Par courrier du 24 septembre 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 26 octobre 2001, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées des 24 juillet et 24 septembre 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours contentieux est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire de Rozaje au Monténégro et de confession musulmane, que son départ de son pays d’origine serait motivé par le fait qu’il aurait estimé sa vie sérieusement menacée par des groupes nationalistes soutenus par le pouvoir en place et en raison du fait que ses droits les plus élémentaires auraient été bafoués en raison de son appartenance à la minorité des « bochniaques ». Il soutient par ailleurs avoir subi, de même que des membres de sa famille, des mauvais traitements et des persécutions par des éléments de la population serbe.

Il expose en outre qu’il aurait été convoqué pour rejoindre l’armée yougoslave, mais qu’il aurait refusé de rejoindre cette armée, au motif qu’il n’aurait pas voulu s’associer pour des raisons de conscience valables, à des actions militaires qui, à maintes reprises, auraient été condamnées par la communauté internationale. Il précise dans ce contexte qu’il risquerait de subir une peine d’emprisonnement disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction de l’insoumission.

En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son insoumission, sa religion musulmane, ainsi que la situation générale des musulmans au Monténégro, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur …. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, n°12179C du rôle, Pas.

adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur … lors de son audition du 13 septembre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission ou la désertion, ne sont pas, en elles-mêmes, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur … risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission ou désertion.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

En ce qui concerne par ailleurs les prétendues discriminations dont Monsieur … aurait fait l’objet par les autorités serbes en raison de son appartenance à une minorité ethnique, à savoir d’avoir été provoqué et insulté par des Serbes qui « souvent auraient été ivres », à supposer ces faits établis, il échet de retenir que ces allégations n’établissent pas un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à l’heure actuelle, intolérable dans son pays d’origine. Dans ce contexte, il convient encore de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ et de mettre en lumière, qu’il est indéniable que depuis le départ du demandeur, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que le demandeur n’a pas fait état d’une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle qu’il risque encore de faire l’objet de poursuites, de persécutions ou de discriminations.

Par ailleurs, même à supposer établi que la famille du demandeur ait été persécutée pour une des raisons visés par la Convention de Genève, encore faut-il que des circonstances particulières soient établies desquelles il se dégage que le demandeur d’asile risque de subir le même sort. Or, en l’espèce, il n’est non seulement pas établi que la famille du demandeur a effectivement été persécutée et en quoi aurait consisté cette persécution, mais encore il ne se dégage pas des éléments de la cause que le demandeur risque de subir un sort identique.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 6 juin 2002, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 14090
Date de la décision : 06/06/2002

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2002-06-06;14090 ?

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