Tribunal administratif No 14306 du rôle du Grand-Duché du Luxembourg Inscrit le 14 décembre 2001 AUDIENCE PUBLIQUE DU 5 JUIN 2002 Recours formé par Monsieur …, … (D) contre une décision de la ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’inscription au registre des diplômes Vu la requête inscrite sous le numéro 14306 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2001 par Maître Paul BEGHIN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le…, demeurant actuellement à D-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision de la ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 28 septembre 2001, portant refus d’inscrire au registre des titres d’enseignement supérieur son grade de « Diplom für Doktor der Wissenschaften » lui délivré en date du 5 mars 2001 par la « Oberste Attestationskommission » de Bulgarie établie à Sofia ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2002;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision ministérielle critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Dominique BORNERT, en remplacement de Maître Paul BEGHIN, et Madame le délégué du Gouvernement Claudine KONSBRÜCK en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 mai 2002.
Le 5 mars 2001, « la Commission Supérieure de Dissertation du Conseil de Ministres de la République de Bulgarie », décerna à Monsieur … le grade académique de « docteur ès science ». Par courrier du 10 avril 2001, Monsieur … s’adressa à la ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après dénommée « la ministre », pour solliciter l’inscription de ce diplôme au registre des titres d’enseignement supérieur.
Par décision du 28 septembre 2001, la ministre refusa de faire droit à ladite demande au motif suivant :
« La Commission constate que la « European Faculty » de la « University of Mining and Geology St. Ivan Rilsky Sofia » où vous avez effectué les études qui ont été validées par la Commission Supérieure de Dissertation (Bulgarie) pour vous conférer le diplôme de docteur ès sciences est une institution qui ne possède pas le statut d’un établissement d’enseignement supérieur au sens de la loi du 17 juin 1963 ayant pour objet de protéger les titres d’enseignement supérieur. Je me rallie à cet avis. En conséquence, votre grade de docteur ès science ne sera pas inscrit au registre des titres d’enseignement supérieur (…) » Par requête déposée le 14 décembre 2001, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 28 septembre 2001.
L’article 4 de la loi modifiée du 17 juin 1963 ayant pour objet de protéger les titres d’enseignement supérieur prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation. Ledit recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délais prévus par la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours le demandeur fait exposer qu’il a effectué des études universitaires sous l’égide de la « University of Mining and Geology St. Ivan Rilski », ci-après désignée par « UMG », dont le siège est à Sofia en Bulgarie et que cette faculté délivrerait notamment des diplômes dans les domaines de la géologie, de la technologie minière et de l’électromécanique, les matières plus particulièrement enseignées étant la géologie économique, la géologie d’hydrogéologie et de technologie, la géophysique appliquée, ainsi que l’écologie et la protection de l’environnement. Il signale plus particulièrement que la faculté européenne ( European Faculty) sise à Düsseldorf serait rattachée à la UMG et aurait été fondée en 1992, sur base d’un partenariat entre une fondation néerlandaise et la UMG et constituée dans le cadre de la législation légale bulgare à laquelle elle resterait soumise. Il fait exposer en outre que conformément au droit national bulgare, le grade de « docteur » serait délivré non pas directement par l’université en cause, mais par une haute commission ( Ministerrat Oberste Attestationskommission) laquelle déciderait de la délivrance officielle du titre de « docteur ».
Le demandeur critique la décision déférée d’abord en relevant que la ministre aurait commis une erreur en ce que le diplôme en cause n’aurait pas été délivré par la « European Faculty » sise à Düsseldorf, mais par la plus haute autorité bulgare en la matière, à savoir le « Ministerrat Oberste Attestationskommision » basé à Sofia, donc par une commission du Conseil du Ministère de la République de Bulgarie, ainsi désignée en cause. Il estime qu’il n’aurait appartenu à la ministre ni d’examiner la qualité de l’enseignement sanctionné par ce diplôme, ni sa durée, mais uniquement de constater si le diplôme représente un titre d’enseignement supérieur légalement conféré d’après les lois et règlements du pays où il a été conféré, à savoir la Bulgarie. Dans la mesure où ce serait l’autorité bulgare effectivement compétente en la matière qui lui a délivré son diplôme, il estime que ce serait à tort que la ministre a refusé l’inscription de ce grade au registre des titres d’enseignement supérieur. Le demandeur fait valoir ensuite que ce serait à tort que la ministre ainsi que la commission des titres se sont référés à un avis de la « Zentralstelle für ausländisches Bildungswesen », étant donné que cette autorité allemande n’aurait aucune habilitation à apprécier la valeur d’un diplôme délivré dans un pays étranger et que seule la conformité du diplôme présenté à l’inscription par rapport aux règles applicables dans le pays dans lequel qu’il a été décerné, pourrait être sujette à appréciation. Ledit avis serait par ailleurs faiblement motivé et non fondé, alors que le ministre du « Land » en cause aurait au contraire pris position comme suit :
« Es gibt keinen Grund die von der University of Mining and Geology und ihren Fakultäten in ordnungsgemäßen Prüfungsverfahren und unter Beachtung bulgarischer Rechtsvorschriften verliehenen akademischen Grade im Lande Nordrhein Westfalen nicht zur Führung zuzulassen. Das gilt für bulgarische und deutsche Absolventen gleichermaßen. » Le délégué du Gouvernement rétorque que la littérature spécialisée, tout en faisant état de l’Université St. Ivan Rilski, ne mentionnerait cependant aucune faculté de sciences économiques, ni de « European Faculty », de même que parmi les titres conférés par l’université en question seuls ceux de « Bachelor of Science, Master of Science, Doctor of Philosophy » seraient mentionnés, mais que le titre litigieux de « Master of European Law » n’y figurerait pas. Il relève en outre que le fait qu’une université manifestement spécialisée en sciences de l’extraction minière puisse conférer un titre de docteur ès sciences économiques n’aurait pas manqué d’engendrer des questions, de sorte que la décision a été prise de contacter les services compétents du « Sekretariat der ständigen Konferenz der Kultusminister der Länder in der BRD » avec prière de fournir des informations relatives au cycle d’études concerné. Dans la mesure où il ressortirait de la réponse de ladite autorité du 23 juillet 2000 que la « European Faculty » en question, implantée en Allemagne et aux Pays-Bas, ne posséderait pas le statut d’établissement d’enseignement supérieur conformément à la législation allemande sur l’enseignement supérieur (Hochschulrahmengesetz), et qu’elle ne serait de ce fait pas reconnue par les autorités allemandes, la ministre aurait pris la décision de ne pas inscrire ce titre, sans pour autant prendre en considération la qualité de l’enseignement dispensé.
Aux termes de l’article 1er de la loi précitée du 17 juin 1963 « à l’exception des personnes qui n’ont au Grand-Duché ni domicile ni résidence fixe, nul ne peut porter publiquement le titre d’un grade d’enseignement supérieur a) s’il n’en a obtenu le diplôme conformément aux lois et règlements du pays où le grade a été conféré;
b) si son diplôme, suivi du nom de l‘école ou de l’institution qui l’a délivré, ainsi que l’appellation entière du titre conféré n’ont pas été inscrits au registre des diplômes déposé au ministère de l’éducation nationale.
Sont notamment considérés comme titres d’un grade d’enseignement supérieur au sens de la présente loi les titres de docteur, licencié, ingénieur, architecte ».
Aux termes de l’article 2 alinéa 2 de la loi précitée de 1963 « l’inscription des diplômes étrangers et la détermination du titre exact et complet à porter se feront à la demande des intéressés, par décision du ministre de l’éducation nationale prise sur avis d’une commission des titres d’enseignement supérieur ».
Concernant l’autorité compétente pour décider sur les demandes d’inscription des diplômes étrangers et la détermination des titres exacts et complets, il convient de relever que, par l’effet de l’arrêté grand-ducal du 11 août 1999 portant constitution des Ministères, la compétence afférente a été attribuée à la ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
L’objet de la loi de 1963 est de protéger au Grand-Duché de Luxembourg les titres d’enseignement supérieur, c’est-à-dire à travers la réglementation du port des titres et grades d’enseignement supérieur national ou étranger, sans que la réglementation de la reconnaissance des titres académiques ne vise la question de la protection de l’exercice des professions.
En outre, contrairement à une demande en homologation d’un diplôme étranger, qui, conformément aux dispositions légales afférentes, appelle l’autorité compétente à entreprendre un examen au fond des études accomplies, une demande d’inscription au registre des diplômes n’implique aucune appréciation par le ministre compétent des études accomplies par le demandeur.
En effet, en prévoyant que le titre d’un grade d’enseignement supérieur doit être obtenu « conformément aux lois et règlements du pays où le grade a été conféré » pour qu’il puisse être inscrit au registre des diplômes, la loi de 1963 n’appelle le ministre compétent à examiner ni la qualité de l’enseignement sanctionné par un diplôme, ni sa durée, mais uniquement à constater si le diplôme, dont l’inscription au registre est demandée, représente un titre d’enseignement supérieur légalement conféré. Son pouvoir n’est pas discrétionnaire, mais sa décision doit être guidée par des critères objectifs lui permettant de juger si le document lui soumis remplit les conditions requises pour être inscrit au registre des diplômes. De tels critères doivent faire abstraction d’une quelconque appréciation de la valeur des études supérieures, de leur durée, et de toute comparaison avec d’autres études supérieures sanctionnées par un diplôme. Seul compte le niveau-supérieur-des études et la qualité du document qui les sanctionne (cf. Cour adm. 24.10.2000 n°11984C du rôle, pas. adm. 2001. V° Autorisation d’établissement, n°32 et autres références y citées).
La décision ministérielle déférée est motivée par la considération que la « European Faculty » de la UMG St. Ivan Rilsky est une institution qui ne possède pas le statut d’un établissement d’enseignement supérieur reconnu.
Il se dégage des pièces versées au dossier et des explications fournies en cause par le délégué du Gouvernement que cette affirmation relative au caractère « reconnu » de l’établissement concerné repose sur une prise de position de la « Zentralstelle für ausländisches Bildungswesen » du « Sekretariat der ständigen Konferenz der Kultusminister der Länder in der Bundesrepublik Deutschland » établie en date du 23 juillet 2001, laquelle, tout en admettant l’existence de la faculté européenne de l’UMG, relève qu’il ne s’agit pas d’un établissement d’enseignement supérieur (Hochschule) comparable à un établissement du même type en Allemagne, Or, force est de relever que la loi modifiée du 17 juin 1963 précitée, au-delà de poser l’exigence que le grade présenté à l’inscription ait pour objet un enseignement supérieur et ait été obtenu conformément aux lois et règlements du pays où il a été conféré - en l’espèce la Bulgarie -, ne pose aucune condition relative à la reconnaissance éventuelle du grade présenté dans un autre pays que celui de délivrance, voire à son équivalence avec des grades d’enseignement supérieur décernés dans d’autres pays.
L’inscription au registre n’a en effet pas pour finalité de renseigner sur la valeur d’un titre entrevue à partir de sa reconnaissance quant au fond de l’enseignement sanctionné à l’extérieur du pays de délivrance, mais simplement de documenter formellement la réalité du titre conféré d’après les lois et règlements du pays de délivrance, sans pour autant lui valoir une quelconque plus-value à travers une éventuelle reconnaissance du titre présenté comme étant équivalent à des titres similaires décernés par d’autre établissements d’enseignement supérieur.
Il s’ensuit que la considération avancée en cause que le titre de docteur ès science présenté par le demandeur à l’inscription a été délivré par une faculté de la UMG de Sofia qui ne serait pas reconnue en Allemagne en tant que «Hochschule», n’est pas de nature à motiver valablement la décision déférée, faute de s’inscrire dans les prévisions de la loi permettant de refuser l’inscription au registre.
Dans la mesure où il n’est pas contesté en cause que l’établissement bulgare, en l’occurrence la UMG, auquel est rattachée la faculté européenne ayant dispensé l’enseignement sanctionné par le titre litigieux, est un établissement d’enseignement supérieur est que la partie défenderesse reste en défaut d’établir, voire d’alléguer que le titre présenté n’ait pas été obtenu conformément aux lois et règlements bulgares, la décision déférée, entrevue à partir du dossier tel que présenté en cause, est à réformer en ce sens que le diplôme délivré à Monsieur …, suivi du nom de l’institution qui l’a délivré, ainsi que l’appellation dans son intégralité du titre de « docteur ès science » lui conféré est à inscrire au registre des diplômes.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement;
reçoit en la forme le recours en réformation dirigé contre la décision du ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche susvisée du 28 septembre 2001;
au fond le déclare également justifié;
partant, par réformation de la décision susvisée du 28 septembre 2001, dit que le diplôme délivré à Monsieur …, suivi du nom de l’institution qui l’a délivré, ainsi que l’appellation dans son intégralité du titre conféré, est à inscrire au registre des diplômes ;
renvoie le dossier à la ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour exécution condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juin 2002 par:
M. Delaporte, premier vice-président Mme Lenert, premier juge M. Schroeder, juge lu en présence de M. Schmit, greffier en chef Schmit Delaporte 5